Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

Daphne Byrne - Marks - Kelley


New York, fin du XIXè siècle. Daphne Byrne est une jeune fille triste. Son père est mort dans des circonstances qu'on qualifiera d'embarrassantes, sa mère Althea voit l'argent filer à toute vitesse, et c'est la ruine qui guette la micro cellule familiale. Pour l'heure, Daphne est toujours inscrite dans l'école privée de filles où elle subit le harcèlement incessant de ses condisciples, la bonne Nonie officie toujours dans la jolie maison, mais rien de tout ça ne durera. D'autant qu'Althea, désemparée comme il se doit de toute veuve bourgeoise de cette époque, dépense le peu d'argent qui reste à la famille chez une médium, Mme Swathmore, qui lui affirme pouvoir contacter son mari. On est au cœur de l’époque spirite qui permit à tant d'escrocs de vivre sur la crédulité d'une bourgeoisie impressionnable à qui les derniers feux souffreteux du mesmérisme apportaient – à prix exorbitant –  exotisme et réconfort.


Esseulée et bouleversée, Daphne tente bien de dissuader sa mère et de lui prouver que rien n'est vrai dans les assertions de Mme Swathmore, mais rien n'y fait. La pauvre femme veut croire.

Mais si les esprits d'Althea semble de facture humaine, voici que Daphne, elle, a des visions troublantes, et que la jeune fille est contactée par un mystérieux ami, un « frère », dont on ne peut guère nier la nature surnaturelle. A moins qu'il ne soit qu'un fantasme, figment de l'imagination d'une jeune fille troublée qui vient de surcroît d'entrer dans la puberté.


"Daphne Byrne" est un récit gothique victorien au plus pur sens du terme. Par ses thèmes, deuil, esprits, déchéance sociale, mésalliance, par ses moments, complot, trahison, rituels surnaturels, par ses personnages, la veuve perdue et la jeune fille perturbée environnées de forces qui ne leur veulent aucun bien, le comic raconte une histoire qui aurait pu être écrite il y a plus d'un siècle.

A un détail près : au fil des pages Daphne cessera d'être une victime facile et deviendra une personne dont il vaut mieux ne pas croiser le chemin. The times they are a-changin'. For the poor little girls.

Et si une culpabilité toute victorienne habite Daphne eu égard à son pouvoir naissant – qu'il soit réel ou métaphorique, qu'il soit le fruit d'un intromission surnaturelle ou celui tout simple de son évolution biologique –, la jeune fille saura passer outre, « s'empowerer », et endosser le manteau de la responsabilité.


Cette histoire simple mais souvent émouvante est brillamment mise en images dans le style EC horror par Kelley Jones qui accomplit ici un travail tout de références, entre les vieux comics d'horreur et des traits qui rappellent certains de ses travaux pour Sandman, voire parfois Corben pour certaines rotondités. Graphiquement très riche, l'univers donné à voir par Jones est foisonnant, rempli de détails et d'horreurs visibles dans un monde fait d'ombres et de brumes éthérées.


Daphne Byrne, Marks, Jones

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