Juste 2 ou 3 mots pour parler de la sortie récente de "Fell", en version complète cette fois, c'est à dire avec les neuf épisodes de la série (qui n'aura jamais de suite car Warren Ellis a perdu, mangé, jamais écrit - barrer la mention inutile - la suite).
"Fell", c'est une série de légende. Warren Ellis (qu'on ne présente plus) et Ben Templesmith (qu'on apprécia pour 30 Days of Night entre autres) s'abouchaient en 2005 pour créer un nouveau genre de comics, moins cher, plus court, plus compact. 16 pages par épisode pour 1$99, 9 cases par page le plus souvent, et toujours une grille 3x3 avec certaines cellules parfois fusionnées.
"Fell", c'est l'histoire de l'inspecteur Richard Hell, exilé pour une raison inconnue au commissariat de Snowtown, le coin le plus pourri de la ville et de très loin, où n'officient plus que 3 inspecteurs et demi en plus du nouveau venu, sous l'inexistante direction du larmoyant Lt Beard. Richard Hell, un très bon flic, aussi doué que Sherlock Holmes pour l'observation, tombé dans un véritable enfer - et pas seulement dans sa cuisine comme ce Matt Murdock auquel il peut faire penser. Un flic habité d'un sens exacerbé de la justice qui n'hésite pas à outrepasser la procédure quand il le faut. Un flic qui ne peut supporter l'idée d'être indifférent aux victimes. Un flic qui sera desservi par son esprit brillant dans une affaire particulièrement sordide (qui fait étrangement penser à l'affaire Sarah Halimi).
"Fell", c'est Mayko aussi, une barmaid flippée en quête d'amour qui devient peu à peu son amie.
"Fell", c'est une population cryptique qui se terre derrière d'étranges symboles cabalistiques. Un peuple oublié vivant au milieu de commerces fermés. Une communauté dont on ne voit rien si ce n'est les pires aspects, à travers les yeux d'un homme dont le métier en fait l'éboueur de la société.
"Fell", c'est donc l'histoire d'un homme intègre confronté de facto au summum du glauque. Enfant martyrisé, vieillards laissés à mourir par manque d'assurance santé, « flotteurs » qu'on repêche assassiné près des quais et dont on dispose sans même enquêter, prostituées battues, salopard shooté jusqu'aux yeux qui massacre une jeune fille, and again and again... C'est l'histoire d'un homme qui prend ces atrocités en charge, quels que soient les risques, sans abdiquer, contrairement à ses piètres collègues du commissariat local.
Pour rendre cette ambiance si particulière, Templesmith utilise un style tout de premier plan où ce qui n'est pas directement dans le focus est flou ou vague.
Très beau, "Fell" est comme un cauchemar, un spectacle centré sur ses acteurs au coeur d'un background indistinct, le plus souvent nocturne, dont on voit juste assez pour savoir qu'il est menaçant. Comme l'est cette étrange nonne au masque de Nixon dont on ne saura hélas jamais plus, la série étant interrompue sine die.
Il faut supporter "Fell", mais l'émotion ressentie est à la hauteur. C'est beau, rude, ça sort de son petit confort (ainsi que des banalités convenues du temps) ; c'est pour ça qu'on lit des comics. Moi en tout cas. Et toi, lecteur ?
Fell, Ellis, Templesmith
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