2007. Californie.
Cora est une jeune fille, récemment virée de sa fac, qui vit avec sa mère et ses jeunes frère et sœur. Elle a un petit boulot grâce à un piston de sa mère. Globalement sa vie n'est pas rieuse.
Surtout qu'elle est la fille de Nils Ortega, un lanceur d'alerte narcissique et manipulateur – Julian Assange-style – exilé à l'étranger, loin de sa famille qu'il n'a pas vue depuis des années, et d'où il publie, sur un Internet moins développé qu'aujourd'hui, des vérités cachées par l'Etat US, notamment sur un premier contact présumé vieux de quarante ans déjà. C'est du moins ce qu'il prétend.
Son heure de gloire arrive peu avant le début du roman, quand une météorite s'écrase en Californie. A cette occasion il publie le
Fremda Memo, transcription supposée d'un échange classifié entre
men in black au sujet de la première communication verbale des aliens détenus – 90 secondes d'un sonore parfaitement incompréhensible.
De tout ça, Cora ne veut pas entendre parler ; son père les a abandonnés pour poursuivre ses chimères, des années sans contact réel si ce n'est une lettre à laquelle elle n'a pas répondu. La souffrance est grande, et elle a appris à y résister en coupant tout lien réel comme émotionnel avec son géniteur. Problème, la célébrité grandissante de celui-ci retombe sur elle quand on sait de qui elle est la fille.
Mais, jusqu'à présent, les retombées étaient limitées. Barjots qui s'adressent à elle comme s'ils buvaient à la source même de la vérité, agents fédéraux qui parfois s'invitent de manière aussi désagréable qu'impromptue.
Avec la chute de la météorite, « l'Ampersand Event », puis celle d'une seconde, « l'Obelus Event », quand le roman commence, ce ne sont plus de simples humains qui s’intéressent à elle mais bien ces aliens dont son père criait l'existence. Un contact qui affecte toute sa famille, enfermée illégalement par un gouvernement qui veut cacher la vérité, et bien plus elle-même, choisie à son corps défendant pour être l’interprète d'un alien venu sur Terre avec un agenda précis, lié tant au déjà ancien premier contact qu'à la plus récente chute de « météorite ».
Cora se retrouve projetée sans le vouloir dans une aventure échevelée qui l'emmène du Norad à Langley en passant par la base Vandenberg, entre services de renseignements US et factions extra-terrestres rivales.
Ecrit par une spécialiste de
Transformers, Lindsay Ellis, "
Axiom's End" y fait inévitablement penser, avec sa jeune fille embringuée dans une lutte, importée sur Terre, entre extra-terrestres métamorphes et surpuissants, et son récit plein d'action et d'explosions.
Il fait aussi penser au très différent
Un truc de fou de Hank Green.
Il se démarque néanmoins partiellement de ces références.
D'abord Ellis veut livrer un texte qui donne à penser. "
Axiom's End" est un roman qui explore les difficultés voire les impossibilités de communication qui existent inévitablement entre humains et extra-terrestres. C'est cette difficulté qu'expérimentent Cora et Ampersand.
Problème de la langue bien sûr, mais aussi de la pensée qui la soutient. Quand les concepts communs n'existent pas, comment les rendre ?
Problème de la culture, des valeurs, des normes. Sauf à faire montre d'un relativisme intégral, difficile d'adhérer à la vision des aliens, à leurs pratiques, à leur système de valeurs. A fortiori quand ceux-ci se demandent même si les humains sont dignes d'être considérés comme des « personnes », et qu'ils sont assez puissants pour anéantir la Terre de manière préemptive – là on a du mal à croire que Liu Cixin n'ait pas fortement influencé l'imagination d'Ellis.
Problème du regard de l'un sur l'autre, entre paranoïa, sentiment de supériorité technologique ou morale, divergences sur le sens et la valeur de la vie.
Problème du secret et de la raison d'Etat.
Traitée au début comme un pur accessoire par Ampersand, l'alien qui en a fait son interprète, Cora devient peu à peu une « amie » de l'étranger. Deux solitudes et deux peurs se rejoignent, lentement et délicatement, et s'il y a quelque chose de réussi dans "Axiom's End" c'est le développement progressif et courageux, au vu de la situation, de la relation entre Cora et Ampersand.
Intéressante aussi la manière dont est abordée la question de la périlleuse coexistence entre races évoluées voisines à l'échelle galactique – même si Liu Cixin, toussa... C'est donc peu original.
Enfin, comme l'apprécieront certains, c'est finalement un texte plutôt optimiste, car, en dépit des périls et tribulations, un rapprochement est possible, et une entente pourra peut-être se dessiner, en commençant par Cora et Ampersand. On peut aimer quelqu'un dont on ne sait pas tout, même si c'est difficile, on peut parfois même aimer quelqu'un dont on sait tout, et c'est encore plus difficile. Finalement, Ampersand, en dépit de ce qu'il est, est plus clean envers Cora que ne l'est son propre père.
Mais tout n'est pas positif dans le roman.
D'abord, pour l'instant (une suite est prévue, Liu Cixin encore, même si la fin est suffisante), les aventures de Nils Ortega forment un background artificiel et un peu inutile, qui ne sert vraiment qu'à lancer l'histoire et à se payer Bush fils.
Ensuite, on l'a déjà dit, beaucoup de choses similaires ont déjà été vues, mettant en scène des personnages plus consistants. Car si la relation Cora/Ampersand est réussie, la biographie pré-event de Cora et des autres personnages est minimale et jamais développée. Traumatisme d'abandon et voilà. Pourquoi pas, mais c'est léger quand même. Cora, abandonnée par son père puis choisie par un terrifiant visiteur, charmera les belles personnes adeptes de cuddle et de crying together. Mais la partie compassionnelle est moins réussi que dans Un truc de fou, et m'a laissé plus froid ; ou alors je ne suis pas une belle personne, ce qui est probable.
De plus, même si c'est un détail, le message jeunes vs. boomer est un peu lourdingue : « Typical, she thought. Of course you don't really get too worked up about issues that won't affect your generation », comme le discours sur le respect qui commence par le consentement, qui fait peu 2007.
Mais encore, on ne sait pas vraiment de quoi veut parler Ellis.
Le secret d'Etat ?
Le complotisme ?
La vérité et la transparence « Truth is a human right » (Brin l'avait déjà fait de façon plus crédible dans Existence) ?
Le premier contact ?
La forêt sombre ?
Le pouvoir de l'empathie et de l'amitié ?
A trop étreindre, elle embrasse imparfaitement.
Enfin, il y a une volonté manifeste d'être drôle et geek qui, honnêtement, fait forcée. Entre les citations de groupes rock, de Star Wars, de World of Warcraft, les lignes de dialogue de Game of Thrones, auxquelles s'ajoute le langage de Cora qui, régulièrement, fait jeune fille pleine d'humour « Ampersand finally appeared in her bunk after approximately fifty years » (elle avait attendu longtemps), on sent une telle envie de faire jeune, fun, et pop, que ça prête un peu à rire avant d'agacer quand ça s'accumule. Les clins d’œil sont trop visibles.
Un dernier point : je ne prétend pas dire à Ellis ce qu'elle doit écrire, mais une partie de l'effroi voire du dégoût que peut inspirer le monde d'Ampersand vient de ce qu'on en apprend mais aussi et surtout de ce que ça permet d'imaginer sur ce qu'on en ignore. Chacun peut ainsi ajouter ce qui l'effraie (Lovecraft avait bien compris qu'il fallait laisser le lecteur faire le travail d'imagination). Alors, une voire deux suites, dont l'objet sera de montrer comment la Terre est transformée par le contact, risque imho de ruiner cet effet en donnant à voir ce que le lecteur ignore encore. Pour cela, et en raison aussi des défauts que j'ai trouvé au roman nonobstant ses qualités, il y a des chances pour que je m'en tienne là.
Axiom's End, Lindsay Ellis
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