Rich Larson est un jeune auteur de SF, né au Niger, qui a beaucoup roulé sa bosse entre Amérique et Europe. A seulement 28 ans, le gars a déjà publiée un roman et un grand nombre de nouvelles dont beaucoup ont été primées.
Souvent comparé à Greg Egan, parfois qualifié de post-éganien, il est aujourd'hui publié en français au Bélial. Rien d'étonnant, la maison française du très mystérieux Greg Egan accueille aujourd'hui celui que d'aucuns nomment son successeur. C'est donc un gros recueil de 28 textes, sélectionnés et organisés par
Quarante-Deux et traduits par Pierre-Paul Durastanti
(il n'a pas de site le bougre), que propose la maison d'édition démoniaque, pour une première rencontre qui ne sera sûrement pas la dernière.
28 textes, donc, c'est à dire beaucoup, ce qui me pousse vers la revue de synthèse plus que vers celle de détail :
De sa naissance africaine, Larson a gardé une affection particulière pour un continent dont il peut dire la beauté et les dangers, dont il est capable d'imaginer comment il intègre(ra) les nouvelles technologies que le futur rend(ra) disponible.
C'est d'ailleurs dès le titre du recueil, "La fabrique des lendemains", traduction littérale du VO Tomorrow Factory, qu'on comprend que si Larson a un projet littéraire c'est pour l'essentiel de faire entrer son lecteur dans un futur proche, de le projeter dans un new normal qui sera vraisemblablement celui des prochaines décennies – avant de l'expédier vers des temps ou des lieux plus éloignés de nous. Et de ce futur, l'Afrique, comme tous les autres lieux de la Terre, sera partie, à sa manière propre, avec ses propres syncrétismes, comme le disait Ian Mc Donald quand il affirmait, à contrario de Gibson, que le futur était déjà partout mais qu'il n'était pas approprié partout de la même manière.
C'est donc dans un monde prolongement du nôtre, où prothèses biomécaniques et modifications génétiques plus ou moins radicales sont au minimum courantes, que Larson envoie son lecteur.
Un monde qui a globalement mal tourné.
Un monde de catharsis conclusive, de séparation extrême, entre les survivants en fuite du désastre environnemental et de surprenants laissés pour compte sur Terre par exemple, entre une minuscule élite post-humaine qui rappelle un peu les Humains du Ilium de Dan Simmons et un lumpenproletariat réduit en servitude, entre des sédentaires à préserver et des nomades à éradiquer (un peu comme dans le « génocide nécessaire » de Thomas Day), entre une humanité à sauver et un culte de la mort extinctionniste, etc.
Dans le monde de Larson, ceux qu'on appelle aujourd'hui « les perdants de la mondialisation » ont perdu plus que leurs revenus ou leur sécurité, c'est souvent leur vie même qui leur a été arrachée ou qui peut l'être à tout instant. C'est vrai en Afrique, c'est vrai dans les villes imaginaires de l'auteur, ou encore dans les champs futurs mais très réels d'une Andalousie post-apo.
Dans ces mondes largement déshumanisés, aux deux sens du terme, les robots sont parfois les seules entités faisant montre d'humanité ou sens où nous l'entendons. Humanité qu'on retrouve aussi chez les quelques chimères néandertalienne, chimpanzée, ou IA, qui émaillent le recueil. Etrange et fascinant renversement !
Dans le monde de Larson, on peut parfois aussi se cloner, se numériser, mais, bien sûr, tous ces services complexes sont « inégalement distribués » comme dirait Gibson. La mort, seule grande aventure égalitaire de l'humanité, ne l'est plus tant que ça dans le futur imaginé ici.
On cherche aussi l'âme sœur ou on fait quantité d'autres choses sur des sites en ligne ou des réseaux sociaux ; Larson traite plutôt ces thèmes à la rigolade. On peut rembobiner ses sentiments, ses souvenirs, modifier les états émotionnels (quid alors de l'amour ?), ou s'amuser à la folie en s'injectant des maladies expérimentales comme les influenceuses du collagène.
On peut aussi louer son corps à fin de chevauchement,
devenir les cavales technologiques de loas qui ne sont rien d'autre que de riches clients. Et là on ne rigole plus, plongé qu'on est dans une nouvelle évolution consternante des rapports inter-humains
(qui a dit GPA ?), que ce soit sur Terre ou dans les profondeurs de l'espace.
Je pourrais continuer, je vais arrêter avant de lasser.
Qu'on sache donc que le recueil est une vraie réussite et Larson un auteur à garder à l’œil pour longtemps.
Touchant à quantité de styles, allant du cyberpunk au thriller à la SF et autres, mêlant cyberpunk, biopunk, post-apo, Larson s'autorise aussi une nouvelle de SF absolument magistrale qui met en scène une civilisation de céphalopodes qui rappelle finalement plus dans sa narration
Les enfants de Mercure de Baxter que le
Children of Ruin de Tchaikovsky sans oublier les folies éganiennes d'explorations extrêmes et incomprises telles qu'on en trouve dans
Phoresis. Il touche à tout avec un égal bonheur.
On pense bien sûr à Egan ou à Chiang, à Liu aussi pour son attention à l'humain, mais par moments c'est aussi l'Omelas de Le Guin ou la Terre Mourante de Vance qui viennent à l'esprit. Il y a de tout pour chacun dans ce recueil.
Il y a bien des années, j'ai acheté Neuromancien sans savoir vraiment ce que c'était et je suis resté scotché de la première à la dernière page. Il m'est arrivé la même chose ici. Dans les deux cas, un auteur visionnaire présente un futur qui allie, sans solution de continuité, hypothèses crédibles et époustouflant sense of wonder, qui offre donc à son lecteur un émerveillement intellectuellement acceptable. Du grand art.
La fabrique des lendemains, Rich Larson
Commentaires
Merci pour ce chouette papier.