Un mot rapide pour vous parler du reboot X-Men par Jonathan Hickman.
Pas plus qu'un mot rapide car, de lignes parallèles en reboots, de remises à zéro en révolutions narratives, la saga des X-Men – qui fut longtemps claire comme de l'eau de roche – erre depuis des années dans des avenues qui ne sont pas toujours de grande qualité ; et c'est bien dommage.
Ceci a pour conséquence que je ne tenterai pas de rentrer dans des détails scénaristiques qui ne parleraient qu'au petit nombre de fans assez fous ou suicidaires pour avoir tenté de suivre tous les rebondissements des dernières décennies.
Voici donc que Hickman se colle maintenant à l’exercice du nouveau départ. Pour cela il a écrit deux mini séries : "
House of X" et "
Powers of X". Les deux sont dispos dans un énorme TPB de presque 500 pages et c'est un grand plaisir de binge-reading
En un mot : les mutants – conduits par Xavier et Lehnsherr – créent une nation à eux, qui choisit pour territoire l’île de Krakoa
(oui, l'île mutante et vivante elle-même). Ils déclarent leur souveraineté et « offrent » à toute nation qui les reconnaîtra et conclura des accords commerciaux avec eux trois « bienfaits » : un médicament qui allonge l'espérance de vie humaine de cinq ans, un super antibiotique, et un soin pour les troubles mentaux. Le tout produit à partir des fleurs de Krakoa
(qui ont aussi d'autres fonctions).
A Krakoa, à laquelle on accède grâce à des portails de téléportation, les mutants ressuscitent corps et âme, par un processus que je ne décrirai pas ici. Qu'on sache seulement qu'ils reviennent tous, tous les millions de morts de Genosha puis de la Décimation, X-Men compris. Ils vont créer une nouvelle société, avec de nouveaux codes, une nouvelle langue, de nouvelles lois. Xavier, qui rêvait d'une cohabitation pacifique Humains/Mutants, et Lehnsherr, qui pensait que seule l’élimination des Humains permettrait aux Mutants de vivre en sûreté, finissent ici par trouver
(avec l'aide d'une entremetteuse dont je parle après) un mid-term fondé sur la puissance
(qui protège) et la séparation
(qui sécurise et pérennise).
Sur l’île comme au nouveau conseil de gouvernement, l'union de tous les mutants
(y compris ceux qui combattirent les uns contre les autres, ceux qui se trahirent mutuellement, jusqu'à ceux qui voulurent la mort les uns des autres) à l’écart des Humains et hors de leur présence signe l'inédite posture isolationniste et différentialiste des Mutants, basée sur un essentialisme qui rappelle sans doute les exigences et vociférations des essentialistes de notre temps
(indigénistes, féministes radicales, et autres).
Hickman est ici dans l'air du temps. La différence entre son postulat et celui de Stan Lee créant les X-Men comme ode à la différence et volonté de cohabitation pacifique en dit long sur les ravages intellectuels qu'ont causé à notre époque
(et singulièrement à l'universalisme ou au droit) l'essentialisme et le différentialisme à l’œuvre dans trop de cercles.
De ce fait, à la joie de voir revenir les X-Men s'ajoute inévitablement pour le lecteur expérimenté le regret, la tristesse de voir le rêve de Xavier définitivement foulé aux pieds.
On remarquera d'ailleurs que Esme explique à un moment qu'elle ne gardera pas son nom d'humaine mais le remplacera par un nom mutant, reprenant ici la posture qu’adoptèrent Malcolm X et la Nation of Islam à propos de leurs noms « d’esclaves ». On trouvera – moi en tout cas – que si Malcolm X était bien courageux, Martin Luther King était, lui, bien plus à même de faire société. Choisis ton camp, camarade !
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Le Conseil de Krakoa, moins un membre encore dissimulé |
Pour réaliser ce tour de force d'un énième reboot sans paraître trop artificiel, Hickman utilise une version inédite et utéropérégrine du personnage de Moira MacTaggert
(que les habitués connaissent bien) ce qui permet de raccommoder à peu près les fils de l'historicité mutante tout en livrant quatre récits entremêlés : le passé qui prépare l'indépendance, le présent avec ses difficultés face à des Humains qui ne veulent pas abandonner leur projet d’extermination des mutants, et le futur
(100 ans puis 1000 ans) vers la domination des machines jusqu'à la singularité. Quatre fils entrelacés plus des flashbacks, le tout reçu par le lecteur sans aucune difficulté de compréhension car le scénario file sur de rails clairs et que tout s’emboîte logiquement dans ce qui précède ou suit, quel que soit le moment où on le découvre
(lire tout d'une traite aide aussi, clairement). D'autant que Hickman, fidèle à son habitude, parsème son récit d'infographies qui synthétisent ce qu'on a glanée comme information au fil de l'histoire.
Tout converge donc vers une fin aussi logique qu'inéluctable liée et sous-tendue par les dix vies de Moira MacTaggert.
C'est un début, une fondation, qui se réalise presque pacifiquement sous les yeux d'Humains abasourdis dans un premier temps. D'où, peu de conflit, peu de combats
(en dépit d'un vrai morceau de bravoure et de sacrifice face à un retour planifié des inévitables sentinelles, ou des moments tendus de l'avenir où la domination des machines devient effective). Qu'importe, l'essentiel est de placer le décor pour tout ce qui va suivre. Et ça c'est fait, et plutôt bien fait. Les dessins de Silva et Larraz ne sont pas en reste, et pour la première fois depuis bien longtemps j'ai envie de suivre ce run et de voir où il va mener.
House of X/ Powers of X, Hickman, Silva, Larraz
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