The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Histoires bizarroïdes - Olga Tokarczuk


Pour le tchèque Milan Kundera, le roman, « art le plus européen », a permis de découvrir la prose de la vie et d'enfin se détourner des épopées qui disaient le monde en vers.

Olga Tokarczuk, polonaise et récente Nobel de littérature, pousse au bout ce goût de la prose, de la modestie des faits et gestes, dans un recueil de nouvelles sorti il y a peu qui s'intitule "Histoires bizarroïdes" en raison de l'étrangeté fondamentale qui le traverse et en fait un livre qui flirte largement avec l'Imaginaire.

Dix histoires de longueurs variées le constituent, de la très courte – et un peu convenue – Le passager, à la longue et fascinante Le calendrier des fêtes humaines.


Etranges, aux marges, les histoires de Tokarczuk sont toutes de finesse et de douceur dans la narration. Elles décrivent des mondes qui, même lorsqu'ils sont encore à venir, semblent habités par un calme suranné, loin très loin de la frénésie des sociétés contemporaines. Les choses y sont lentes, calmes, même quand elles annoncent des bouleversements ou les mettent en évidence. C'est d'une Europe un peu endormie que Tokarczuk écrit, d'une Europe glacée par l'Histoire et dans laquelle pourtant une page s'est tournée, sur la pointe des pieds, sans que la frénésie consumériste y entre (on n'est pas dans la transition obscène des Cosmonautes ne font que passer, de Elitza Gueorguieva, on serait plutôt dans une Latvérie post Fatalis), d'une Europe en décomposition lente au milieu d'un monde qui ne l'est sûrement pas moins – ne serait-ce que d'un point de vue environnemental.


De fait, il est plusieurs fois question de changements, lents et progressifs mais encore trop rapides pour l'esprit humain, à fortiori pour des esprits socialisés à l'écart de l’Accélération décrite par Hartmut Rosa dans son essai éponyme.

On y partage ces moments où l'humain réalise que le monde qu'il habite n'est plus celui dans lequel il vivait. Où les choses sont disparues ou pourrissantes. Où trop d'inertie a laissé l’inerte en arrière alors que tout allait de l'avant. On le voit de façon magistrale dans deux textes, Les bocaux et Les coutures, qui évoquent autant le dépit de vieillir et d'ainsi devenir désuet qu'une ostalgie sans Est identifiable vécue par les personnages, entre solitude, vieux bocaux mal appertisés, et nouvelles formes de chaussettes ou de timbres. Tempus fugit velut umbra.


La visite et Le Transfugium parlent de mondes futurs.

Dans La visite – à la chute surprenante –, l'individualisme est allé à son terme logique en accouchant d'une société de familles ?/coteries ? clonées à partir d'un individu souche, des coteries qui se suffisent à elles-mêmes et n'ont qu'avec peine des contacts avec les autres coteries tout aussi autosuffisantes. C'est le cauchemar de Tocqueville qui se réalise : l'individualisme comme sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. Mais ici, même plus besoin de famille ni d'ami, chacun est tout cela à la fois pour lui-même grâce aux miracles de la technique.

Dans Le Transfugium – qui fait explicitement référence aux Métamorphoses d'Ovide – les humains fatigués par la commune humanité peuvent devenir autres, intégrer la nature d'une façon que ne médiatise plus la nature humaine. Fuite ou retour à l'essentiel ? Au lecteur de décider.


Si Le cœur dit la maladie, la guérison, et la frénésie de savoir à quoi est dû ce surcroît de temps, La montagne de Tous-les-Saints raconte la rencontre incongrue entre une vie et une foi, entre les derniers jours d'une maladie fatale et une tentative technique – et un peu désespérée – de régénération mystique. Rendre de la ferveur à un monde qui l'a perdue en route, de l'espoir à des humains dont le destin est de mourir et le drame de le savoir, c'est l'impératif inédit que s'assignent les forces cachées du récit, à moins qu'il ne s'agisse que d'intérêt bien compris.


La kafkaïenne Une histoire vraie et sa descente aux enfers d'un professeur en colloque dit brillamment le sentiment d'instabilité qui peut habiter tout contemporain. Quand les assisses sont de sable, quand précarité et exil peuvent remettre en question toute certitude et tout statut, quand on n'existe que par ses papiers et que leur absence signifie exclusion du cercle de l'humanité légitime. C'est, ici par le fait du hasard plus que par celui de l'Etat, toute l'absurdité du Procès réinterprétée dans un autre cadre par Tokarczuk.


Kafka de nouveau – sa Colonie pénitentiaire – dans la minutie descriptive des équipements du Calendrier des fêtes humaines. Un « Dieu », qui est le principe organisateur central d'une société future au point de régler jusqu'au rythme des saisons et des fêtes « votives », y est maintenu artificiellement en vie – et même régulièrement ressuscité – par une armée de fonctionnaires tenus au secret sur la réalité de la situation, jusqu'à la mystification. Et ceci alors même que des désirs de révolution couvent.

On ne peut s'empêcher de penser à la lente agonie de l'URSS ou des hiérarques impotents qui la gouvernèrent, voire pousser jusqu'à la tragi-comédie que constitua la mort de Staline. Ici, contrairement aux deux premiers textes cités, le changement est nécessaire pour sortir d'une stase mortifère ; ici, comme dans les premiers textes, il est redouté par les tenants de la réalité ancienne. Ici aussi l'écologie s'invite, avec la disparition du plastique, qui confère au texte une ambiance à la Délicatessen.


Enfin, différent car écrit ad hoc pour un autre éditeur, Les enfants verts est un conte noir et rousseauiste à la fois. On y voit, loin des vicissitudes humaines, des rivalités politiques, et des massacres au décours de la Guerre de Trente Ans, se rencontrer et s’entre-renifler des humains à la vie brève, porteurs en leurs corps même de tous les maux de la civilisation, et des « enfants verts », bons sauvages rousseauistes vivant sans autorité instituée dans un monde sylvestre caché où la communion avec la nature est d'évidence.


Elégance de l'écriture, délicatesse dans l'abord des thèmes, justesse des sentiments, et intemporalité des cadres, Tokarczuk dit ce qui lui importe sans céder aux outrances et aux tics de la littérature militante. Elle sait surtout écrire, si bien parfois qu'on se dit qu'elle doit savoir rendre passionnante une liste de commissions.


Histoires bizarroïdes, Olga Tokarczuk

Commentaires