France (et monde), 2040. Foogle (là, déjà, on sent que ça va être bien, que ça va être du roman à clef de haute volée) rend public l'accès à toutes les données
personnelles des individus, sans exception, depuis le tout premier sms envoyé
– qui avait donc été stocké, quelque part dans l'empyrée des fermes de
serveurs.
Conséquence : la société (ce qu'il en restait) implose ; les derniers liens
sociaux se délitent quand chacun peut connaître les mensonges et bassesses des
autres, chacun découvrant à cette occasion qu'il est l'autre de tous les
autres.
Heureusement, pour pallier à autrui, les premiers androïdes arrivent
sur le marché. Compagnons, assistants, partenaires sexuels, ils sont en 2040
une version humanisée des smartphones, aussi intrusifs, prévenants, addictifs,
sclérosants, que les nôtres, le sexe – personnalisé – en plus.
Après – grâce à ? – cet effondrement moral, et malgré quelques frétillements
protestataires, les géants de l’agroalimentaire, de la finance, du numérique,
et de la pharmacie, fusionnent sans coup férir en un conglomérat géant baptisé
DEUS (!) qui surplombe et remplace de fait les Etats. La population mondiale
est alors divisée en trois ordres : 5% d'Elites, 25% de Désignés, 70%
d'Inutiles. Les Elites, dans un luxe obscène, dominent et visent à
l'immortalité, les Désignés – rouages utiles du système – font ce qui n'est
pas automatisable et vivent dans la crainte d'être relégués au rang
d'Inutiles, ces surnuméraires de la production qui sont vite renvoyés aux
marges, hors des villes, vers un destin incertain que les Désignés ne veulent
pas connaître.
En 2050, Max, le narrateur, un quelconque écrivain quinquagénaire devenu
scénariste de fiction-réalité, échappe à la dépression en tombant fou amoureux
de son androïde, Jane. Elle prévient tous ses désirs, le comble sexuellement,
l'habitue au soma, le remet dans le droit chemin de la consommation et de
l'hédonisme. Mais des changements se profilent, une nouvelle génération
d'andros est en route, l’IA qui les contrôle change, et Max décide qu'il est
temps de soigner son malaise d’insider précaire en allant à la recherche de
son fils, exilé depuis dix ans dans les terres Inutiles. Il y découvre un mode
de vie plus « humain », que menace une monstrueuse « solution finale ».
Ici c'est à toi, lecteur de Bifrost, que je m'adresse, toi qui connais tes
dystopies sur le bout des doigts.
Un roman qui met Harari en exergue ne peut
te convenir. Et de fait, passé cette première page inquiétante, le reste suit.
Certes, Jacquier écrit plutôt bien.
Mais le première partie – inside – ne fait
qu'aligner des choses sues – sur les mégacorps, le délitement du lien et de
l'intimité, l'addiction aux systèmes technologiques – sans rien apporter de
neuf.
La seconde partie – outside – est baignée dans un irénisme si béat qu’il
en devient presque gênant. « J'aime…J'aime…J'adore…J'adore…Fête…Partage »,
etc. sont les maîtres mots de la description que fait Max de sa vie dans la
communauté Inutile bretonne qui, après avoir dépassé le moment émotif de la
guerre, est passée au stade de la raison aimable et de la coopération
bienveillante – et, jusque dans ses rapports avec un extérieur menaçant, évoque parfois un peu le
village de Barbapapa.
Jacquier a visiblement beaucoup lu, mais la
vulgarisation qu'il offre manque de mesure. A peindre sans nuance le Bien et
le Mal, il livre un ouvrage qui ravira les convaincus et consternera les
autres. Si ces sujets importants – l'emprise technologique, l'individualisme
consumériste, les zones autonomes permanentes , ou encore la résonance –
t'intéressent, lecteur, autant (re)lire Marcuse, Habermas, Hakim Bey, Latour,
Hartmut Rosa, ou même Huxley qui avait au moins su faire de sa dystopie une
expérience littéraire amusante et en avance sur son temps.
Simili Love, Antoine Jacquier
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