The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

L'odyssée d'Hakim - Fabien Toulmé



"L'odyssée d'Hakim" est une BD biographique documentaire en trois tomes de Fabien Toulmé.
Cette odyssée, contrairement à celle d'Ulysse, ne ramène pas Hakim vers sa maison mais l'emporte loin de la sienne, vers une terre d'asile où il tente de reconstruire une vie que la guerre civile syrienne a anéanti.

Avant d'être contraint à l'exil, Hakim était un jeune homme paisible, horticulteur comme son père, qui vivait en Syrie près de sa famille. Certes la Syrie était une dictature, mais quand on est, comme Hakim, largement apolitique, on s'en accommode. On connaît les règles : accepter la corruption des fonctionnaires, supporter la spoliation étatique des fruits de son travail, et ne jamais dire de mal du président ou du régime (même en privé) ; on les applique et on croise les doigts.
Puis arrive le printemps arabe et la guerre civile qui en découle en Syrie. Tirs à l'arme de guerre sur les manifestants, arrestations arbitraires, tortures, disparitions, Hakim subit sa part de la violence étatique qui, par chance, ne lui est pas fatale. Mais son frère disparaît, son entreprise est réquisitionnée pour servir de caserne, le quartier où il vit avec sa famille est assiégé, affamé, et bombardé.
Un moment vient où le jeune homme ne peut/veut plus rester, où ses parents le poussent à partir. Il quitte alors son pays, devenant ainsi un migrant qui, plus tard, deviendra, ici, un réfugié.

Les trois tomes de la BD, basés sur les entretiens réalisés par l'auteur sur de nombreux mois consécutifs, raconte la vie d'Hakim, de son enfance dans la Syrie des Assad (écho à L'arabe du futur pour ce qui est de la corruption et de l'antisémitisme ; bizarrement, écho sur le plan graphique aussi, entre Sattouf et Il était une fois l'Homme) à son arrivée en France en passant par la guerre et l'exil.

Exil. De lieu en lieu, d'amis en parents, de plan en plan, et de petit boulot en petit boulot, Hakim s'éloigne de plus en plus de son pays sans jamais couper le contact téléphonique avec sa famille ni quitter l'aire arabe, plus facile pour la langue notamment.
Beyrouth. Amman en Jordanie. Antalya en Turquie. Il y rencontre Najmeh, qui devient sa femme et porte son enfant dont elle accouche à Istanbul après un nouveau déplacement. Après le départ des parents de la jeune femme pour la France (grâce à des opportunités administratives favorables), puis celui de Najmeh qui les rejoint, Hakim attend une régularisation qui lui permettrait de rejoindre sa femme avec son fils. Mais, entre la corruption syrienne, l'imbroglio administratif interétatique, et les perturbations liées à la guerre, les papiers d'Hakim ne se font pas, ou mal, et le jeune homme décide de prendre, avec son fils, la route des illégaux que proposent les passeurs contre des sommes folles.

La deuxième partie de l'odyssée d'Hakim, après l'errance autour de la Syrie, décrit son long et périlleux voyage vers la France et une Najmeh qui l'attend depuis des mois qui se font années. Passeurs en Méditerranée, embarcation de fortune, panne de moteur en mer, sauvetage par les gardes-côtes grecs. Puis les centres de transit, la peur de la Dublination, la fuite à pied, en bus, en taxi, en train, pour traverser l’Europe sans jamais demander l'asile sur place.

Des gens qui aident, d'autres qui se comportent en salauds, et beaucoup qui profitent (passeurs en tête qui font du trafic d'êtres humains comme d'autres de drogue, mais aussi taxis, hôteliers, commerçants, etc...) Une économie de la misère où tout se paie en liquide, cher et net d'impôt. Le gars face à toi ne se plaindra pas, ne reviendra pas, ne mettra pas de commentaire négatif sur TripAdvisor, il a même peur d'être dénoncé. Alors pourquoi ne pas abuser ? Les hommes, dans leur immense majorité, sont des ordures, maintenant et toujours, ici et ailleurs.

Grèce. Macédoine. Serbie. Hongrie. Autriche. Suisse. France. Le périple est long, complexe, éprouvant, ponctué de fatigue, de peur, de honte ravalée, d'argent à donner toujours et encore pour pouvoir progresser de quelques kilomètres supplémentaires. Et que dire de la phase hongroise ? Du traitement indigne, contraire aux accords internationaux et aux engagements européens, que la Hongrie impose à des migrants qu'elle tente par brutalité et contrainte de spolier de leur droit à faire normalement une demande d'asile.
Enfin, après tant de pérégrinations, Hakim arrivera à Aix en Provence et commencera à reconstruire une vie loin de l'enfer syrien.

Basé sur un récit – qui, de plus, finit bien –, "L'odyssée d'Hakim" ne traite pas tous les cas possibles, toutes les situations, mais il a au moins le mérite de montrer que migrants et réfugiés, s'ils sont des catégories administratives ou des enjeux politiques, sont d'abord des hommes et des femmes avec des histoires propres, chacune différente dans quantité de détails de celles des autres.
On y voit, incidemment, ce qu'est une dictature, avant et pendant la guerre civile. Les voix qui braillent ici à la dictature feraient bien d'ouvrir un dictionnaire ou de lire la BD (y'a même des images donc c'est facile).
On y voit l'espoir d'une vie en sécurité, et les sacrifices consentis pour cela.
On y voit l'entraide, tant familiale ou amicale que parfois aussi anonyme.
On y voit les agressions verbales ou physiques venues de pékins moyens bien peu humains.
On y voit des forces de sécurité globalement plus humaines que l'image que les militants No Border en donne.
On y voit la peur constante d'échouer, l’impossibilité aussi d'échouer (certains tentent des dizaines de fois le passage) quand on a brûlé ses navires.
On y voit la méfiance obligée car l'interlocuteur peut toujours dénoncer ou disparaître avec l'argent si précieux ; double bind caractéristique des personnes en situation de vulnérabilité totale, obligées de faire presque aveuglément confiance pour avancer et toujours contraintes de se méfier par crainte de remettre son destin entre des mains traîtresses (les victimes du docteur Petiot en savent quelque chose).
On y voit la peur enfin reculer quand l'asile est assuré et qu'une vie presque normale peut recommencer, loin du pays, dans un nouveau pays.
Certains lecteurs trouveront peut-être l'ensemble trop irénique mais ce serait idiot. C'est l'histoire d'Hakim, la vie d'Hakim, il n'allait pas la rendre plus noire ou plus conflictuelle pour faire un point.

L'odyssée d'Hakim, Fabien Toulmé

Commentaires

chéradénine a dit…
Je n'ai pas encore lu le dernier volume mais je ne peux qu'appuyer votre belle chronique, une fois de plus. Parmi les nombreux éléments qui m'ont touché, je pense aux troubles politiques violents que subit Hakim et sa famille dans son pays, précipitant leur exil parmi tant d'autres vers des pays où ils seront traités en parasite ou en manne à exploiter, parfois les deux. Le déclassement est totale et l'incertitude constante, malgré des bienfaiteurs providentiels qui changent parfois complètement la donne.
Tout le périple lié à la traversée en bateau gonflable est dingue, si prenant: une insoutenable légèreté de la condition de réfugié...ou d'exilé, je ne sais plus quel statut convient. Les séquences dans le moment présent avec l'auteur de la BD interrogent également: Hakim et sa famille se relèvent-ils de cette épopée, subissent-ils un nouveau contrecoup, un malaise paradoxalement lié à leur nouvelle stabilité?
Il me faudra lire la fin pour y voir plus clair. On peut ajouter que si le témoignage se passe de preuves, il reste "convainquant" et ne se prétend en aucun cas unique en son genre, ce qui est là encore renversant.
Gromovar a dit…
Merci pour ce retour.
Un beau témoignage en effet. Et oui, je ne peux que conseiller la lecture du troisième et dernier tome qui répond en partie à vos questions.
Anonyme a dit…
Souhaitons que cette BD sensibilise les jeunes ou moins jeunes lecteurs au drame des migrants et à leur errance en y portant un regard plus humain.
Merci pour ce billet.
Gromovar a dit…
Elle sera sûrement utile, oui. Si elle est assez lue. D'où la chro.
Anonyme a dit…
Je n'ai pas encore lu les autres tomes.Oui,beaucoup de gens devraient lire cette BD qui me renvoie à une triste constatation un peu personnelle.j'habite un immeuble où les gens ne disent pas bonjour à un autre voisin qui ressemble à Hakim,comme si cet homme concentrait sur lui les peurs de la terre entière.
C'est d'une tristesse.
Gromovar a dit…
Oui, c'est bien triste en effet.