Mexico, 1950.
Noemi Taboada est une jeune fille riche de la bonne société
mexicaine. Soirées, robes, chauffeurs, flirts, Noemi coche toutes les cases de
la high life des 50's
(pensez à Liz Taylor dans Une place au soleil).
Pas encore
mariée, pratiquant quelques activités artistiques sans excès, Noemi n'a qu'un
rêve consistant : que son père consente à l'inscrire en master
d'anthropologie.
Voilà pourquoi elle accepte, à sa demande, de quitter pour un
temps l'ébouriffante vie de Mexico afin d'aller s'enquérir de la santé (mentale
?) de sa cousine Catalina, une orpheline dont la famille Taboada a pris soin et
qui s'est mariée il y a une grosse année. Or voici que Catalina a envoyé une
lettre inquiétante qui amène à s'interroger sur sa sûreté physique ou plutôt sur
sa santé mentale : on l'emprisonnerait, « les murs » l'emprisonneraient, on
l'empoisonnerait, et autre divagations ; et dans la lettre elle implore sa chère
cousine Noemi de la rejoindre.
Inquiétude pour une cousine et nièce aimée,
désir d'éviter tout scandale, Noemi est facile à convaincre. Départ en train
pour la petite ville excentrée de El Triunfo (où il ne s'arrête pas tous les
jours), accueil à la gare par Francis, le petit cousin du marié, puis montée en
voiture (de luxe mais défraîchie) vers High Place, la maison de famille des
Doyle. Elle y découvre une famille étrange qui vit dans une atmosphère
oppressante, et apprendra à ses dépens qu'il y a bien plus de choses dans le
ciel et sur la terre que n'en rêve la philosophie.
"Mexican Gothic" est,
comme son nom l'indique, un roman gothique pur et dur qui se passe au
Mexique.
Les lieux d'abord :
El Triunfo : une petite ville à l'écart,
au milieu de grandes forêts, qui s'éteint doucement depuis que la mine d'argent
(propriété des Doyle) est fermée. Un lieu pauvre et agonisant, oublié du
progrès.
High Place : la propriété familiale des Doyle, à quelque distance
de la ville. Une grande maison imposante qui a connu des jours bien meilleurs «
the abandoned shell of a snail », un cimetière privé, de la terre importée
d'Angleterre pour les plantations. Même si les Doyle vivent au Mexique depuis
des décennies, il ne cessent pas d'être Anglais et ne se mêlent pas à une
population locale qu'ils méprisent ouvertement.
La maison fut luxueuse, elle est
– maintenant que l'argent est rare – en décrépitude. Défraîchie, moisie par
endroits, elle est chichement éclairée par un générateur dont la faible
puissance oblige, de fait, à utiliser bougies et lampes à pétrole. Un lieu d'ombres et de silence.
Pas de
téléphone bien sûr, et un accès à la voiture dont on dira qu'il est limité.
Les
personnages ensuite (outre Noemi) :
- Catalina. Alitée, malade, pas toujours
cohérente, elle a l'air à la fois effrayé et désorienté. Ses paroles ne font pas
toujours sens.
- Virgil, le mari de Catalina. Beau, sévère, dur, très peu
chaleureux envers sa femme, inconvenant avec Noemi ? Ou n'est-ce qu'un rêve
?
- Florence, la nièce de Virgil. Aimable comme une porte de prison, elle est
hostile à Noemi et fait respecter d'une main de fer toutes les règles (le
silence au dîner par exemple) qui font de High Place un lieu proprement
sinistre.
- Francis, le fils de Florence. Un garçon dominé, craintif, introverti.
Il s'ouvrira à Noemi, qui lui montrera qu'on peut violer les règles, que
c'est même parfois la chose à faire.
- Trois domestiques. Mutiques et totalement
dévoués à Florence.
- Et enfin, Howard, le patriarche, père de Virgil et grand-père
de Florence, très vieux, très malade, dérangeant, ouvertement raciste et
eugéniste, qui parle de façon insultante de la métisse Noemi en sa présence.
Atmosphère
déprimante, règles disciplinaires, mauvaise volonté manifeste de la famille
concernant l'état de santé de Catalina, distance à la ville – si petite et
misérable soit-elle –, c'est une douche froide pour Noemi.
Son charme léger
n'agit pas.
Son énergie se déploie en pure perte.
Elle ne peut voir sa cousine que rarement et sous la supervision
d'un membre de la famille.
Elle se sent menacée par les attitudes équivoques de
Virgil, oppressée par une maison qui évoque un catafalque, contrainte par la
distance, l'impossibilité de communiquer avec Mexico, la présence physique de la
maisonnée.
De cauchemars en hallucinations visuelles, Noemi a l'impression de
voir les moisissures murales bouger
(comme dans The Yellow Wallpaper) et une
étrange femme lui parler, croit être agressée sexuellement par Virgil, ne
trouve de vague soutien qu'en un Francis qui est clairement charmé par elle mais subit les règles qui s'imposent à lui.
Fil
par fil, la jeune femme va dérouler l'écheveau des secrets des Doyle. Récents,
anciens, tous les miasmes qui caractérisent une famille et une maison « maudites » ; la survie est à ce prix.
"Mexican Gothic" est un roman gothique très
classique pour qui en a déjà lu – et il est plutôt réussi.
L'isolement dans
un lieu exotique (le fin fond du Mexique pour la socialite urbaine Noemi),
l'oppression ancestrale dans une propriété de famille en décrépitude, les
questions d'argent et de mariage liées, la peur du scandale, le souci des
lignées, les secrets enfouis qui expliquent les malheurs présents. Tout y
est.
On pense aux gothiques classiques du début du XIXe, aux Hauts de
Hurlevent, à Rebecca, au Chien des Baskerville (il y a même « l'air de famille »
des Doyle, comme il y avait celui des Baskerville). On pense aussi à Dracula
tant à cause du cacochyme Howard que du fait du duo formé par la souffrante
Catalina et la vivace Noemi qui évoquent Lucy Westenra et Mina Harker.
Silvia
Moreno-Garcia y ajoute une vraie part de fantastique (une part qu'aimerait Jeff
Vandermeer), alors qu'on espère, au milieu, que tout est finalement normal, qu'il
s'agit plus de folie que d'autre chose. Le récit douche cet espoir et révèle
l'horreur du soubassement sur lequel repose la famille Doyle (dont j'ai peine à
croire que le nom soit innocent).
Redisons-le, c'est bien fait, oppressant
et angoissant, très progressif, comme un piège qui se referme peu à peu, à défaut
d'être absolument original (quoique pour ça tu devras décider toi, lecteur, j'ai
lu beaucoup de gothique, je suis difficile à surprendre).
Note finale :
Certains voient dans "Mexican Gothic" une critique du colonialisme (car abus de la
population locale par les Doyle). Difficile à soutenir imho.
D'abord l'Angleterre
n'a jamais colonisé le Mexique (donc à moins d'aller sur les théories de l'homme
blanc, tous les mêmes, blablabla...).
D'autre part, la morgue et l'indifférence des riches
propriétaires aux souffrances du peuple n'ont pas besoin de colonie pour
s'exprimer, l'Histoire en donne assez de preuves, le Chien des Baskerville
aussi.
Le déménagement des Doyle au Mexique rappelle plutôt celui de Dracula à
Londres, qu'on peut difficilement qualifier de colonial.
Si on doit voir quelque
chose dans le roman, c'est plutôt l'enfermement des femmes dans le mariage et
leur utilisation comme actif reproductif ou financier, tous thèmes qu'on trouvait
déjà dans le gothique classique.
Mexican Gothic, Silvia Moreno-Garcia
Commentaires
Albin Michel ou Denoël pourrait imho.
Ou faut en parler à ActuSF.