1979. Alice, une petite fille de la classe populaire anglaise, reçoit d'une obscure tante décédée de sa mère un « legs » aussi beau que surprenant : une maison de poupée ancienne, grande et pleine de détails, toute équipée avec mobilier complet et cinq poupées habillées. Le tout dans un style début XIXe qui fait de cette maison, fabriquée en 1828 pour le fils d'un lointain ancêtre, une véritable antiquité.
La maison de poupée apporte joie et évasion à une petite fille dont le quotidien n'est pas rose. Son père, charpentier au chômage, est trop fier pour accepter un emploi en-dessous de sa qualification, et sa mère, qui fait bouillir seule la marmite, ne reçoit en remerciement qu'une agressivité croissante – motivée par le sentiment d'humiliation toxique que développe son mari qui, perdant sa superbe de pater familias, se venge sur sa femme des torts que le monde, estime-t-il, lui a fait. Tragiquement banal. Et de plus en plus dangereux quand il s'avère que l'agressivité vire au fil des ans à une violence de moins en moins contrôlée.
Conséquence : Alice se réfugie de plus en plus dans le « monde » de la maison de poupée, d'autant qu'elle découvre vite qu'il lui est possible – grâce à une formule magique – d'y entrer après avoir rapetissé, et là de vivre une vie apaisée et protégée auprès des deux aimables adultes et des trois adorables enfants qui y « vivent ». C'est son havre secret, dont ses parents n'ont pas connaissance et qui lui permet de souffler quand il est trop dur d'être à la maison et d'assister impuissante à la violence que son père exerce sur sa mère.
Puis le triste sire devient vraiment menaçant pour la vie même de son épouse.
Puis Alice apprend qu'il y a dans la maison une pièce noire, un lieu effrayant où une voix lui fait des promesses de service en échange de sa liberté.
Puis Alice fait un choix risqué qui bouleverse sa vie et celle de ses parents. Qui bouleversera un jour celle de son enfant. Qui pourrait bouleverser le destin même de l'humanité.
"The Dollhouse Family" est un comic de M. R. Carey (auteur de Celle qui a tous les dons ou La Part du monstre et aussi de l'excellent comics Lucifer). Il raconte l'histoire d'Alice, de l'enfance à l'âge adulte ; il raconte aussi en flashbacks l'histoire de la maison de poupée, des circonstances qui présidèrent à sa création, et de la « malédiction » qu'elles entraînèrent de décennies en décennies sur la famille d'Alice, jusqu'à les atteindre elle et son enfant. Il faudra être forte et ingénieuse pour survivre, car c'est bien de survie qu'il s'agit.
Dans la construction comme dans le type de personnages impliqués, on a plus qu'un fort air de Locke and Key même si les histoires sont très différentes – rappelons que Joe Hill, l'auteur de Locke and Key, dirige le label Hill House Comics dans lequel est publié "The Dollhouse Family". Passé et présent, objet magique hérité, ennemi ancestral, malédiction familiale, tels sont les ingrédients habilement mêlées de cette histoire d'horreur – à qui on peut reprocher un pouvoir d'effroi trop limité.
On côtoie aussi une lutte antédiluvienne (no spoil, vu page 1) entre entités surpuissantes, et une démone « femelle ». Les lecteurs de Lucifer ne pourront s'empêcher d'y voir une version rénovée de la lutte éternelle entre Bien et Mal que présentait le précédent comic de Carey.
Enfin, le « vrai visage » des protagonistes et leur puissance entrevue peuvent faire penser à un récit lovecraftien.
Alice, la dernière propriétaire légitime de la maison de poupée, fait le lien entre tous ces récits et aspects. Elle est le réceptacle ultime – ou presque – de deux siècles de péchés, de morts violentes, de remords, de traumatismes, de maltraitances affectives ou de violences effectives. Elle tentera de faire bien et fera souvent mal. Elle sera l'arbitre final d'une confrontation entamée voici des éons.
Par delà ses influences plus ou moins revendiquées, le comic est d'une lecture plaisante.
L'histoire se déroule à un rythme satisfaisant, et les informations sur le fonctionnement ou les origines de la maison arrivent régulièrement, le lecteur les recevant au fil des flashbacks ou en même temps qu'Alice lorsqu'elle les découvre ; le tout fait vrai.
Les personnages sont assez travaillés pour avoir une profondeur qui dépasse leur rôle dans le récit.
Les graphismes sont plutôt réussis, parfois anciens comme des illustrations de conte, parfois modernes quand ils tentent de montrer l’innommable. Notons que le lettrage de Todd Klein joue ici le même rôle d'identification du locuteur que dans Sandman – rien d'étonnant, c'est Klein qui a lettré Sandman.
The Dollhouse Family, M. R. Carey, Gross, Klein
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