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Quitter les Monts d'Automne" est un roman dont la couverture dit
tout le contexte. On y voit une femme en habit traditionnel japonais, debout sur
un chemin herbacé entre une lanterne classique et une sorte de tour hitech,
observant des cieux parcourus de vaisseaux spatiaux. Tout y est. Et sous cette
fort belle couverture se dissimule un fort beau texte.
An 13111.
Kaori est une petite fille de 10 ans qui vit dans les Monts d'Automne, au sein
de la troupe d'artistes de Lasana, sa grand-mère, qui l'a recueillie après la
mort de ses parents dans l'incendie de leur maison. Dernière d'une longue lignée
de conteuses, Kaori n'a pas connu le Ravissement, ce moment imprévisible et
extatique lors duquel les vrais conteurs accèdent pour la première fois au Dit.
Sans Ravissement, elle sera danseuse, à son grand dépit. Car le Dit est un don
qui permet aux conteurs d'accéder – sans savoir comment ni se souvenir des
détails – à une forme mystérieuse de mémoire héréditaire, et ainsi de conter,
pour un public passionné et très demandeur, des mythes et récits merveilleux et
hauts en couleurs. Les grands conteurs sont logiquement célèbres et respectés ;
ils conservent une « mémoire ancestrale » à l'origine obscure et la transmettent
à la population.
Kaori n'a pas ce don, tout au plus fait-elle des
rêves récurrents dans lesquels elle voit une belle dame en mauve calligraphier
élégamment sur des rouleaux de papier. C'est peu.
Les années passent
et Lasana meurt de sa belle mort. Seule après la débandade de la troupe, Kaori
découvre que sa grand-mère lui a légué un étui verrouillé dans lequel se trouve
un rouleau de calligraphie. Bien incapable de lire le rouleau, elle ne pourrait
pas non plus « l'écrire », ne sachant faire ni l'un ni l'autre. Car sur Tasai,
la planète de Kaori, toute écriture est proscrite sous peine de mort par les
moines Talanké – les gardiens et serviteurs du Flux, un système omniprésent de
transmission d'énergie et d'informations qu'ils sont les seuls à maîtriser.
Qui
a donc écrit le rouleau ?
Que signifie-t-il ?
Comment Lasana est-elle entrée en possession d'un tel objet ?
Que devrait en faire Kaori – hormis le seul coup sûr qui serait de le détruire
?
Et en quoi tout ceci est-il lié à son origine et à sa famille ?
Ce
sont toutes les questions auxquelles la jeune femme va chercher des réponses,
d'abord dans la capitale auprès de Maitre Toishi – un conteur respecté qui
avait visité sa grand-mère en 13111 et semblait en savoir long sur sa famille
et le sort de ses parents –, puis, sous la direction de surprenants
aventuriers, loin de Tasai, pour un voyage qui l’entraînera littéralement vers
l'infini et au-delà.
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Quitter les Monts d'Automne" est un
roman qui commence dans un cadre de planet opera. Tasai est un monde lotech
qui rappelle fortement le Japon médiéval. La beauté y est respectée, l'ordre
et l'autorité plus encore.
La société est structurée selon un système
hiérarchique très strict auquel nul ne peut déroger. Chacun connaît sa place
dans l'échelle sociale, chacun sait ce qu'on attend de lui en raison de cette
place même, chacun connaît les normes à respecter, formelles ou non, et les
sanctions qu’entraînent leur non respect.
Dans le patriarcat local, aux
nombreuses règles de bienséance et relations d'autorité ou de subordination
qui structurent toute l'existence, s'ajoutent pour les femmes des contraintes
supplémentaires du fait même de leur genre. Tenues d'être discrètes et
modestes
(à tous les sens du terme), elles sont vues comme
essentiellement décoratives et se doivent de correspondre à cette définition
hétéronomique d'identité. Kaori, toute en retenue, crainte, et culpabilité, et
en dépit d'une certaine originalité et indiscipline rafraîchissantes, se
conforme à ces règles. Ce sont celles de son monde, le poisson ne peut guère
se révolter contre l'eau.
Quittant Tasai
(ce n'est pas un grand spoil au vu de la couv', mais je n'en dirai pas
plus, le lecteur doit découvrir vers quels lieux et quelles révélations), Kaori se frotte à d'autres systèmes sociaux, d'autres cultures, bien plus
individualistes que la sienne, et découvre qu'il lui est possible peu ou prou
de changer, voire de se définir elle-même – même si personne ne se définit
jamais totalement librement, la socialisation est une dure maîtresse.
Remontant
vers sa source telle un saumon vers sa zone de frai – comme guidée sur des
rails qu'obstruent maints obstacles et barrages –, la jeune femme comprendra
peu à peu qui elle est, ce qu'est la Ravissement, qu'elle est son histoire
personnelle. Elle découvrira aussi une cosmogonie qui explique tant son monde
que tout ce qu'elle a vu après l'avoir quitté.
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Quitter les Monts d'Automne" est un roman à l'écriture magnifique. Emilie Querbalec décrit un monde qui
ressemble à celui du
Dit du Genji
(ref. explicite) dans lequel se trouveraient quelques éléments hitech
et une faune alien qui n'a rien à voir avec celle du Japon de quelque siècle
que ce soit. Elle raconte une histoire périlleuse qui est autant interne
(en réflexions, rêves, et craintes, d'une jeune femme obligée par les
circonstances à briser le carcan des conventions qui l'entravent)
qu'externe car la quête de Kaori est loin d'être simple ou brève ou
paisible.
La qualité des descriptions, tant internes qu'externes,
tient à un grand souci porté aux détails ainsi qu'à un choix de vocabulaire et
d'images aussi large que poétique. Querbalec évoque la douceur d'un paysage
saisi sous la bonne lumière, la perfection d'un mouvement de danse ou d'un
moment social codifié, la douceur du contact amical ou amoureux, le tourment
qui agite une jeune femme prise dans un momentum à la portée proprement
inimaginable. Tout est parfait, il n'y a pas de fausse note, on ne prend pas
en défaut ce style impeccable. Il parvient même à faire passer quelques
longueurs dans le Palais du Ciel.
Embarquée dans une quête qui peut
faire fantasy, Kaori est une héroïne science-fictive au vrai sens du terme.
Son voyage
(et les détails de celui-ci) l'est, les personnages qu'elle
croise aussi, même si leur nature peut parfois évoquer la fantasy, situés
qu'ils sont dans une uncanny valley qui exclut l'explication alien –
« toute technologie suffisamment avancée... »"
Quitter les Monts d'Automne" est donc un faux entre-deux qui est un vrai roman SF, réussi car le propos
et son traitement sont évidemment science-fictifs
(si on veut se spoiler on peut suivre
ce lien, je le déconseille vivement)
et que même l'utilisation de l'archétype de la quête est justifiable car ici
c'est d'une quête des origines qu'il s'agit. Partir pour se trouver est un
classique. Combien de romans décrivent ce type de processus sans être des
romans de fantasy ? Cette quête est un universel, ici étendu au-delà de
l'individu quêtant même.
C'est à un beau voyage que le lecteur est
convié, dans de beaux lieux bellement décrits, en compagnie de personnes dont
la description est belle aussi, et vers une fin qui répond à toutes les
questions qui torturaient Kaori et le lecteur avec elle. Mémoire et
transmission sont au centre du récit, centré sur le pouvoir des femmes de
faire le lien entre toutes les générations.
Note finale : en dépit de ce qu'annonce la 4e de couv', l'érotisme subtil
du récit m'a échappé, il devait être trop subtil pour moi.Quitter les Monts d'Automne, Emilie Querbalec
Commentaires
J'ai failli parler de la puissance invaincue des femmes (tu comprendras à la lecture du livre) puis j'ai trouvé que l'expression était bête et que surtout je n'étais pas crédible ;)
je repasse ici maintenant qu'il est lu et chroniqué :p
L'érotisme c'est la danse et le jeu de séduction avec Yukio je ne vois que ça. (bon et peut-être que les motivation de la Sylphe qui veut la voir danser ne sont pas nettes nettes non plus)
T'es pas assez ownvoice pour être crédible (ceci est un troll, yes sir :p je sors)
Clair, si j'étais un Japonais de l'espace j'aurais sûrement mieux compris les tenants et aboutissants de cette affaire ;)