The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Devolution - Max Brooks


Ici et maintenant (à peu près, les troupes US y sont au Venezuela).
Le Mont Rainier, un imposant stratovolcan de la chaîne des Cascades, au NW des USA, non loin de Seattle et Portland, libère une énorme coulée de boue brûlante, du genre de celle qui a anéanti en 2005 la ville d'Armero, en Colombie.
La coulée ravage les villes environnantes, coupe des routes, détruit ponts et réseaux de télécoms, étendant ses effets jusqu'à Seattle. Les morts, surpris dans leur maison ou leur véhicule, se comptent par milliers voire dizaine de milliers, et il faudra plusieurs semaines pour que la région retrouve un semblant d'organisation, sans oublier d'être passée par les cases panique, émeutes, et pillages.

Tout ceci, lecteur, tu ne le vivras pas. Tu en entendras parler, peu et à bas bruit, de loin, au travers des rares infos glanées sur une radio de voiture. Cette voiture est stationnée à Greenloop et c'est là que se passe le récit.

Greenloop est une petite communauté écoresponsable hitech, un rêve de croissance verte, un rêve de bobos illuminés aussi.

A Greenloop vivent :

  • Tony et sa femme Yvette. Tony, une sorte de golden boy de l'écotech, charismatique et sûr de lui, est le fondateur du projet, Yvette étant le versant yoga new age du couple.
  • Vincent et sa femme Bobbi. Plus âgés. Retraités sans doute. Bronzés et en plein forme. Végans.
  • Carmen et sa femme Effie. Psychologues pour enfants toutes les deux, elles ont adopté une orpheline Rohingya prénommé Palomino. Carmen rayonne à côté de la très effacée Effie qui elle, au moins, n'est pas germaphobe comme sa femme. Palomino (« qui pourra changer de prénom quand elle en préférera un autre ») est peu communicative, affectée sans doute par ce qu'elle a pu vivre.
  • Alex, un vieil anthropologue idéaliste, auteur d'un ouvrage très connu dans le milieu universitaire dans lequel il apporte sa pierre à la thèse de Rousseau sur la « société naturelle » comme « paradis terrestre ».
  • Et puis il y a Mostar, la plus âgée, une artiste mondialement connue, à l’approche directe au point de sembler rude.

Chaque famille vit dans une maison individuelle, l'ensemble étant organisé en cercle autour de de la Maison Commune qui sert aux événements communautaires. C'est très open-minded, très PC, on se croirait dans Portlandia.

La dernière maison était occupée par Franck et son mari Gary, mais ceux-ci se sont séparés avant le début du récit et ainsi leur maison a été reprise – gratuitement et de manière temporaire – par Kate et Dan, un couple en grand besoin d'un nouveau départ.
Kate, la sœur de Frank, gentille et compatissante, souffre d'un énorme manque de confiance en soi ; Dan vit en semi-dépression depuis l'échec de ses projets entrepreneuriaux. Ils s'aiment sans doute toujours mais n'interagissent plus guère. A Greenloop, ils font figure de pièces rapportées, ni l'un ni l'autre n'ayant le niveau de revenu ou la culture dominante du lieu. Pour tout dire, Kate est même assez largement inculte ; à son actif en revanche, elle sait à merveille lire le non-verbal et faire preuve d'empathie.
Qu'importe, tous sont aimables (même si on sent des relations de pouvoir stabilisées) et tous accueillent amicalement les nouveaux venus.

Vivre à Greenloop est facile et agréable. Le micro village est le proof of concept d'une vie confortable en harmonie avec la nature. Electricité solaire, biogaz, compost, smart houses, voitures électriques, livraisons par drone, le tout relié par une grosse fibre optique à un Internet très haut débit. Fibre indispensable pour rester connecté au monde car à Greenloop on est au milieu de la cambrousse, dans une petite vallée perdue loin de tout, à 1 heure 30 de Seattle en voiture, certes, mais entourée du vide humain qu'on trouve dans ces immenses grands espaces sauvages que renferment les USA. Et rester connecté, à distance, au monde, c'est le projet. Le havre n'est qu'une bulle. Ses habitants ne sont pas des ermites au désert mais des dilettantes auto-satisfaits de l'isolement.

Quand la coulée de boue se produit, elle passe assez loin pour épargner la communauté mais coupe la fibre optique et détruit le seul pont routier qui la relie au reste du monde. Tous se préparent à attendre les secours sans grande inquiétude. On a des provisions et on est aux USA. Tony est formel et Tony donne confiance. Seule Mostar comprend dès le premier jour qu'il convient de se préparer concrètement à une attente qui sera peut-être très longue donc périlleuse (comme quand on se retrouve Seul sur Mars). Et puis arrive une petite tribu de Bigfoots affamés conduite par une matriarche. De dangereuse la situation devient dramatique.

Comme World War Z, "Devolution" est présenté comme un récit reconstitué, un livre écrit après la catastrophe à partir du journal retrouvé de Kate et de quelques témoignages de spécialistes. Vue interne + éclairage externe, l'ensemble donne un mix très agréable à lire en entrelaçant ce que Kate vit, voit, ressent, avec des éléments d'explication et des informations sur l'état de l’organisation des secours à l'extérieur (secours qui ignorent l'existence même de Greenloop).

Brooks y campe des personnages confrontés autant à une adversité inimaginable qu'à leur propre bêtise – reflet de la bêtise globale des Occidentaux. Et son réquisitoire implacable est durement énoncé.

Il pointe le désengagement de l'Etat américain qui affaiblit les mécanismes d'alerte avancée.
Il décrit les comportements non coopératifs de panique violente.
Il moque nos contemporains qui ne comprennent pas la nature, s'aveuglent sur son hostilité indifférente, croient que les animaux, anthropomorphisés, sont nos amis (il faudrait lui présenter Peter Watts)« I couldn’t have been more grateful for the hummingbirds that flew across my vision. They were darting around those same flowers, giving each other those little loving kisses. I was so happy at first, hands to lips. Thank God! That’s what I was thinking. Thank God there’s at least one beautiful thing left. But then I looked closer and saw that they weren’t kissing. One was trying to kill the other, stabbing rapidly with its needlelike beak. That was what they’d been doing that first day, when I’d only seen what I’d wanted to see ». Kate et ses co-villageois sont tout dans ce passage.
Il rit de ceux qui veulent adapter l'environnement à eux au lieu de s’adapter à celui-ci : « Those poor bastards didn’t want a rural life. They expected an urban life in a rural setting. They tried to adapt their environment instead of adapting to it ».
Il dénonce une micro communauté (et au-delà un Occident) qui privilégie le confort à la capacité de résilience, le vitesse du flux tendu à la sécurité des stocks.
Il pointe la mollesse, la fragilité, d'Occidentaux qui ne peuvent voir le danger même quand il est sous leurs yeux et qui croient que l'Etat et/ou leurs gadgets technologiques seront toujours là pour les sauver.

Seule Mostar, qui a changé de nom après avoir survécu à la catastrophe, sait que le confort et la sécurité d'aujourd'hui ne disent rien sur la situation de demain – elle et sa famille en ont fait l'amère expérience.
Que l’effondrement est une toujours une option possible et rapide, quelle que soit l’échelle considérée.
Et, réagissant, Mostar entraîne avec elle Kate et Dan. Les deux jeunes gens, moins confits dans l'huile de leurs certitudes satisfaites que leurs voisins, se révèlent et passent, bien avant tous les autres, en mode « siège », quand rien n'est sûr, quand même la simple survie est aléatoire et largement dépendante de la qualité de ses réactions à la situation. Kate devient un leader quand d'autres s'écroulent. L'enjeu est simple : survivre, et toute erreur se paie d'une vie.

C'est donc à une lutte primordiale pour la survie que Brooks invite ses personnages. Il leur faudra pour cela en partie dévoluer, oublier une part du bullshit confortable qui dit que la nature est fondamentalement bonne, que l'Etat est une mère omnipotente qui viendra toujours nous sauver, ou que toute sagesse se trouve dans son smartphone. A la fin, ne reste que l'instinct de survie. A la fin, c'est eux ou nous. Eux et nous est impossible. Le karma, on s'en fout.

"Devolution" est un pétillant roman de survival horror de Max Brooks. C'est un texte vif, dynamique, qui n'arrête plus sa folle marche en avant une fois lancé. C'est aussi un texte très malin qui dit bien des choses pertinentes dont l'impact est rendu bien plus fort par ce que nous voyons de la crise du coronavirus. Tu y prendras plaisir, lecteur, je n'en doute pas.

Devolution, Max Brooks

Commentaires

Thomas Day a dit…
A paraître en 2021 chez Calmann-Lévy.
Gromovar a dit…
Et c'est une bonne nouvelle :)