Futur lointain. Un vaisseau géant entame sa phase de décélération à l'approche de V538 Aurigae. Son équipage composé de cinq membres est venu de plus de cent années lumières pour explorer la structure gigantesque qu'on y a détecté : une « pyramide » si haute que son sommet culmine au-dessus de l'atmosphère.
Par qui et comment ceci a-t-il été construit ? Comment une telle masse peut-elle tenir sans s'effondrer sur elle-même ni déséquilibrer la planète ? Pour les cinq explorateurs, c'est beaucoup moins une question scientifique qu'une opportunité de déposer des brevets et de devenir riches à milliards. Alors ils sont venus de loin, dans leur vaisseau à biomes, et ils espèrent que les cent ans dont ils disposent avant que d'autres Terriens ne découvrent le pot aux roses leur permettront de rétro-engénierer la « pyramide ». Et comme l'objet leur évoque l'image du
Purgatoire de Dante, ils décident de donner à la planète le nom du poète italien.
D'eux, qui se disent humains, on comprend qu'ils sont des post-humains aussi puissants que des dieux.
D'eux, on découvre qu'ils exploitent – jusqu'à s'en nourrir – des pygmies, des êtres à la vie courte qui les prennent pour des dieux et se disent aussi humains.
10% du texte, on change tout.
USA, avenir proche. Une guerre civile arrive, si près qu'elle éclatera durant le récit. Conflit entre agences gouvernementales, sécession de certains Etats, bombardements, combats au sol, civils tués ou déplacés ; les belligérants utilisent même les uns contre les autres – sur leur propre sol – une arme chimique terrifiante, des néonicotinoïdes militarisés qui font perdre définitivement la mémoire, jusqu'à la mort par oubli de boire ou de manger. Toutes les horreurs de la guerre civile, quand le Léviathan ne bride plus la guerre de tous contre tous.
Otty Barragão vit dans ce monde en déliquescence. C'est le sien. Elle a seize ans, des ruches
(installées dans d'anciens desktops évidés) dont elle s'occupe avec passion, et quatre amis à la vie à la mort, Gomery, Cess, Kath, et Allie. Dans ce monde où surveillance et paranoïa sont omniprésentes, les cinq jeunes ont construit quelque chose qui attire l’attention sur eux : un réseau Internet privé sécurisé en physique, encore meilleur donc que celui des héros de
Little Brother.
Mais ici, comme dans le roman de Cory Doctorow, cette possession illégale braque sur eux des regards qu'ils auraient voulu éviter. D'autant que le réseau privé abriterait une pièce de code « emprunté » par Gomery à la société de sa mère et dont l'importance, que personne ne comprend vraiment, semble capitale.
Quand les autorités (?) arrêtent puis séparent les jeunes, Otty entre vraiment dans un monde merdique. Falsification de son âge pour lui dénier des droits de mineure, interrogatoires illégaux, Otty est baladée de prison en prison dans un pays en guerre qui sombre dans le chaos, l'a visiblement oubliée, et n'a plus grand chose à faire d'une pauvre fille emprisonnée. Otty sera libérée après plusieurs semaines, sans raison évidente, et abandonnée comme sur le bord d'une route. Elle devra, seule, traverser des USA en ruine pour rentrer chez elle, tenter de retrouver ses amis, et, peut-être, de les venger. Elle le fera au-delà de toute ses espérances en utilisant le fameux code caché dans son réseau privé.
85%. Retour en orbite autour de la planète Dante. L'un des « dieux » – surnommé
Pan car il « jardine » et s'occupe des biomes – connaît une épiphanie et décide qu'il est temps d'expier, de libérer les
pygmies, et d'éliminer les « dieux » pour qu'advienne le temps des humains.
OK. Le tout fait un roman étonnant.
Les parties spatiales ne sont liées que très indirectement à la partie centrale bien plus développée.
Celle-ci offre une vision plutôt intéressante d'Etats-Unis en décomposition, car, par-delà les tropes maintenant presque éculés des milices, des fanatiques, et des sécessions internes, elle montre la guerre civile uniquement à travers les yeux d'une « innocente » qui ne comprend pas vraiment les tenants et aboutissants de ce qui se passe et n'a accès qu'à bien peu d'informations fiables. Restent sa peur, son inquiétude pour sa famille et ses amis, sa colère puis sa rage face à l'injustice qu'elle et ses proches subissent. Un sentiment si fort qu'il la conduira à libérer l'enfer. Un péché originel d'où naîtront, après, backstage, les post-humains qui peuplent le début et la fin du roman.
Dans les deux parties spatiales, on quitte vite les question initiales sur le pourquoi et le comment de la pyramide. On voit plutôt l'un des « dieux », Pan, pas le plus stable de tous dans la mythologie grecque, décider à la vue de sa « montagne du Purgatoire » qu'il faut maintenant expier les pêchés et que, si la condition de l'expiation est le temps, alors, comme celui-ci s'est assez longuement écoulé, le moment est venu de quitter l'Histoire. Dans la pyramide de Dante on voit clairement les condamnés au Purgatoire cheminer avec peine vers le Paradis. Et c'est long, et c'est pénible. Et ça se termine par une sortie hors du temps. Pour Pan, ce chemin en spirale a été parcouru, lui et ses compagnons doivent tirent leur révérence, par la force si nécessaire.
Le
Purgatoire, qui apparaît vraiment comme concept entre le XIIe et le XIVe siècle pour imaginer un lieu où seraient purgés les péchés véniels
(quand les mortels conduisent directement à l'Enfer), est utilisé ici pour introduire la notion de temps face aux atemporalités mortifères de l'Enfer et du Paradis, face donc à ce que pourrait être l'atemporalité d'une humanité qui aurait vaincu la mort comme certains tycoons californiens l’espèrent. Mais honnêtement c'est un peu tiré par les cheveux. A fortiori quand on sait que le développement du concept servit surtout à rendre un peu d'espoir à des Chrétiens terrorisés par l'Enfer et à permettre un contrôle social plus fin du troupeau – jusqu'à l'escroquerie. Qu'on peut donc se demander si mêmes ses promoteurs y croyaient vraiment.
On ne comprend pas non plus pourquoi ces post-humains, des siècles après l'Apocalypse, sont aussi friands de références contemporaines, sauf à supposer que la culture n'ait plus progressé depuis l'origine, ce que l'atemporalité de l'Enfer (ou du Paradis) pourrait laisser envisager mais qui n'est jamais clairement exprimé.
Et puis que fait ici l’interrogation sur l'universalité spatiale du rachat des péchés par le Christ, cette question sur la portée universelle du sacrifice christique dont JC Carrière tirera l'époustouflante
Controverse de Valladolid ? Evoquée puis laissée de côté car, de toute façon, on ne saura jamais ni le qui ni le pourquoi du BDO.
Enfin à quoi sert
l'hypothèse panpsychique, si ce n'est à être d'une manière très peu explicite la condition de possibilité de la Singularité qui advient sur Terre ? A lier, peu et mal, les deux moments du récit ?
L'ensemble donne une impression de patchwork, bien trop faiblement lié pour que la construction fasse sens, et bien trop rapide dans sa résolution pour que celle-ci paraisse crédible.
Après le très bon
La chose en soi qui prouvait qu'on pouvait allier intrigue littéraire et réflexion plus élevée, Adam Roberts – que ce genre de sujets chrétiens doit intéresser, il a écrit
Bethany en 2016 – prouve hélas ici qu'on peut aussi se rater en renouvelant le même exercice.
Purgatory Mount, Adam Roberts
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