Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

Missile Gap - Charles Stross

Le "Missile Gap" (le titre VO de la nouvelle L’écart de missiles, téléchargeable en cliquant ici) est un concept de la Guerre Froide qui désignait l'écart existant entre le nombre de missiles nucléaires dont les USA disposaient et celui dont pouvait se prévaloir l’URSS. L’affirmation politique, durant les années 60, est que ce missile gap est positif et que les USA ont donc un avantage numérique incontestable sur l’URSS. Ce concept et l’estimation de l’écart furent des sujets de controverses durant les années 60 et 70.

Années 60, peu après la crise des missiles de Cuba. La Terre toute entière, hommes, animaux, plantes, villes, routes et campagnes, a été transportée mystérieusement ailleurs (précisément dans le Petit nuage de Magellan, à l’extérieur donc de la Voie Lactée), sur un disque aux dimensions proprement inimaginables (un rayon estimé de 375 millions de kilomètres, et une surface de plusieurs milliards de Terre).

La Terre, dépliée en quelque sorte, a été déposée sur l’un des très nombreux continents de ce disque, et les Humains, de gré ou de force, vont devoir se faire à ce nouvel environnement, qui permet sans problème la vie de type terrestre mais empêche par exemple tout vol spatial du fait d’une vitesse de libération que les caractéristiques du disque rendent bien trop élevée pour espérer une quelconque sortie du puits de gravité. Empêche aussi les déplacements rapides, et fait donc des colons ou explorateurs humains du disque des hommes lents semblables à leurs ancêtres du 17è ou 18è siècle alors qu'ils arpentent de nouveau un chemin d’expansion que guide leur foi en une destinée manifeste de l’humanité. Empêche enfin les missiles nucléaires des uns et des autres d’atteindre leur but désigné, ce qui plonge les deux gouvernements concernés et leurs deux états-majors dans un désarroi difficile à surmonter qui n'est pas sans rappeler les transes de la fin de Docteur Folamour lorsqu'il s'agit de savoir qui se reproduira le plus dans les souterrains post-nucléaires.


Déplacés, déportés, coincés, reste pour les Humains à explorer leur Terre déformée, c'est à dire, bien sûr, on ne se refait pas, à s'élancer à l'assaut du reste du disque, à savoir des autres continents, pour, pourquoi pas, les coloniser.
Et surtout, pour les Américains comme pour les Soviétiques, à continuer de se méfier chacun de l’autre superpuissance et de tenter par tout moyen d’étendre son influence et de rallier le plus grand nombre d’Humains et/ou d’Aliens (si on en trouve sur le disque) à sa cause idéologique.


Pour les Robinson terriens se posent donc quantité de questions :
Qui a transporté la Terre sur ce disque ?
Pourquoi ? Avec quelle technologie tellement surhumaine qu’elle en devient presque magique ?
Le reste du disque est-il appropriable ?
Y a-t-il d’autres races que la race humaine sur le disque (la réponse est oui) ?
Et surtout, surtout, surtout, surtout, comment ne pas se faire distancer par son adversaire idéologique quand on est l’un des deux Grands ?

Avec "Missile Gap", Charles Stross livre un de ces textes courts dont il a le secret, à la fois drôle et documenté. Dans ce mix heureux de Omale et de Docteur Folamour, Stross prouve à ses lecteurs que lorsque le sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt. Que quand l’idiot se pose des questions idiotes, il néglige celles qui compteraient vraiment. Que l'anthropocentrime, bien plus que la curiosité, tue le chat. Et que quand on parle de menaces technologiques, la menace et le menacé ne sont pas là où le lecteur les croirait de prime abord.


Centrant son récit autour d’un biologiste rejouant Humboldt, d’un Youri Gagarine envoyé sur les océans du disque porter loin et fort la bonne parole communiste et se retrouvant sans s’y attendre dans le rôle de Charlton Heston, d'un Carl Sagan en danger (une guest star dont le rôle n’est pas que de faire de la figuration), et surtout de deux membres des services de renseignement, Gregor et Brundle, deux agents très secrets dont les noms et/ou prénoms nous disent bien des choses sur eux pourvu qu’on sache lire, "Missile Gap" est un texte amusant, surprenant, intrigant, glaçant aussi dans son genre. Une lecture à faire, pour un bon petit moment de plaisir à la Cinquième Dimension, une lecture pour laquelle on peut remercier les gens d’Exoglyphes qui ont traduit le texte VO.

Missile Gap, Charles Stross


L'avis d'Apophis

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