The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

The Traitor Baru Cormorant - Seth Dickinson


Baru Cormorant est une petite fille de sept ans. Elle vit dans la petite ville côtière de Taranoke, avec sa mère et ses deux pères, une famille normale.
Intelligente, curieuse, directe jusqu'à l'effronterie, passionnée d'oiseaux, d'étoiles, et de connaissance, Baru est fascinée par les voiles rouges qui approchent du port. Ces voiles sont celles des marchands de la République Impériale ou Empire des Masques (parfois aussi nommé péjorativement Mascarade). Ils reviennent chaque année, quand les vents sont favorables. Ils commercent avec les autochtones, mais ne vendent que contre de l'or et ne paient qu'avec leur propre monnaie, une monnaie papier, en d'autres termes des billets de banque, qui tendent à devenir la monnaie de référence et « lie » celui qui l'accepte à ceux seul qui l'accepteront ensuite, c'est à dire l'Empire ou ses protectorats – c'est l'essence même de la monnaie fiduciaire. Mais cette année, les marchands, en convoi, sont accompagnés d'un bâtiment militaire chargé de leur « protection ». The times they are a-changin'.

Traité de coopération, première ambassade (protégée bien sûr par des marines impériaux), création d'une école, « assistance » lors d'un conflit frontalier dont les troupes autochtones reviendront comme par hasard très affaiblies, l'Empire s'installe dans la vie de Taranoke et dans celle de Baru. Mauvaise nouvelle pour la ville comme pour la petite fille. Car si Baru est séduite par tout ce qu’enseigne la nouvelle école fondée par l'Empire, elle y apprend aussi le plus complètement possible quelle idéologie sous-tend l'entité impériale et dont l'un de ses pères, puis toute sa communauté, fait progressivement les frais.
Convaincue qu'elle ne peut aider son peuple qu'en devenant elle-même un citoyen influent de l'Empire – en pratiquant donc un entrisme que ne renieraient pas les trotskistes, elle s'engage sur une chemin qui la conduit à devenir une brillante étudiante, à réussir haut la main les examens impériaux, et à être nommée pour son premier poste (avec l'aide de Cairdine ferrier, un marchand de l'empire qui l'a prise en amitié ?) Trésorier Impérial à Aurdwynn, une lointaine province souvent rebelle et divisée en plusieurs duchés. Un poste qui a coûté la vie à ses deux prédécesseurs et qui l’entraînera plus loin que quiconque l'aurait cru possible.

"The Traitor Baru Cormorant" est le premier roman de l'américain Seth Dickinson. Résolument grimdark, The Traitor est un texte original et souvent poignant sans être toutefois toujours à la hauteur de sa réputation.
Le lecteur y suit, à travers une narration à la troisième personne qui n'en sait pas plus que ce que sait Baru, les multiples machinations, traîtrises, combats, et atrocités qui jalonnent l'enfance puis la carrière naissante de la jeune femme.

Pour comprendre la nature de ses épreuves, il faut faire, comme elle, vraiment connaissance avec l'Empire des Masques. L'empire est né d'une révolution qui a éliminé son aristocratie corrompue. L'oligarchie régnante y a été remplacée par un Parlement que chapeaute un Empereur. Le peuple est donc représenté par le Parlement (qui a le vrai pouvoir), et l'Etat est personnifié par l'Empereur. Toujours masqué (comme tous les agents impériaux lorsqu'ils exercent leurs fonctions), l'Empereur est un homme choisi tous les cinq ans parmi les plus sages et intelligents de l'Empire. Peu importe son identité ou son statut social, s'il remplit les conditions il devient Empereur. C'est alors qu'il revêt un masque et boit une potion d’amnésie qui lui font oublier son identité pendant la durée de son règne, avant de perdre son trône cinq ans plus tard et d'être remplacé par un nouvel élu. Masque, amnésie, l'Empereur ne sait ni qui il était avant de régner ni qui il redeviendra après. Il gouverne donc derrière le voile d'ignorance popularisé par John Rawls et qui seul assurerait que les décisions prises conduiraient à une société juste. Son règne de cinq ans terminé, il abandonne sa charge publique, comme le faisait les dictateurs de la Rome classique. Un Parlement (législatif) fort, un Empereur (exécutif) tout dévoué à la chose publique, c'est le meilleur des mondes politiques. Sauf qu'en fait non, et qu'il y a un secret derrière ce bel édifice institutionnel.

Mais faisons comme s'il n'y avait pas de secret (déterminant dans le récit, mais no spoil) et examinons l'idéologie de l'Empire. Égalitariste à l'extrême (d'où le mode de désignation de l'Empereur, et les masques arborés par tous les fonctionnaires, qui agissent ainsi hors de toute considération liée à leur identité personnelle et disent une fois encore que quiconque d'assez talentueux peut occuper n’importe quelle fonction), l'Empire est aussi rationnel que totalitaire et impérialiste.

Rationnel il l'est car il se présente sans divinité, bardée d'une idéologie qui se donne à voir comme un pragmatisme. Rationnel aussi car il est capable de pousser chaque individu au bout de son potentiel, car il sélectionne par le biais d'examens officiels, car il développe une bureaucratie efficace que ne renierait pas Max Weber, soutenue par un système légal qui bride toute impulsivité.

Il est impérialiste car il étend sans fin son pouvoir sur le monde. S'il le fait parfois militairement, le gros de son extension tient à son immixtion économique. Bien plus avancé techniquement que ses futurs colonisés, littéralement sur la frontière technologique, l'Empire a l'avantage dans le domaine de l'armement – chimique notamment – mais aussi dans le niveau et la qualité des infrastructures publiques offertes à la population. Et c'est par là, par les « bienfaits de la colonisation » qu'apporte l'Empire qu'il s'infiltre dans les sociétés. Il n'a plus alors qu'à contrôler militairement une situation presque gagnée et à parfaire la domination par l'idéologie.

Car, nous l'avons dit, l'Empire est totalitaire. Organisé et mu par une doctrine nommée Incrasticism, l'Empire promeut un impératif de « pureté sexuelle » et « d'hygiène » dont la conséquence est l'exécution douloureuse des homosexuels hommes et femmes. A de telles accusations on ne survit pas, et chacun est incité à dénoncer de tels comportements pour que les autorités puissent sévir – c'est ainsi que la population de Taranoke fut « normalisée ».
Mais l'Empire a aussi un objectif eugénique clair de purification et d'amélioration de l’humanité. Autorisant ou pas les mariages et la reproduction en fonction de critères raciaux, l'Empire fait un travail d'éleveur de bétail purifiant des souches humaines ou au contraire hybridant telle ou telle variété d’humains pour obtenir un type nouveau désiré. Mariage et reproduction font donc l'objet d'un contrôle strict auquel il serait très dangereux de vouloir déroger. On se croirait ici dans un hybride entre l'eugénisme du Meilleur des Mondes, le sexcrime de 1984, et le Lebensborn du régime nazi. Et, de fait, le pouvoir donné aux fonctionnaires de soigner ou pas les épidémies en fonction des besoins, de torturer psychologiquement pour briser les volontés, ou d'utiliser de l'acide pour marquer les protestataires, le tout paisiblement, « sans violence et sans haine », rappelle autant le Ministère de l'Amour de 1984 que la banalité du mal décrite par Hannah Arendt.

Et c'est dans cet Empire que Baru veut s'élever. Elle devra pour cela mentir, trahir, servir des maîtres obscurs dont les instructions sont toujours implicites. Elle évoluera dans un monde où accorder sa confiance est risqué, où trop en dire est vite mortel. Elle devra aussi abandonner ceux qui furent les marches de son ascension quant elle seront devenues inutiles et détruire en elle-même, peu à peu, toute compassion et même toute humanité. L'ascension est à ce prix, elle qui permettrait à Baru de réparer Taranoke en subvertissant l’appareil impérial. Pour cela, il lui faudra chevaucher une rébellion, effondrer une économie en provoquant une crise à la John Law, dresser les gueux contre les nobles, les nobles contre l'Empire, et les nobles les uns contre les autres, en tentant de survivre aux menaces venant de son (ses) propre(s) camp(s) et d'anéantir en elle tout ce qui pourrait la sortir de cette course effrénée au pouvoir et à la vengeance.

Le roman est intéressant (et assez innovant) en ceci qu'il met l’accent sur l'argent comme nerf de la guerre, qu'il développe toutes les difficultés logistiques et de communication (souvent oubliées en fantasy) des campagnes militaires, qu'il dit à quel point maladie et faim tuent souvent plus que les combats, qu'il rappelle que dans la guerre classique c'est en éliminant les paysans qu'on vainc par annihilation de toute capacité productive ennemie, qu'il montre comment la supériorité technique vient à bout de tout courage ou de tout héroïsme – Haïlé Sélassié et ses troupes en firent l'amère expérience à Mai Ceu.
Il met en scène une héroïne intelligente et déchirée, entourée de beaux seconds rôles.
Il fait subsister longtemps une part de suspense sur les allégeances des divers protagonistes.

Néanmoins, on peut trouver certains personnages trop peu écrits – le Gouverneur – ou au contraire inutilement complexes – la Jurispotence.
On peut aussi avoir l'impression que, parfois, le récit veut être plus malin qu'il n'est, être agacé  par ces dialogues ou passages descriptifs écrits de façon artificiellement confuse pour dérouter et montrer à quel point tout est sous brouillard de guerre, ou se dire que l'arme monétaire utilisée ici n'est qu'un fusil à un coup dont l'auteur ne fait plus grand chose une fois les événements lancés.

"The Traitor Baru Cormorant" est donc un bon et original roman, mais sans doute pas le chef d’œuvre que d'aucuns en ont fait.

The Traitor Baru Cormorant, Seth Dickinson

Commentaires

Apophis a dit…
Vu ton avis sans enthousiasme particulier pour ce tome 1, je pense que tu peux te dispenser sans regret de son successeur, qui est particulièrement poussif. Je me pose même la question, pour ma part, de savoir si je vais lire le tome 3, alors que j'avais adoré le premier.
Gromovar a dit…
Oui, je pense ne pas poursuivre.
Pas déplaisant mais mon temps est trop chichement compté.
Tororo a dit…
Il est sur ma pile, alors je prévois de boire ma potion d'amnésie pour oublier cette chronique avant de m'y engager l'esprit vierge.
Gromovar a dit…
Ca ne peut que marcher ;)