Le Mahabharata est l'un des grands textes sacrés de l'Inde. Composé en sanskrit, c'est un poème de 250000 vers environ, répartis en 81936 strophes
(shlokas), le plus long texte poétique jamais écrit, quinze fois plus long que l’Iliade par exemple. Il aurait été organisé, en plusieurs versions et corrections successives sur un temps assez long, autour du 4è siècle avant JC, même si on lui connaît des modifications postérieures au moins jusqu'au 3è ou 4è siècle après JC.
En 1985, Jean-Claude Carrière allège le récit, lui ajoute quelques transitions, et s'efforce de le rendre plus accessible à un public non initié. C'est cette version que Peter Brook met en scène pour une pièce-fleuve – et triomphale – au festival d'Avignon. Quelques années plus tard, Jean-Claude Carrière y revient et publie son Mahabharata romancé en 1996.
Troisième retour au texte sacré avec cette adaptation BD de 450 pages mise en images par Jean-Marie Michaud.
Je ne vais pas tenter ici de résumer le Mahabharata, quelque version que ce soit. Ce serait présomptueux. Je ne vais pas non plus faire mine de juger la qualité de l'adaptation d'un texte que je connais peu.
Je vais seulement dire que c'est une fresque épique grandiose qui se dévore littéralement dans sa version BD. Et tenter de t'offrir quelques coups d’œil, lecteur, qui te donneront, j'espère, envie de t'y plonger tout entier.
Le Mahabharata est rédigé ici, comme l'affirme la légende, par le dieu
Ganesh sous la dictée du vieux sage
Vyasa. Le sage parle à un enfant humain et lui explique l'histoire de sa race, une race qui aurait pu s'éteindre tant fut dévastatrice la guerre fratricide entre les cinq frères Pandava, fils du roi Pandu, et les 100 frères Kaurava, fils du roi Dhritarashtra, leurs cousins.
Dans cette histoire, qui s'achève avec le début du
Kali Yuga, l'age sombre dans lequel nous vivons, non depuis l'élection de Donald Trump mais bien depuis 5000 ans, s'affrontent des hommes saisis par leurs passions, sous le regard et avec l'intervention fréquente des dieux ou des monstres.
Tu verras, dans le Mahabharata, les animaux parler aux hommes et les hommes les comprendre. Tu verras les dieux intervenir dans les affaires humaines, conseillant, combattant ou engendrant. Tu verras des malédictions prononcées qui se réalisent toujours et des promesses qui engagent magiquement ceux qui les prononcent.
Tu verras la colère et la vengeance, tu verras l'orgueil et la haine, tu verras une immense noblesse côtoyer d’immenses vilenies. Tu verras la bêtise parfois, mais aussi l'amour, la douleur, l'héroïsme, le courage.
Tu verras, comme dans toute grand fresque épique, l’enchaînement des torts réels ou perçus qui entraînent, par le jeu du devoir, de l'honneur, et de la vengeance, les passions toujours plus haut jusqu'à l'avalanche de la conflagration.
Tu verras
Krishna, avatar de Vishnou, prôner le
dharma – la voie droite – mais amener la fin de la guerre en s'en détournant, sauvant ainsi l’humanité à venir.
Tu verras le roi Yudhishthira, aîné des Pandava, inconséquent joueur qui perdit tout aux dés mais est de ces rois qui sont les meilleurs car ils ne désirent pas le pouvoir.
Tu verras le roi Duryodhana, aîné des Kaurava, plein de crainte et de rage, qui ne négocie pas, n'accepte aucun accommodement, et préfère l'anéantissement à la paix.
Tu verras la colère froide et la détermination de Draupadi, reine et femme des cinq frères Pandava, assoiffée de vengeance, humiliée par les Kaurava qui tentèrent de la déshabiller en pleine cour et dont la pudeur ne fut sauvée que par l'intervention de Krishna qui conjura des voiles sans fin pour soustraire son corps à la vue des spectateurs qui la raillaient.
Tu verras Arjuna, le héros, le meilleur des combattants, détenteur des armes divines qui peuvent annihiler la terre, et qui, convaincu par Vishnu, les utilisera en dépit de ses réticences.
Tu verras une guerre sans égale par son ampleur, ses manœuvres militaires, ses tactiques et ses rebondissements.
Tu verras des aristies, des traîtrises, de la fureur, du sang, des tripes, et des larmes en fleuves pleins. Tu verras 18 millions de morts sur le champ de bataille et la haine qui continue de sévir alors même que les combats ont cessé et que la guerre est finie. Tu verras l'horreur qui entraînera les âges dans le Kali Yuga.
En fait, ce que tu verras, c'est un choc de titans, c'est l'Iliade en mieux – imho.
Hommes et dieux trop liés, dieux trop puissants au milieu d'hommes à la vie trop courte et au sang trop chaud.
Rois et héros mus par leurs destins respectif, leurs ambitions, leur orgueil mal placé, leurs griefs jamais apaisés – tant pis si meurent et meurent encore les hommes de troupe et les suivants.
Et pour commencer, tu verras ce – long – début qui met la tragédie en branle et dont je t'offre ici quelques rapides traits :
Tu verras, lecteur, comment un roi eut un fils d'une déesse, et comment il épousa ensuite une femme qui lui donna un autre fils.
Comment ce mariage ne fut possible qu'après la promesse du prince aîné de ne jamais connaître aucune femme. Comment ce faisant il devint immortel, ne pouvant mourir que lorsqu'il le désirerait.
Comment le plus jeune prince eut trois promises dont l'une fut, crut-elle, bafouée et promit de se venger.
Comment les deux princesses durent copuler avec le vieux sage Vyasa, demi-frère du roi défunt, car le jeune prince passa avant d'avoir pu engendrer descendance
Comment elles donnèrent naissance à Pandu, le pale, et Dhritarashtra, l'aveugle, deux futurs rois marqués à vie par les conditions de leur conception.
Comment Pandu lui-même eut cinq fils – les Pandava, des enfants divins – sans jamais toucher ses épouses. Comment il mourut de céder à son désir pour Madri sa seconde épouse, qui, de remords, pratiqua la
sati.
Comment Dhritarashtra se maria avec Gandhari qui banda ses yeux pour toujours afin d'être pareille à son mari. Comment elle eut cent fils – les Kaurava – à la naissance magique.
Comment ces deux lignées devinrent très vite rivales.
Comment il y eut, dès le début, un fils caché qui reviendra et combattra dans la guerre jusqu'à en être l'un des plus redoutables héros.
Voilà, lecteur, je ne peux faire plus. J'ajoute juste que le dessin est très beau, poétique et grandiose suivant les cas, toujours adapté au moment du récit. Il faut bien que tu travailles un peu maintenant, que tu lises cette fresque sans être effrayé par son volume ; il fallait bien 450 pages pour raconter comment la destruction de l'humanité fut évitée de justesse.
Sois assuré que tu ne le regretteras pas.
Le Mahabharata, Carrière et Michaud
Commentaires
Qui a encore besoin de fantasy après ça ?