The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Nickel Boys - Colson Whitehead


Tallahassee, Floride. Début des années 60.

Elwood est un jeune garçon noir qui vit avec sa grand-mère, Hariett. Mère et père partis une nuit tenter leur chance en Californie. Plus de nouvelles depuis.

Elwood et Harriet forment une petite famille banale, où l'amour est la norme. Mais la famille est Noire, alors elle a connu sa part du malheur Noir dans un pays où les lois Jim Crow ont immédiatement suivi la fin jamais vraiment acceptée de l'esclavage. Le père et le mari d'Harriet sont tous deux morts de mort violente. La ségrégation est la loi, les humiliations fréquentes, la violence toujours possible. Il faut se taire et baisser les yeux si on veut survivre, tous le savent, Harriet plus que d'autres. L'argent est chiche mais Elwood et sa grand-mère ne vivent pas dans la misère, d'autant qu'Elwood, intelligent et entreprenant travaille régulièrement après le lycée.

Mais les temps changent. L'heure de l'égalité sonne peut-être. Elwood admire Martin Luther King, il écoute en boucle le disque de son discours à Zion Hill. Il admire aussi son prof de dernière année, un militant pour les droits civiques – freedom rider – qui lui permet d'être admis gratuitement dans une université – colorée – de Floride. Travail et intelligence paient. L'inégalité vit sans doute ses derniers jours.

Elwood, qui fait sien le discours de ML King croit à la non violence, à l'amour, à la dignité dans la lutte. Un matin donc, il part pour l'Université et un avenir meilleur. Craignant d'arriver en retard, il démarre tôt et fait du stop. Quelques kilomètres après avoir été pris par un conducteur noir, la voiture est arrêtée par la police, elle était volée. Pourquoi s'emmerder à séparer le bon grain de l'ivraie quand il s'agit de Noirs ? En deux temps trois mouvements, le juge envoie le voleur en prison et Elwood, mineur, est condamné à un an de maison de correction, à Nickel.
Commence alors pour Elwood un calvaire dont il ne sortira pas indemne.
Seul réconfort, il se fait à Nickel un vrai ami en la personne du cynique Turner.

Avec "Nickel Boys", le déjà Pulitzer Colson Whitehead – pour Underground Railroad, sur les réseaux clandestins d'exfiltration d’esclaves – obtient un second Pultizer. Dans ce nouveau roman – à paraître en France le 19 août – il fictionnalise l'histoire de la Arthur G. Dozier School for Boys, un lieu d'enfermement qui illustre à lui seul la corruption et la violence d'un système de justice des mineurs hors de contrôle – au point qu'on y découvrit vers 2010 un cimetière caché plein des cadavres de garçons qu'on avait envoyé là pour « se réformer » et « devenir des membres dignes et productifs de la société ».

Nickel, créée à la fin du XIXe, est une institution de réforme par le travail. Ségréguée, avec dortoirs séparés par exemple, elle ne traite guère mieux ses pensionnaires Blancs que les Noirs. Pour tous, le régime est simple. Se soumettre, obéir, respecter un code qui n'est jamais explicite, dans l'espoir d'obtenir des rangs permettant d'être libéré un peu plus tôt et surtout de ne pas être maltraité.

Car la maltraitance est la règle. Aux violences et agressions entre pensionnaires, typiques des lieux de privation de liberté à la supervision défaillante, s'ajoutent celle du personnel (Blancs et Noirs confondus). « Maison blanche » dans laquelle les récalcitrants (et il en faut peu) sont fouettés durement avec un lanière en cuir surnommé Black Beauty, agressions sexuelles à Lover's Lane, cellules d'isolement dans le noir, jusqu'aux passages « à l'arrière » dont tous les garçons savent qu'ils signifient torture et disparition définitive.

Horreur physique, Nickel est aussi une horreur économique. Les garçons travaillent, tous les jours. Ils produisent des briques que l’institution vend et ils font fonctionner l'imprimerie officielle de l'Etat. Il servent aussi de main d’œuvre gratuite pour les services publics de la ville proche et sont « prêtés » à des familles de notables pour des travaux domestiques. Le tout donne lieu à rémunération légale ou à pots de vin dont bénéficient exclusivement les membres du personnel, qui, non content de cela, détournent et revendent une partie de la nourriture et du matériel envoyés par l'Etat pour l'entretien des jeunes.

Enfin, Nickel est une horreur de cynisme institutionnel. Officiellement une école, Nickel délivre des cours indignes de qui n'est pas totalement analphabète. Rien de ce que font les garçons ici ne peut les préparer à leur sortie. Au contraire, les maltraitances incessantes aggravent la situation de beaucoup d'entre eux.
Entrés cassés pour beaucoup (parfois condamnés, mais parfois aussi sans famille, ou en difficulté sociale), ils sortent le plus souvent aussi cassés qu'en entrant, voire plus. Renvoyés à la fin de leur peine ou à leur majorité vers un monde qui ne les attend pas et une famille qui parfois n'existe plus ou ne veut plus d'eux. Ils sont des riens, des mistigris que se repassent les institutions et la société. Le cycle se poursuit encore et encore, cette fois vers la prison, les addictions, le suicide, la mort violente – quelquefois l'armée pour ceux qui cherchent à rester sous le joug d'une discipline. Des vies brisées qui le restent, mais aussi des pertes de chance pour ceux qui auraient pu s'en sortir.

C'est la corruption et la négligence coupable que Whitehead dénonce dans "Nickel Boys". Une situation permise par le désintérêt de l'Etat, les préjugés sur les irrécupérables, et les réseaux de fraternité qui structurent la vie américaine (et lient donc le board de Nickel aux notables de la ville).
Nickel est une zone de non droit dans laquelle peuvent s’exercer tous les penchants sadiques d'hommes qui savent qu'ici aucun compte ne leur sera demandé. « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit. », à Nickel ni le droit ni le pouvoir n'arrêtent le pouvoir. C'est un lieu concentrationnaire, Goffman dirait une institution totale.

Mais, ici, il y a encore plus ; car parmi les dits réseaux il y a le Klan, car les mentalités sont, de longue date, celles d'anciens esclavagistes, car même si les garçons Blancs sont aussi mal traités que les garçons Noirs, il y a une spécificité raciste que Whitehead veut dire. L'épisode du combat de boxe annuel Blanc/Noir en est une illustration bouleversante.

"Nickel Boys" est, pour Whitehead, l'occasion de dire encore le traitement injuste dont sont victimes les Noirs américains depuis qu'ils furent amenés, contraints et forcés, aux USA. Le mépris racial et la ségrégation qui en est la conséquence forment la base de la vie des Noirs américains. Filer doux, se tenir à carreau, ne jamais répondre, être prudent, être sans cesse renvoyé à une prétendue infériorité ; c'est la vie « normale » d'Elwood, c'est la préconisation d'Harriet. C'est une situation dont il croit qu'elle pourra changer, une situation dont restent encore aujourd'hui – soixante ans après – tant de scories. De la jeunesse de son grand-père à son propre âge adulte, Elwood traverse un siècle de condition des Noirs américains. Et ce n'est guère reluisant.

Whitehad veut raconter cela, dire cette réalité, et s'interroge aussi sur le moyen d’atteindre la justice. Comme King le voulait ou par d'autres voies ?
Elwood, avant pendant et après Nickel, joue le jeu ; avec quel résultat ?
Combien de Arthur G. Dozier School for Boys aux USA ?
Combien de plaintes officielles sans effet ?
De lanceurs d'alerte pas écoutés ?
De Noirs abattus par la police ? 
Combien de temps encore avant que l'égalité de droit devienne une égalité de fait ?

Tout ceci, Whitehead le raconte dans une langue impressionnante de justesse. Jamais dans le pathos, il se contente de décrire avec une précision clinique, la description se suffit à elle-même. Homme de peu de mots – "Nickel Boys" n'est pas un pavé – Whitehead trouve toujours le mot ou la tournure justes qui disent sans fioriture aucune ce sur quoi le regard ne peut que s'attarder ; faisant ainsi passer un sentiment de révolte devant les horreur perpétrées et les petites maltraitances quotidiennes, ou de vraie tristesse lorsqu'il émeut en montrant que ces enfants éprouvent de petites joies, qu'ils parviennent au milieu de l'horreur à trouver les petits plaisirs de tout enfant, qu'il aurait suffit d'un peu d'amour et d'attention...

Et quelle fin ! Quelle énorme fin ! Quel choc ! Une fin lors de laquelle on réalise le talent de Whitehead qui a réussi à créer un lien émotionnel intense entre le lecteur et son personnage sans jamais avoir utilisé la langue de l'émotion, des sentiments, ni du pathos. C'est brillant d'un point de vue littéraire. Et pour un roman, c'est ça qui compte.

Nickel Boys, Colson Whitehead

Commentaires

Baroona a dit…
Faut que j'arrête de te lire, j'ai déjà suffisamment de livres d'imaginaire à lire comme ça pour ne pas en rajouter d'hors-genre. Mais je note quand même celui-là. Parce que bon, hein.
Gromovar a dit…
Ben oui, quand même celui-là, ça serait bien.