Printemps 1846.
Un convoi d'une centaine de personnes quitte la ville d'Independence dans le Missouri. 500 chariots, des familles, des célibataires, et leurs animaux
(de trait ou à viande), sur la route d'une Californie vers laquelle une ruée avait commencé quelques années auparavant
(et ce n'était pas la ruée vers l'or, ultérieure).
Le trajet habituel de ces convois empruntait
l'Oregon Trail pour un voyage d'une durée de quatre à six mois selon les conditions météo.
Mais quelques années auparavant, un dénommé
Lansford Hastings avait décrit dans un livre intitulé
The Emigrants' Guide to Oregon and California un trajet évitant
Fort Hall en passant au sud de celui-ci. Ce trajet, le
Hastings Cutoff, allongeait en fait la distance et obligeait à passer par des terrains complexes dont le moindre n'était pas le
Grand Désert Salé. On notera avec intérêt que, lors de la publication du Guide, Hastings n'avait jamais lui-même tenté la traversée, imaginée seulement sur carte. What could go wrong ?
Ben, tout en fait.
1846 donc. Le convoi quittant Independence est constitué de plusieurs familles
(pour certaines avec des salariés) et de quelques célibataires. Les familles les plus notables sont les
Donner (les plus riches, qui donnent leur nom à la tragédie), les
Reed, les Breen, les Graves, etc... Sans oublier Lewis Keseberg, un immigrant allemand accompagné de sa femme et de leur fille – Alma Katsu lui donne un rôle particulier – ou le journaliste
Edwin Bryant.
Le convoi est donc un monde en réduction avec sa stratification sociale, sa sociabilité, ses jalousies, ses ragots, ses groupes et réseaux internes. Un monde vivant qui va se désintégrer au fil des mois, cause et conséquence donc des difficultés rencontrées.
Lorsqu'une expédition de ce genre vire au drame, les causes sont toujours peu ou prou les mêmes. Terrain mal connu et mal cartographié, mauvais management du convoi
(avec plusieurs leaders successifs au fil des échecs ou des décompensations), mauvaises décisions aux différents embranchements décisionnels, maladies
(s'y ajouta ici la malnutrition car les vivres finirent par s'épuiser), malchance
(météo notamment).
Une progression trop lente par excès de confiance au début du voyage
(qui conduisit à un mauvais ratio consommation des réserves de nourriture/kilomètres parcourus), le choix de prendre le Hastings Cutoff
(ce qui était à l'avantage d'un Fort Bridger en grandes difficultés financières mais pas des émigrants) en dépit d'avertissements répétés de Bryant notamment, tout conduisit à ce que le convoi arrive trop tard et déjà affaibli dans la partie la plus difficile, la Sierra Nevada, presque en vue de la Californie pourtant. Froid, neige, terrain lourd, absence de pâture pour les bêtes, tout était dit.
Ici, je fais évidemment un résumé, il y a de très bons livres, détaillés, sur le sujet.
Quelques détails supplémentaires en français ici (courtesy of Alias).
A cette histoire connue
(des Américains) qui se termine avec la perte de 50% des pionniers et des soupçons étayés de cannibalisme sur la fin du voyage, Katsu ajoute une histoire de « lycanthropes » qui suivent et attaquent le convoi, aggravant ainsi – ou expliquant, au choix – la situation.
Si tout ça ne vous évoque pas
Terror de Dan Simmons, je ne peux plus rien pour vous. Mais là où Terror
(je débutais, je faisais très court, désolé) réussissait à affecter son lecteur, "
The Hunger" échoue. Pourquoi ?
Quatre raisons pour moi à cela :
D'abord, les multiples points de vue n’aident guère à prendre fait et cause pour un témoin quelconque du drame qui serait l'alter ego du lecteur dans le voyage. Tout roman choral n'est pas un roman choral réussi.
Ensuite, les trop nombreuses intrigues amoureuses du roman, si elles permettent d'entrer dans la culture et les préjugés de l'époque, parasitent le récit principal.
Encore, à vouloir donner du background à ses personnages principaux, Katsu propose une collection de freaks qui paraît invraisemblable dans son existence même dans un si petit microcosme. Les personnages centraux ont tous une histoire tragique, développée à un moment ou à un autre : celui qui a perdu son amoureuse suicidée après un viol incestueux, celui qui fuit le remords d'avoir causé la mort d'une femme avec des médicaments trafiqués, la mormone échappant aux persécutions dont son église était l’objet, l'homosexuel marié honteux et dissimulé, la fille dont le fiancé est mort avant le mariage à son grand soulagement, l'Indien élevé par des missionnaires, etc. De nouveau, on tourne autour d'un pot qui pu être être mieux rempli si avaient été limitées les « quêtes annexes ».
Enfin et surtout, jusqu'au dernier tiers, Katsu ne fait pas monter la pression ni ressentir les difficultés concrètes que vivent les pionniers. Dans
Terror on avait l'impression de sentir le froid qui prenait jusqu'aux os, d'éprouver la difficulté physique de l'épreuve en cours, de voir le stock de charbon baisser jusqu'à une fin annoncée. Ici ce n'est quasiment jamais le cas. Et même les lycanthropes sont trop backstage pour être vraiment inquiétants.
Et ne parlons pas de la fin, dont on peut dire qu'elle est à la fois éclatée, backstage, et rushée.
Pour passionner avec une histoire dont la fin navrante est connue dès le début il faut être le Simmons de
Terror ou le Hugo de
L’homme qui rit. Alma Katsu n'est visiblement ni l'un ni l'autre ; elle ne fournit même pas un compte-rendu vraiment satisfaisant sur le plan factuel d'une histoire largement documentée.
Dommage, j'aurais aimé aimer.
The Hunger, Alma Katsu
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Quelques photos historiques avec notamment les Reed |
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