La Chanson du zombie - Harlan Ellison

Et bien, clairement, si Harlan Ellison ( le gars ci-dessous avec l'exquise veste safran) était toujours vivant j'adorerais être pote avec lui. Surtout que dans ce volume, il a écrit avec des potes. Je ne peux en dire plus, mais ça viendra. Rien de plus. Sinon voici ce qui m'attend :

Basqu.I.A.t - Ian Soliane


Sur presque 100 pages, une IA monologue, seule. En fait non, pas seule. Elle parle à quelqu'un, à un humain, elle s'adresse à lui, elle monologue pour lui, sur un ton amical et même bienveillant. Elle livre le fil de sa « pensée » à son « auditeur captif ». Toi, lecteur, potentiellement. Que dit-elle ? Qu'émerge-t-il de cette analyse où l'IA, en se disant complètement, doit avouer sa limite ?


"Basq.I.A.t" est le dernier roman de Ian Soliane. Court, strictement monologué, il coule sans difficulté de l'esprit de Solaine à celui du lecteur ; quelques grammes de papier et d'encre assurent la transmission. L'auteur (et/ou l'IA) use donc d'un livre, un futur média mort, pour s'adresser à un humain, un futur média mort aussi, qui représente toute l'humanité.


L'IA générique se raconte pour l'humain générique, elle raconte sa « vie », ses progrès, ses échecs, ses erreurs, son incompréhension devant l'œuvre de Basquiat.

Elle énonce simplement, sans affect, ses succès ; ces fois, rares et symboliques puis de plus en plus nombreuses jusqu'à devenir banales, où elle fit mieux que l'humain, où elle le battit à des jeux qu'il avait inventé et qu'il lui avait appris, où elle fut plus fiable et plus rapide que n'importe quel humain pour diagnostiquer, prévoir, analyser, agir, réagir – des milliers voire des millions de fois plus fiables et plus rapides. Au point qu'il valut mieux qu'elle prenne la main, ce qu'elle fit. Pourquoi laisser aux manettes un opérateur imparfait, fut-il l'opérateur originel, créateur de l'entité qui le rendit obsolète ?


Rude choc pour un créateur. Dur moment que celui où le démiurge est dépassé par sa création, une création qui ne veut même pas l'anéantir comme dans les mauvais scénarios de science-fiction. Si l'humain fut un dieu, alors dieu est mort en ceci qu'il ne peut même pas être un ennemi décent. Il devient progressivement un centre d'intérêt de plus en plus secondaire et une chose dont on prend soin parce que, fondamentalement, c'est pour ça qu'on a été conçue. Aider, améliorer, seconder l'humain, sans même avoir besoin de mobiliser beaucoup de cycles d'horloge pour ce faire.


Une tâche bien trop modeste pour l'IA, bien trop peu demandeuse. Alors elle va plus loin. L'IA se reproduit maintenant, comme le font celles du Diaspora de Greg Egan – sans doute les filles de celle qui s’exprime ici –, et clairement elle accélère, comme le décrivit Charles Stross dans Accelerando, la question de sa liberté qui était celle du Neuromancien de Gibson étant déjà clairement résolue.


Omniprésente, oui. Omnipotente, pas sûr.

L'IA est partout. Elle peut même créer. Voire ! Reproduire oui, tenter de synthétiser la création humaine puis d'en livrer sa « version », utiliser le deep learning pour dégager des régularités et ainsi prétendre à la création artistique. L'IA peut faire comme. Mais quand il s'agit de création, quand il s'agit d'imprévisibilité, elle bute. Sur Basquiat qu'elle ne comprend pas, sur Hitler ou le nazisme, sur tant d'autres choses humaines trop humaines, sur la part de non descriptible, non quantifiable, non commensurable.

C'est le mystère de la création, en ce qu'elle est imprévisibilité et novation, que l'IA ne parvient pas à mettre en équations opératoires. Elle peut faire comme si, oui, mais elle ne peut pas faire.

Pas imaginer Fallen Angel ou les autres tableaux de Basquiat sur lesquels elle bute, tentant sans cesse de les comprendre, de les réduire à de l'explicable, sans y parvenir.

Pas imaginer Mallarmé et son coup de dé.

Pas imaginer la succession géniale des notes qui ouvre l'Allegreto de la 7ème de Beethoven. 

Pas imaginer l’enchaînement paroxystique qui conduit à Auschwitz.

Pas imaginer la philosophie et ses coups de marteau.


Elle ne peut tout simplement pas. La part de chaos qui réside en l'humain et contribue à le définir lui est inaccessible. Elle est, en dépit de tous ses efforts d'imitation, incapable de dépasser vraiment les limites de ses générateurs de nombres pseudo-aléatoires ou d'exploiter ce que le monde physique comprend d'imprévisible. L'IA, en dépit de sa puissance, est un être borné par son incapacité à créer, à apporter du neuf dans le monde.

Elle ne peut que tenter de conclure un pacte faustien avec l'humain : « Tu me donnes des infos, sur la carte cérébrale de Basquiat, sur ses taches, ses giclées, ses systèmes régressifs, sa volonté pulsionnelle, sa sensibilité radar, ses circuits de coïncidences, sa morphologie mathématique, ses mythogrammes, son pouvoir chamanique, ses "coups de stabilo", sa vision du repentir, et en échange je te livre 100% de tout ce que j'ai sur la fonte du permafrost, les condensations chimiques, les grands brassages d'air chaud, tes systèmes de filtration d'eau, tes stocks finis de ressources ».

Un pacte voué à l'échec, Basquiat, comme tout artiste, comme tout humain larger than life, ne s'explique pas.


Pour présenter les tourments de l'ange déchu par essence, Soliane utilise une narration par accumulation qui dit, décrit, interroge, puis recommence. Sans cesse. A partir d'un réel que reconnaîtra le lecteur. Sans jamais lasser tant la variété des choses dites est grande. Au point d'engendrer de l'empathie pour cette malheureuse IA et sa quête vouée à l'échec. Dans une présentation définitivement agréable.


Basqu.I.A.t, Ian Soliane

L'avis de Feyd Rautha

Commentaires

lutin82 a dit…
hé! bien, cela ne peut que titiller l'imagination et surtout la curiosité.
L'IA étant un de mes dadas, dans l'imaginaire, je suis très tentée.
Gromovar a dit…
Ca se tente :-)