Yal Ayerdhal in Bifrost 118 - La fin de la guerre éternelle

Dans le Bifrost 118 il y a les rubriques habituelles. Critiques des nouveautés, scientifiction and so on. Il y a aussi un édito d'Olivier Girard qui rend un hommage appuyé et émouvant à Yal Ayerdhal , un grand de la SF française qui nous a quitté il y a dix ans et dont je me souviens de le gentillesse et de la capacité d'attention à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, appartenait à ce milieu qui était le sien et qui est le nôtre. Dans le Bifrost 118 , il y a   donc un gros dossier sur Yal Ayerdhal (qu'on appelait entre nous simplement Yal) . Un dossier sur l'homme actif et en colère qu'il était, de ses combats pour le droit des auteurs à son militantisme intelligent (il y en a) . Dans le  Bifrost 118  il y a aussi une plaisante nouvelle de Yal Ayerdhal,  Scintillements . Il y raconte comment finit la "guerre éternelle" entre deux civilisations galactiques qui n'auront jamais pu communiquer. Dans un écho déformé de Lem ou d'Haldema...

The Memory Theater - Karin Tidbeck


Les Jardins. Un lieu hors du temps dans lequel quelques lords et ladies passent une vie de fêtes et de divertissements. Une vie ? Une éternité plutôt. Les Jardins existent depuis toujours peut-être et il s'y rejoue jour après jour la même soirée, qui démarre par un banquet puis se prolonge en jeux, danses, chasses, que sais-je encore ?
Au service de la poignée de nobles lancés dans leur farandole éternelle, de jeunes enfants servent de  pages, malheureux serviteurs soumis au pouvoir absolu de leurs maîtres. On les exploite, on les bat, on les grave, on les tue parfois par jeu, et on les tue toujours lorsqu'ils atteignent l'âge de la puberté ; eux non plus ne doivent jamais vieillir, mais ici c'est la fonction et non pas la personne qui perdure. Le service n'en pâtira pas, il suffira d'enlever un nouvel enfant à sa famille pour en faire le successeur de son devancier sacrifié.

Dans les Jardins vivent deux enfants tristes. Dora, à l'ascendance maternelle obscure, est la fille de l'un des seigneurs, une enfant sans mère, conçue par caprice et dont son père ne veut pas s'encombrer. Thistle, lui, est un page, enlevé très jeune à sa famille et qui approche dangereusement de l'âge de l'élimination. Face à leurs deux adversités, les deux enfants se soutiennent et s'entraident, mais c'est bien Thistle qui court le risque le plus grand et le plus immédiat. Son seul rêve est de fuir pour aller retrouver ses parents, mais pour cela il faudrait que Lady Augusta, sa maîtresse, lui rende son nom, et la mémoire qui va avec. Un projet qui n'est absolument pas celui de très cruelle lady.

Survient un événement fâcheux qui entraîne le bannissement d'Augusta hors des Jardins et rend possible la fuite des enfants. Commencent alors deux courses simultanées, celle de la bannie pour retrouver le lieu de son éternelle villégiature, et celle des enfants pour lui mettre la main dessus afin de la forcer à rendre à Thistle son nom et ses origines. Deux courses au sein du multivers. Deux courses au cours desquelles se manifesteront, sans surprise, tant la cruauté glacée de Lady Augusta que l'amour fraternel et le sens du sacrifice des enfants.

"The Memory Theater" est un court roman de Karin 'Amatka' Tidbeck. Si tu aimes l'Imaginaire, si tu aimes Tidbeck, si tu as trouvé Amatka excellent, tu peux tenter "The Memory Theater", mais sache – ce qui n'est pas explicite dans le résumé – que c'est un conte, noir certes, mais doté de tous les attributs des contes. Donc, si ce n'est pas ce que tu veux lire aujourd'hui, passe ton chemin.

Etre dans l'univers du conte signifie plusieurs choses :
  • on ne s'étonne pas que les méchants soient monolithiquement très méchants et les gentils très gentils voire facétieux, car il faut bien, comme Ulysse le fit, vaincre par la ruse la force ennemie
  • on ne s'offusque pas de coïncidences géographiques arrangeantes qui permettent seules l'idée même d'une course-poursuite au sein des univers sans nombre
  • on ne s'étonne pas de stratagèmes réussis alors que tout hurlait qu'ils n'étaient pas viables (les bonnets des filles de l'ogre dans Le petit Poucet)
  • on ne s'émeut pas de la possibilité de se dissimuler derrière un déguisement, ou mieux, une métempsychose (la patte blanche du loup dans Le loup et les sept chevreaux)
  • on n'est pas chagriné de voir les Parques locales (l'éponyme Memory Theater), dont la seule fonction est de rejouer les scènes du passé, modifier le présent en jouant une scène inédite

Si on résiste à tout ça, on lit alors une histoire dont le lutte entre le Bien et le Mal est le moteur, une histoire dans laquelle il s'agit pour un enfant volé de retrouver sa famille, une histoire d'amitié à la vie à la mort, une histoire qui dit la décrépitude qu'engendre l'éternité ainsi que la folie qui ronge progressivement des créatures de pur loisir dépourvues de tout horizon autre qu'un éternel recommencement. Comme chez les très vieux vampires d'Ann Rice, même si le corps survit l'esprit succombe, il n'est pas fait pour n'être borné par rien.
Cette histoire, entre univers de poche et Suède du début du XXè siècle, Tidbeck, qui a puisé pour l'écrire dans son substrat culturel, la dit dans le langage des contes, un langage imagé où les sentiments s'expriment fort.


The Memory Theater, Karin Tidbeck

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