The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Vann Nath - Mastragostino - Castaldi


Le 17 avril 1975, après presque dix ans de guerre civile et en pleine Guerre Froide, le Parti communiste du Kampuchea, plus connu sous le nom de khmers rouges, chasse le gouvernement en place et prend le pouvoir dans le pays. C’est le début d’un régime totalitaire maoïste, aussi dément que sanglant qui, en quatre ans seulement, provoqua la mort de 2 millions de personnes sur 8 millions de Cambodgiens. 25% de morts, comme si un régime français provoquait en quatre ans la mort de 17 millions de citoyens, la plupart parfaitement innocents de tout crime.


Durant ces quatre années d’enfer, l’Angkar, l’organisation du parti, contrôle tout et veut créer un homme nouveau, en réformant par la force une partie de sa population, et en éliminant une autre partie sans la moindre raison compréhensible pour qui n’est pas habité par la folie meurtrière du régime. Si le « peuple des campagnes » est considéré par les khmers rouges comme sain, les autres, le « peuple des villes », est corrompu, contaminé par « l’esprit et l’impérialisme bourgeois », et doit être excisé ou régénéré. L’Angkar s’y emploiera avec zèle et constance.

Emprisonnements, meurtres (y compris de tous petits enfants projetés contre des arbres), tortures (aussi variées que cruelles), exil intérieur des citadins vers les campagnes, le régime khmer rouge accomplit une oeuvre de mort presque sans égale par son ampleur et son caractère aussi méthodique que déterminé.

Pour les khmers rouges, la fin justifie les moyens quels qu’il soient, et l’éradication des ennemis de la révolution ne doit être arrêtée par aucune considération morale. De l'irrationalité en finalité comme aurait dit l'autre.


De tous les lieux de la folie criminelle khmer, le plus sinistrement célèbre est la prison S-21, l’une des 169 créées par le régime sans oublier les lieux d’exécution ou ceux de redressement idéologique qui étaient, de fait, des lieux d’esclavage à mort. En quatre ans, 17000 prisonniers ont été retenus au S-21, affamés, torturés, photographiés (!), avant d’être dirigés vers un lieu d’exécution tel que Choeung Ek ; sept seulement ont survécu.

Au S-21 on dit : « A te garder, aucun profit ; à te supprimer, aucune perte » ; on y applique le principe Kamtech : « C’est détruire, puis effacer toute trace. Qu’il ne reste rien de la vie et rien de la mort ».



Au S-21, dont le commandant Douch affirma plus tard « Chaque cadre, chaque unité est comme un sabre et pour savoir si le sabre est tranchant, il faut l’utiliser », se trouve emmené un jour le peintre Vann Nath, un nobody arrivé ici sur dénonciation. De qui ? Pourquoi ? Il ne le sait pas, il ne le saura jamais. Et ça n’a aucune importance de toute façon, ni pour ce qui lui arrive, ni pour ses tortionnaires. « L’Angkar n’est pas bête, il n’arrête jamais de gens innocents ».

Vann Nath va passer un peu plus d’un an dans la prison, une durée très inhabituelle car les prisonniers étaient à intervalles réguliers emmenés pour être exécutés, après avoir avoué n’importe quoi sous la torture. Il ne dut son salut qu’au fait que le régime voulait des peintres officiels du dictateur Pol Pot et qu’il en devint un - sans cesser d’être soumis à la menace constante d’être exécuté si une de ses peintures ou lui-même venaient à déplaire. Ceci n’arriva jamais, et en 1979, quand le régime s’effondra, l’homme put rentrer chez lui où il retrouva sa femme et découvrit que son fils était mort.


Après sa libération, l’esprit plein des horreurs vues et subies, Vann Nath peindra de nombreux tableaux décrivant ce qu’il avait vu ou entendu. Il travaillera également avec le cinéaste cambodgien Rithy Panh sur un documentaire qui décrivait le système d’extermination khmer rouge. Il témoignera enfin lors du procès de Douch pour crime contre l’humanité entre 2009 et 2010. Ses carnets de peintures furent largement distribués dans le pays pour servir la mémoire du génocide et l’enseigner aux cambodgiens contemporains afin de les mettre en garde.


L’album est une biographie sélective et déstructurée de Vann Nath, de l’arrivée des khmers rouges au pouvoir au procès de Douch. On y voit son emprisonnement, la mission de peindre qu’il s’assigne après 1979 en retournant sans cesse sur les lieux de son emprisonnement, celle de témoigner, vers la fin de sa vie, tant pour la caméra que dans les prétoires.

C’est une histoire très forte (qui, reproche, met du temps à démarrer) qui n’est pas celle du Cambodge sous la terreur mais celle de la terreur à travers les yeux et la vie de Vann Nath, l’une des rares victimes innocentes du régime khmer rouge qui conserva la vie et put raconter après.


C’est à lire absolument, pour voir, savoir, et rendre hommage au travail de Vann Nath - et je dis ça alors même que je ne suis guère fan du dessin, très (trop) volontairement minimal et distant. L’album y perd graphiquement une partie de la force choquante de son récit ; ce n’était pas le cas par exemple pour l’album sur Alain de Moneys. Mais qu’importe, c’est vraiment à lire quand même.


Vann Nath, Mastragostino, Gastaldi

On trouve ici une description complète de l’horreur que fut la prison S-21. Je pense qu’il est utile de lire.

Commentaires

Baroona a dit…
Je n'avais pas vu passer cette sortie, merci. Je note consciencieusement, en tant que "devoir de mémoire".