The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Quitter les Monts d'Automne - Emilie Querbalec


"Quitter les Monts d'Automne" est un roman dont la couverture dit tout le contexte. On y voit une femme en habit traditionnel japonais, debout sur un chemin herbacé entre une lanterne classique et une sorte de tour hitech, observant des cieux parcourus de vaisseaux spatiaux. Tout y est. Et sous cette fort belle couverture se dissimule un fort beau texte.

An 13111. Kaori est une petite fille de 10 ans qui vit dans les Monts d'Automne, au sein de la troupe d'artistes de Lasana, sa grand-mère, qui l'a recueillie après la mort de ses parents dans l'incendie de leur maison. Dernière d'une longue lignée de conteuses, Kaori n'a pas connu le Ravissement, ce moment imprévisible et extatique lors duquel les vrais conteurs accèdent pour la première fois au Dit. Sans Ravissement, elle sera danseuse, à son grand dépit. Car le Dit est un don qui permet aux conteurs d'accéder – sans savoir comment ni se souvenir des détails – à une forme mystérieuse de mémoire héréditaire, et ainsi de conter, pour un public passionné et très demandeur, des mythes et récits merveilleux et hauts en couleurs. Les grands conteurs sont logiquement célèbres et respectés ; ils conservent une « mémoire ancestrale » à l'origine obscure et la transmettent à la population.

Kaori n'a pas ce don, tout au plus fait-elle des rêves récurrents dans lesquels elle voit une belle dame en mauve calligraphier élégamment sur des rouleaux de papier. C'est peu.

Les années passent et Lasana meurt de sa belle mort. Seule après la débandade de la troupe, Kaori découvre que sa grand-mère lui a légué un étui verrouillé dans lequel se trouve un rouleau de calligraphie. Bien incapable de lire le rouleau, elle ne pourrait pas non plus « l'écrire », ne sachant faire ni l'un ni l'autre. Car sur Tasai, la planète de Kaori, toute écriture est proscrite sous peine de mort par les moines Talanké – les gardiens et serviteurs du Flux, un système omniprésent de transmission d'énergie et d'informations qu'ils sont les seuls à maîtriser.

Qui a donc écrit le rouleau ?
Que signifie-t-il ?
Comment Lasana est-elle entrée en possession d'un tel objet ?
Que devrait en faire Kaori – hormis le seul coup sûr qui serait de le détruire ?
Et en quoi tout ceci est-il lié à son origine et à sa famille ?

Ce sont toutes les questions auxquelles la jeune femme va chercher des réponses, d'abord dans la capitale auprès de Maitre Toishi – un conteur respecté qui avait visité sa grand-mère en 13111 et semblait en savoir long sur sa famille et le sort de ses parents –, puis, sous la direction de surprenants aventuriers, loin de Tasai, pour un voyage qui l’entraînera littéralement vers l'infini et au-delà.

"Quitter les Monts d'Automne" est un roman qui commence dans un cadre de planet opera. Tasai est un monde lotech qui rappelle fortement le Japon médiéval. La beauté y est respectée, l'ordre et l'autorité plus encore.
La société est structurée selon un système hiérarchique très strict auquel nul ne peut déroger. Chacun connaît sa place dans l'échelle sociale, chacun sait ce qu'on attend de lui en raison de cette place même, chacun connaît les normes à respecter, formelles ou non, et les sanctions qu’entraînent leur non respect.
Dans le patriarcat local, aux nombreuses règles de bienséance et relations d'autorité ou de subordination qui structurent toute l'existence, s'ajoutent pour les femmes des contraintes supplémentaires du fait même de leur genre. Tenues d'être discrètes et modestes (à tous les sens du terme), elles sont vues comme essentiellement décoratives et se doivent de correspondre à cette définition hétéronomique d'identité. Kaori, toute en retenue, crainte, et culpabilité, et en dépit d'une certaine originalité et indiscipline rafraîchissantes, se conforme à ces règles. Ce sont celles de son monde, le poisson ne peut guère se révolter contre l'eau.

Quittant Tasai (ce n'est pas un grand spoil au vu de la couv', mais je n'en dirai pas plus, le lecteur doit découvrir vers quels lieux et quelles révélations), Kaori se frotte à d'autres systèmes sociaux, d'autres cultures, bien plus individualistes que la sienne, et découvre qu'il lui est possible peu ou prou de changer, voire de se définir elle-même – même si personne ne se définit jamais totalement librement, la socialisation est une dure maîtresse.

Remontant vers sa source telle un saumon vers sa zone de frai – comme guidée sur des rails qu'obstruent maints obstacles et barrages –, la jeune femme comprendra peu à peu qui elle est, ce qu'est la Ravissement, qu'elle est son histoire personnelle. Elle découvrira aussi une cosmogonie qui explique tant son monde que tout ce qu'elle a vu après l'avoir quitté.

"Quitter les Monts d'Automne" est un roman à l'écriture magnifique. Emilie Querbalec décrit un monde qui ressemble à celui du Dit du Genji (ref. explicite) dans lequel se trouveraient quelques éléments hitech et une faune alien qui n'a rien à voir avec celle du Japon de quelque siècle que ce soit. Elle raconte une histoire périlleuse qui est autant interne (en réflexions, rêves, et craintes, d'une jeune femme obligée par les circonstances à briser le carcan des conventions qui l'entravent) qu'externe car la quête de Kaori est loin d'être simple ou brève ou paisible.

La qualité des descriptions, tant internes qu'externes, tient à un grand souci porté aux détails ainsi qu'à un choix de vocabulaire et d'images aussi large que poétique. Querbalec évoque la douceur d'un paysage saisi sous la bonne lumière, la perfection d'un mouvement de danse ou d'un moment social codifié, la douceur du contact amical ou amoureux, le tourment qui agite une jeune femme prise dans un momentum à la portée proprement inimaginable. Tout est parfait, il n'y a pas de fausse note, on ne prend pas en défaut ce style impeccable. Il parvient même à faire passer quelques longueurs dans le Palais du Ciel.

Embarquée dans une quête qui peut faire fantasy, Kaori est une héroïne science-fictive au vrai sens du terme. Son voyage (et les détails de celui-ci) l'est, les personnages qu'elle croise aussi, même si leur nature peut parfois évoquer la fantasy, situés qu'ils sont dans une uncanny valley qui exclut l'explication alien – « toute technologie suffisamment avancée... »

"Quitter les Monts d'Automne" est donc un faux entre-deux qui est un vrai roman SF, réussi car le propos et son traitement sont évidemment science-fictifs (si on veut se spoiler on peut suivre ce lien, je le déconseille vivement) et que même l'utilisation de l'archétype de la quête est justifiable car ici c'est d'une quête des origines qu'il s'agit. Partir pour se trouver est un classique. Combien de romans décrivent ce type de processus sans être des romans de fantasy ? Cette quête est un universel, ici étendu au-delà de l'individu quêtant même.

C'est à un beau voyage que le lecteur est convié, dans de beaux lieux bellement décrits, en compagnie de personnes dont la description est belle aussi, et vers une fin qui répond à toutes les questions qui torturaient Kaori et le lecteur avec elle. Mémoire et transmission sont au centre du récit, centré sur le pouvoir des femmes de faire le lien entre toutes les générations.

Note finale : en dépit de ce qu'annonce la 4e de couv', l'érotisme subtil du récit m'a échappé, il devait être trop subtil pour moi.

Quitter les Monts d'Automne, Emilie Querbalec

Commentaires

Lhisbei a dit…
Bon je ne lis pas ta chro (parce que je n'aurais pas le temps de l'oublier d'ici ma lecture, mais je retiens le "bluffant" et t'informe que, si tu veux, cette entre dans le magnifique, merveilleux et inégalable challenge de l'été, le Très Grand Summer Star Wars)
Gromovar a dit…
C'est fait. Et tu peux lire ne diagonale, ça ne spoile quasi rien.

J'ai failli parler de la puissance invaincue des femmes (tu comprendras à la lecture du livre) puis j'ai trouvé que l'expression était bête et que surtout je n'étais pas crédible ;)
Lhisbei a dit…
Coucou,

je repasse ici maintenant qu'il est lu et chroniqué :p

L'érotisme c'est la danse et le jeu de séduction avec Yukio je ne vois que ça. (bon et peut-être que les motivation de la Sylphe qui veut la voir danser ne sont pas nettes nettes non plus)

T'es pas assez ownvoice pour être crédible (ceci est un troll, yes sir :p je sors)
Gromovar a dit…
Mouais. Léger quand même l'érotisme ;)

Clair, si j'étais un Japonais de l'espace j'aurais sûrement mieux compris les tenants et aboutissants de cette affaire ;)