Les Yeux Doux - Corbeyran - Colline

Futur indéterminé et résolument glauque. Arsène travaille à la chaîne dans une usine du conglomérat Atelier Universel. « Travaillait » devrais-je dire car, pour avoir pris une initiative afin de corriger une erreur de production, Arsène est renvoyé dès le début de l'album. On ne plaisante pas avec la hiérarchie dans le système tayloro-fordiste de l'Atelier Universel ; FW Taylor lui-même disait  : « On ne vous demande pas de penser ; il y a des gens payés pour cela. » Privé de son emploi, Arsène, qui vit avec sa sœur cadette Annabelle dans un tout petit appartement, devient vite invisible. Physiquement invisible car invisibilisé socialement par la perte de son statut dans un monde qui définit les êtres par leur place dans le système de production. Et la situation va encore s'aggraver pour le frère et la sœur. Anatole Souclavier, lui, travaille pour Les Yeux Doux, le système de surveillance global par caméra qui épie en permanence les citoyens (sujets?) af...

Histoire de la science fiction - Dollo - Morrissette-Phan


Recommandé par ActuSF.com (un sticker qui vaut bien chez nous un bandeau Obama-approved), coproduit par Critic et les Humanoïdes Associés, voici qu'arrive "Histoire de la science fiction" de Xavier Dollo et Djibril Morissette-Phan.
Et c'est un must-have, tant pour le « peuple de la SF » dont parlait le regretté Roland C. Wagner que pour tout honnête homme s'intéressant à la littérature.

Car, par-delà une généalogie des auteurs et des œuvres, ce que livre Dollo ici, c'est une histoire de la littérature de science fiction en tant que partie de la littérature comme espace de production, plus encore qu'une histoire de la science fiction en tant que type de récit.
En effet, en 215 pages qui vont de l'Odyssée d'Homère aux auteurs contemporains, Dollo propose bien sûr une histoire des histoires d'Imaginaire, mais aussi et surtout – et c'est sans doute ce qui rend cet ouvrage unique – une histoire de la construction sociale de la littérature de science fiction.

Divisé en douze parties logiques :

  • Les origines, de l'Odyssée à Frankenstein
  • Jules Verne
  • H.G. Wells
  • L'ère des pulps
  • SF française et merveilleux scientifique
  • L'âge d'or de la SF américaine
  • La New Wave anglaise (et non, on n'y parle pas de Spandau Ballet)
  • L'alternative américaine
  • La SF américaine féminine
  • Le cyberpunk
  • La SF française moderne
  • Le reste du monde (une expression dont on m'a dit un jour qu'elle n'existait qu'en français)

l'ouvrage balaie non seulement l'histoire des auteurs et des œuvres ainsi que les filiations qui les relient d'un point de vue généalogique, mais aussi – et le passionnant est là – la manière dont ces œuvres arrivèrent à la connaissance du public, la manière dont – à contrario des fantaisies de certains auteurs du passé qui se piquèrent un jour d'écrire un récit « impossible » au milieu d'une production plus prosaïque – se constitua à partir du XIXè siècle un champ de la littérature de science fiction, autonome de la littérature générale, fait d'auteurs et d'éditeurs (parfois les mêmes), de maisons d'édition spécialisées, de niches jalousement gardées, de mécanismes de validation (les Prix), de solidarités engendrées par l'intérêt commun à faire vivre le champ, de luttes internes aussi pour le contrôle et la définition du champ (les pudeurs de gazelle autour de la Red Team en sont le dernier avatar, jusqu'au prochain).

Des revues aux livres, des déchirements autour de questions politiques à ceux portant sur les caractéristiques d’une bonne histoire de science fiction (si j'osais j'ajouterais Du sense of wonder à la SF métaphysique), c'est un champ de lutte bourdieusein que décrit Dollo, un champ qu'il faut construire puis faire exister pour pouvoir prétendre à s'y trouver en tant qu'auteur ou qu'éditeur de science fiction. Ce qu'écrit Dollo ici, c'est les Règles de l'art de la science fiction. Qu'il en soit remercié.

Je ne fais jamais long sur des ouvrages de non-fiction ; le temps de la rédaction de fiches de lecture détaillées est loin derrière moi.
Mais faire court ne signifie pas faire terne.
Soyons donc enthousiastes, lecteur, envers le maître-ouvrage de Xavier Dollo et Djibril Morissette-Phan.
Doublement enthousiaste : d'abord pour l'histoire qu'il livre et dont je ne crois pas qu'elle existe ailleurs, ensuite et tout autant pour les nombreux récapitulatifs et listes idéales illustrées qu'il propose, de thèmes, d'auteurs, de livres, de films, de BD, etc.
Un seul regret : l'absence d'un index, même si le sommaire en tient plus ou moins lieu.

Histoire de la science fiction, Xavier Dollo, Djibril Morissette-Phan

Commentaires

Baroona a dit…
J'étais moyennement tenté, ayant un peu peur du côté empilement d'oeuvres et d'auteurs, mais l'aspect "construction sociale" me convainc tout à fait, une riche idée.
Gromovar a dit…
Alors c'est parti :)
shaya a dit…
Merci pour ton avis, je n'avais pas spécialement repéré cet essai mais il me tente beaucoup, i est noté !
Soleil vert a dit…
"c'est un champ de lutte bourdieusein que décrit Dollo"

Est ce que pour toi, la SF campbellienne est centrale, au sens où Heinlein et consorts obéissaient à des codes d'écriture fixés par Astouding ?

SV
Gromovar a dit…
Sans doute. Et si on devait donner le nom de la personne qui a le plus contribué à façonner la SF comme champ autonome, je pense que celui de Campbell serait le candidat évident - quelle que soit les limites évidentes de ce type d'exercice, tant Luther ne fut pas Luther tout seul. Il a donné à la chose (désolé) une forme et un lieu où l'exprimer.