1896. Albert Villeneuve, de Paris, embarque pour l'île Pacifique de Sainte
Madeleine, avec sa femme Marthe et sa petite fille Louise.
Comme tant d'autres pauvres hères de la même époque, il poursuit dans «
l'Empire » un rêve d'Eldorado fait, espère-t-il, de terre attribuée et de
plantation de café. Un nouveau départ loin de Paris, de la misère ouvrière et
d'un passé quelque peu délinquant, sous d'autres cieux où avec du travail et
du courage on peut faire sa propre fortune. Que ces cieux aient appartenu à
d'autres ne gêne pas Albert ; le temps est à la supériorité blanche et à la «
mission civilisatrice ». Qui est-il, lui, pauvre petit Blanc, pour y trouver à
redire ?
Mais les conditions de voyage, pour ces surnuméraires de la République, sont
lamentables, et beaucoup meurent de maladie en route, dont, hélas, Marthe puis
Louise.
C'est un Albert endeuillé et abasourdi par la perte qui débarque à Fort Braga.
De solitude morne en tracasseries administratives, l'homme ne parvient pas à
obtenir ce lot de terre à café dont il pensait qu'on nantissait sans
distinction tout arrivant de la métropole. Travaillant à la mine pour un
salaire de misère, buvant de plus en plus, Albert devient l'une des figures
alcooliques de Fort Braga, de ces pochetrons qu'on tolère tant qu'ils ne
dérapent pas trop.
Jusqu'à un soir où il prend la défense d'une jeune fille malmenée par une
brute de soldat, l'énorme et violent sergent Arpagon, déchaînant alors sur lui
pour l'avenir les foudres de la vengeance du matamore. Battu et laissé presque
mort, Albert fuira dans la forêt, tant pour échapper à Arpagon que pour tenter
d'atteindre les champs de café où, rêve-t-il, dansent et l'attendent Marthe et
Louise. Commence alors un voyage en absurdie au cours duquel Albert va, sans
l'avoir voulu, à la rencontre de « nègres » bien plus humains que ceux de ses
compatriotes qu'il a pu fréquenter et d'un colon improbable aussi inutile que
les soldats du Désert des Tartares.
De perroquet parlant en village caché, de comptoir commercial improbable en
Champ du Supplice, Albert, tombé au fond du trou à Fort Braga mais porté par
l'espoir et soutenu par l'aide d'hommes bons, reconstruit péniblement, au fil
de ses pérégrinations, une vie, une paix, et une dignité. Mais, tel Sisyphe,
tout progrès, toute amélioration de sa situation, est toujours anéanti par cet
Arpagon qui le poursuit encore et toujours comme une Erinye, au fil d'une
longue aventure en trompe l’œil qui s'achève dans une fin aussi douce amère
que celle du film Brazil.
"Petit Blanc" est un livre charmant et triste, très joliment écrit dans
un style parlé parfaitement maîtrisé. A la première personne, il met le
lecteur dans la tête d'un naufragé sans sauvetage, d'un homme dont la France
s'est débarrassée en lui faisant miroiter un rêve improbable, d'un père et
d'un mari détruit par sa perte ; un personnage dont les malheurs et la bonté
fondamentale lui attirent vite la sympathie du lecteur.
Soumis à un régime de douche écossaise, Albert, ténébreux, veuf, inconsolé,
aurait pu reprendre ses esprits – il le fait d'ailleurs plusieurs fois – si on
l'avait vraiment écouté et aimé. Mais chaque lueur d'espoir est mouchée par
l'inexorable Arpagon qui concentre en lui, jusque dans sa légende, toute la
violence destructrice de la colonisation.
Conte onirique, "Petit Blanc" balade son personnage principal
(on peine à dire héros) de Charybde en Scylla, dans un monde sûrement
aussi fantastique que l'était sans doute pour les métropolitains les terres
colonisées. Traitant du deuil et de l'espoir, il montre que la valeur d'un
homme ne se juge pas à sa couleur, et affirme par l'exemple qu'il y a de la
bonté, de la noblesse, et aussi de la malveillance, sous toutes les peaux.
Le lecteur lui est baladé dans un monde qui peut évoquer le Lewis Caroll d'
Alice au Pays des Merveilles, un monde fou où tout est possible si ça s'intègre bien au récit, un monde
aussi fou dans un genre un peu différent que celui qu'on arpentait dans
Qu'a-t-elle vu la femme de Loth ?
de Ioanna Bourazopoulou.
La balade, douce amère, est vraiment plaisante. Venez la faire !
Petit Blanc, Nicolas Cartelet
Commentaires
Je ne pense pas me tromper en lisant Petit blanc et tel que vous le présentez je me laisse tenter.
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