The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

The Echo Wife - Sarah Gailey


Ici et, grosso modo, maintenant.
Evelyn Caldwell est un génie de la génétique. Elle a développé une technique de clonage avec « imprégnation » qui lui permet de créer des clones éduqués et programmés jusqu'à agir comme des substituts acceptables de leur modèle – au point même d'ignorer qu'ils sont des clones. Utilisés pour servir de sosies ou de banques d'organes, les clones sont détruits après utilisation, quand le contrat se termine et qu'ils ont fini d'accomplir la fonction pour laquelle ils ont été crées. Pas de processus industriel ici. Evelyn travaille seule avec son assistant Seyed, artisanalement, comme un Victor von Frankenstein ou un Gepetto.
Quand le roman commence, elle est à la fois au sommet du monde et au fond du trou. Honorée et primée par ses pairs, elle vit très mal sa séparation d'avec son mari Nathan, d'autant plus qu'il est parti avec une autre femme, et que, cerise sur le gâteau, cette femme, Martine, est le clone d'Evelyn.

Là, lecteur, tu te dis, qu'on va bien rigoler et que Feydeau en aurait fait une pièce avec placards et quiproquos jouée par Jacques Balutin et Maria Pacôme.
Erreur grave ! "The Echo Wife" est tout sauf drôle. Et pas seulement parce que, peu après le début, Evelyn découvre que Martine, enceinte, a tué Nathan en se défendant contre lui, et qu'il lui faut maintenant nettoyer le désastre pour éviter de finir dans le Hall of Shame de l'histoire de la science comme créatrice du premier clone enceinte et du premier clone tueur.
Là encore, lecteur, tu peux croire que tu vas lire une comédie à la Jo ou L'armoire volante.
Mais ce n'est pas ce que voulait faire ni dire Sarah Gailey dans son dernier roman. "The Echo Wife" est dur, introspectif, éprouvant, émouvant.

"The Echo Wife" est l'histoire de quatre personnes + une demi + deux absents.

Evelyn. Brillante. Déterminée. Dure. Une femme qui ne compte sur personne et sur qui personne ne peut compter, qui a des collègues mais pas vraiment d'ami. Fruit des violences domestiques de son enfance, Evelyn a appris à se contrôler en toutes circonstances, à envisager les conséquences de chacun de ses actes en utilitariste pure, à ne jamais laisser place à aucun affect. Elle a aimé Nathan, puis lui a reproché sa faiblesse, sa lâcheté, et sa dépendance à l'égard d'une attention qu'elle ne lui accordait pas.

Nathan. Scientifique aussi. Moins brillant. Moins courageux. Émotionnellement dépendant à un niveau pathologique, un homme qui doit être l'omphalos de son entourage. Rêva d'avoir un enfant d'Evelyn, créa une Evelyn programmée dont il était le centre de l'univers et qui, programmation ou libre arbitre, est ravie d'être enceinte. Menteur, dissimulateur, manipulateur, il parvint à cacher à Evelyn qu'il lui volait ses idées et expérimentait pour créer celle qui la remplacerait.

Martine. Créée pour être une « meilleure » Evelyn. Toute dévouée à Nathan, elle ne saura jamais vraiment lesquels de ses désirs sont contingents et lesquels ont été programmés par Nathan. Consciente d'être un clone, revendiquant avec difficulté un statut d'individu. Elle tue son créateur et collabore avec celle qui est doublement sa « mère ». Une « mère » d'autant plus impressionnante qu'elle connaît un monde dont Martine ne sait rien, enfermée qu'elle a été, sa courte vie durant, dans la maison que Nathan avait achetée pour leur étrange couple.

Puis il y a le bébé à venir, qui pèse à tous les sens du terme (décidément !).
Et les parents d'Evelyn. Son père, disparu alors qu'elle était enfant, et sa mère, toujours vivante mais avec qui elle n'a qu'une brève conversation par an en moyenne.
Un père violent avec sa femme et dur avec sa fille. Une mère qui apprit à s'effacer, à subir, à ne pas faire de bruit ni déranger, et qui l'enseigna à Evelyn. Une mère aussi qui ne donnait rien d'affectuel. Contrôle, contrôle, enseigné par la mère comme une compétence de survie et exigé par le père comme preuve de la « qualité » de sa fille.

Une enfance toxique qui créa une personnalité toxique qui se mit en couple avec un autre modèle de personnalité toxique.
Une personnalité que deux trahisons et sa rencontre avec le « rejeton » improbable et clandestin de son union avec Nathan vont, lentement et douloureusement, obliger à changer, à devenir une personne moins brisée, plus humaine sans doute, sans cesser d'être brillante ni déterminée.

Car, par-delà, l'aspect science-fictif soft (il ne fait pas être trop regardant sur la technologie utilisée), "The Echo Wife" raconte l’incommunicabilité fondamentale dans le couple, telle que l'exprima brillamment John O'Hara dans ces lignes de Rendez-vous à Sammara : « Other people saw her and talked to her when she was herself, her great, important self. It was wrong, this idea that you know someone better because you have shared a bed and a bathroom with her. He knew, and not another human being knew, that she cried “I” or “high” in moments of great ecstasy. He knew, he alone knew her when she let herself go, when she herself was not sure whether she was wildly gay or wildly sad, but one and the other. But that did not mean that he knew her. Far from it. It only meant that he was closer to her when he was close, but (and this was the first time the thought had come to him) maybe farther away than anyone else when he was not close. »

Mais le couple Evelyn/Nathan n'est pas n'importe quel couple, et, plus encore, "The Echo Wife" est l'histoire d'une analyse métaphorique. Les méfaits de Nathan et la collaboration forcée avec Martine obligent Evelyn a réfléchir vraiment, pour le première fois :
  • à qui elle est vraiment et aux étapes de sa construction personnelle
  • à ce que fut son couple et aux dynamiques qu'y s'y exprimaient, globalement à son avantage jusqu'à la trahison
  • à l'impact qu'ont eu sur elle des années d'enfance passées dans un contexte de violence domestique
  • à la possibilité de regarder enfin un clone comme autre chose, peut-être, qu'un produit programmé et jetable et à se demander si c'est à des individus qu'elle donne le jour et s'il est juste de les traiter comme des choses (en droit civil on dirait comme des biens meubles)

Les 256 pages du roman sont donc une longue plongée dans les traumatismes et le processus de guérison d'Evelyn. Un page turner plus introspectif qu'extraverti. Un texte réussi et lancinant. Un récit qui fait vivement écho à la biographie de Sarah Gailey et qui est donc aussi un rapport d'analyse en abyme.
L'info à deux balles : le roman sera adapté en film.

The Echo Wife, Sarah Gailey

Commentaires

Anonyme a dit…
Ah L’armoire volante on ne s’en lasse pas.
Gromovar a dit…
Il n'y pas de monde sans Armoire volante.