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Petite discussion hier avec l'ami Feyd Rautha. On a toujours intérêt à discuter avec l'ami Feyd Rautha. La preuve, il m'a donné envie de lire trois nouvelles sur lesquelles je vais dire quelques mots ici. (3/3)
"Ouroboros" est une nouvelle de Dean-Paul Stephens lisible à cette adresse.
Imaginez un immense cylindre (un genre de Rama, ça tombe bien, c'est le nom du premier personnage parlant). Très armé, mais pacifique (je sais, c'est contradictoire). A l'intérieur, des IA aux noms de divinités. Seules à bord depuis la mort du dernier des Programmeurs, leurs créateurs. Formant une sorte de hive mind entre individualité marquée et esprit communal véritable.
Voyageant de monde en monde selon un cycle immuable entre les mondes Alpha et Omega, poursuivant la quête de la sapience léguée par les Programmeurs, les IA en cherchent les traces, se cherchant de facto de nouveau Créateurs (kind of, ersatz), dissertant comme des théologiens, des siècles durant, en camps opposés mais toujours amicaux, pour savoir si une espèce croisée récemment (à leur échelle) possède ou non la sapience, pourra ou non s'élever jusqu'à devenir un substitut acceptable des Créateurs.
Et si oui, que faire ? Contact ou pas ? Transfert de connaissances ou pas ? Endiguement ou pas ? Toute la sapience des IA ne permet pas de donner une réponse définitive à ces questions. Alors que, malheureusement pour elles, les IA n'ont pas le privilège des commentateurs qui peuvent faire à coût nul se succéder thèse et antithèse dans la même phrase, les IA, elles, doivent prendre des décisions.
Avec "Ouroboros", c'est d'éternel retour du même que parle Stephens. Auteur dont le prénom est composé de celui du fondateur politique du christianisme et d'un titre anglais souvent attribué à des religieux, Stephens semble porté par son onomastique.
On trouve donc dans ce texte une variation sur le thème de la Création, bien plus qu'un question d'interférence extérieure à la Il est difficile d'être un dieu.
Si les IA deviennent d'une certaine manière Dieu (après la mort de celui-ci), elles souffrent de la perte de leurs créateurs comme souffraient celles de Latium (le cardinal Ratzinger ne disait-il pas : « L'enfer, c'est vivre dans l'absence de Dieu. Là où Dieu n'existe pas, voilà l'enfer. »).
Il leur revient alors de surmonter le doute et de faire elles-mêmes œuvre créatrice. D'essaimer (d'initier une panspermie). Comme si la vie, la sapience (intelligence) et jusqu'à la sentience (conscience et volonté) ne pouvaient être autre chose qu'auto-réplicatrices. Essaimer, presque un impératif catégorique kantien - sauf qu'ici il ne l'est justement pas car c'est par libre arbitre qu'elles décident d'agir, un libre arbitre qui explique, depuis Saint Augustin au moins, l'existence du Mal en actes dans un univers créé par un Dieu bon ; l'histoire de la nouvelle le prouvera.
Création stricte mise à part (les créatures d'Omega existaient déjà et elles étaient sans doute déjà sapientes), on trouve dans le texte, une élévation, un "arbre" de la connaissance dont l'accès entraîne malheur et chute, un péché originel, une Incarnation, et le cycle peut recommencer. Entre Alpha et Omega, le début et la fin, mais sans début ni fin. Jusqu'à donc sans doute peut-être, qui sait, un nouveau cylindre, dans longtemps, créé par les Omegans.
Quand à toi, lecteur, tu t'interrogeras sur le cylindre, peut-être, qui est à l'origine de ta propre espèce sentiente. Ouroboros.
"Ouroboros" est un texte très dense, séduisant à lire, auquel on peut peut-être reprocher de contenir trop de concepts pour trop peu de mots. Néanmoins, et pour peu qu'on s'habitue vite au mode de communication particulier du hive mind, il est raisonnablement accessible, alors le défaut n'en est peut-être pas un. Beaucoup de peut-être, c'est un texte dialectique.
Ouroboros, Dean-Paul Stephens
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