The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Staline la véritable histoire vraie - Swysen - Ptiluc


Après Hitler, la véritable histoire vraie, les belges Bernard Swysen et Ptiluc se sont attaqués à Staline, l'autre face de la pièce noire du XXe siècle – quoiqu'en pensent encore aujourd'hui certains nostalgiques.

Comme pour Hitler, l’objectif est clair. Raconter en 100 pages la vie de Staline, l'un des personnages les plus noirs de l'histoire humaine. Et le faire d'un manière qui soit assez divertissante (même si le mot peut étonner, voire heurter) pour que le grand public s'y plonge sans avoir l'impression de faire ses devoirs scolaires. Placere et docere, c'est encore l'objectif. Il est atteint imho. Détails.

Staline, cela n'étonnera personne, est ici un ours. Un ours qui naît en 1878 en Géorgie d'une mère aimante et d'un père alcoolique et violent (tiens, tiens, Hitler aussi), des gens modestes comme l'empire russe en comptait des millions.

Surnommé Sossa par sa mère, le petit Iossif Vissarionovitch Djougachvili est un enfant comme les autres, à ceci près qu'il fait montre très tôt de capacités intellectuelles certaines qui ne cesseront jamais d'émerveiller sa mère. Costaud, le gamin survit même à la variole, et résiste, autant que faire se peut, à la brutalité de son père qui veut en faire un cordonnier et lui refuse l'accès à l'école.
Départ du père, adoration jamais démentie de sa mère envers lui, entrée au séminaire, Staline, bagarreur et casse-cou, brillant et charismatique, violent et un peu mégalo, devient un garçon manipulateur qui ne combat que pour vaincre et dont le discours sert toujours à polir l'image : toujours se donner le meilleur rôle suivant le contexte et le but à atteindre – quelle qu'ait été la vérité des faits –, toujours laisser croire qu'on contrôle les événements et non qu'on les subit.

La brutale réalité froide du séminaire et le contexte politico-social de la Russie absolutiste de Nicolas II détournent vite Staline de la religion. Il devient ce qu'on pourrait appeler un athée militant. Entre lectures romantiques et militantes, c'est à la même époque que le jeune homme commence à s'intéresser à la politique et qu'il entre dans la mouvance socialiste clandestine (via l'un de ses avatars, le POSDR). De lectures interdites en faible assiduité (là encore, sa version et celle des autres divergent), Staline finit par être renvoyé du séminaire.

Commencent alors pour lui des années de clandestinité vibrionnante. Arrestations, exils en Sibérie, évasions, se succèdent. Braquages sanglants pour financer le mouvement, nouvelles arrestations, nouvelles évasions. De 1902 à quasiment 1917, Staline voyage à la rencontre des cadres étrangers du mouvement, organise des actions, progresse dans la hiérarchie interne, sans jamais perdre l'habitude d'être arrêté ni de s'évader. C'est durant cette période qu'il rencontre Lénine, qui lui confiera la « question des nationalités », ou encore Molotov. Et lui qui se faisait appeler Koba choisit de devenir Staline, peu ou prou « l'homme d'acier ».

Ne participant guère ni à la révolution de 1905, ni à celle de février 1917, ni à celle d'octobre non plus, Staline agit, avant comme après ces mouvements, à l'arrière, dans l'ombre, dans l'action violente préparatoire, l'organisation, et l'infiltration, bien plus que comme un combattant de première ligne. Fidèle à cette méthode de centrage sur l'interne du parti, il fonde le politburo avec Trotsky qu'il perçoit très vite comme un adversaire (un ennemi personnel ?) à combattre à l’intérieur même de la direction du parti.

Paix de Brest-Litovsk terminant la guerre, assassinat de la famille impériale russe à Ekaterinbourg, les Bolchéviks sont au pouvoir, et ils le tiennent en dépit des mouvements contre-révolutionnaires. Staline prend sa place dans les institutions naissantes, il fait montre dans son premier poste officiel à Tsarytsine d'une grande brutalité politique, voyant des saboteurs partout et faisant exécuter au moindre prétexte. On peut y pressentir ce que deviendra l'homme dès qu'il aura non plus du pouvoir mais Le pouvoir.

De fait, au pouvoir, Staline y arrive après la mort de Lénine, et alors même que Lénine dans son testament s'opposait à la poursuite de la carrière politique de Staline en raison de sa brutalité. Qu'importe, Staline, qui contrôle bien les rouages du parti, empêche la publication du testament et prend l'intégralité des pouvoirs, forçant rapidement Trotsky à l'exil (il le fera assassiner des années plus tard).

Staline devient très vite l'homme des déportations et des purges. Anonymes, groupes sociaux, caciques du parti, ou pauvre bougre ayant eu le malheur de déplaire au dictateur, elles touchent haut et bas de la société dans la dynamique mortifère constante de l'ennemi intérieur que décrit Arendt dans Les origines du totalitarisme, doublée ici des délires paranoïaque et mégalomaniaque d'un potentat oriental à la Voltaire.

Sous un forme ou l'autre, les purges ne cesseront jamais. Élimination progressive mais régulière des adversaires dans le parti, dékoulakisation violente, industrialisation forcée, famine en Ukraine, déportation de nationalités, ou pourcentage de liquidation automatique par groupes « d'ennemis du peuple », rien n'est jamais trop pour un Staline dont le culte de la personnalité naissant n'est que le prolongement du façonnage d'image qu'il pratique sur lui-même depuis toujours. Son image enfle au rythme des centaines de milliers puis des millions de morts ou de déportés.

Purges avant, pendant, après la guerre – y compris des officiers de l'armée rouge avant et pendant la guerre –, jusqu'à l'invraisemblable complot des blouses blanches (une manifestation parmi d'autres de l’antisémitisme bon teint du bonhomme). Arrestations arbitraires, tortures, aveux extorqués (jusqu'aux autocritiques durant les quelques procès publics), on déporte et on exécute sans cesse comme le montre de superbe manière le roman L'évangile du bourreau.

La guerre commence pour l'URSS par le pacte germano-soviétique signé entre Hitler et un Staline qui voit en lui un adversaire plus qu'un ennemi. Elle permet à Staline de mettre la main sur certains territoires qu'il convoitait dans une sorte de monopoly géant. Mais voilà qu'Hitler, tout à sa fureur imbécile, le trahit et attaque l'URSS. Débâcle d'abord, puis résistance héroïque par une armée exsangue d'officiers – sans oublier, pour être exhaustif, les consignes donnés à la police politique de tirer sur les soldats reculant. Mais Stalingrad tint, Stalingrad repoussa l'armée allemande, Stalingrad devint pour l'éternité l'emblème de la résistance soviétique, et offrit à une tactique loin d'être brillante et à un fou sanguinaire qui n'avait rien à envier à son ennemi de circonstance une légitimité et une aura qui ne firent qu'ajouter à l'admiration béate que lui portaient intellectuels et artistes occidentaux.

Il en sortit la guerre froide, le rideau de fer, la mainmise (acceptée en partie à Yalta il est vrai) de l'URSS sur l'Europe de l'Est. Bien vite, Staline - qui pouvait en douter ? -, revient sur ses engagements et notamment sur le plus important, celui d’élections libres dans les pays libérés. Intrigant et manœuvrant, il crée une orbite autour de l'URSS, composée de pays vassalisés.

Staline, finit par mourir. Il était si central au système et la terreur était telle que sa mort même fut un objet d'effroi et de manœuvres politiques dans son entourage (comme raconté dans le tragi-comique La mort de Staline).

Voilà pour l'homme politique. Que dire de l'homme que n'ait pas déjà été dit au-dessus ?

Deux épouses :
Ekaterina qu'il aima profondément et qui succomba à une maladie.
Nadejda qui se suicida parce qu'elle ne supportait plus la vie avec un tel homme.

Trois enfants :
Iakov, peu aimé, s'engagea dans l'armée et fut capturé par les Allemands, son père refusa de l'échanger contre le Maréchal Von Paulus car « on n'échange pas un maréchal contre un lieutenant », il mourut en captivité.
Vassili, que son père nomma général d'un peu tout et fut arrêté après la mort de celui-ci.
Svetlana, la préférée de son père, qui finit par quitter l'URSS et prit le nom de sa mère pour ne plus être associée à son géniteur.


Et des obsèques qui furent le summum du culte de la personnalité. Y compris en France où L'humanité titra « Deuil pour tous les peuples » et où la polémique grotesque du portrait de Staline enflamma Les Lettres françaises.

Il fallait un portrait de couverture pour aller avec les dithyrambes de prestigieux communistes français énamourés et endeuillés. Picasso, le réalisa. Il fit un portrait de Staline jeune au lieu de montrer l'ineffable Petit père des peuples, l'affaire fit grand bruit et Aragon (et pas que lui) le lui reprochèrent en ces termes : « on peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes - mais notre Staline, on ne peut pas l’inventer. Parce que, pour Staline, l’invention – même si Picasso est l’inventeur – est forcément inférieure à la réalité. Incomplète et par conséquent infidèle. ». Même mort, le tyran bougeait encore.

Cet album est globalement une réussite pour les mêmes raisons que l'était celui sur Hitler.

D'abord il montre une vie entière dans les contraintes de la pagination (100 pages c'est long et très court à la fois, d'où, même léger problème qu'avec Hitler, certains événements juste suggérés sont plus compréhensibles si on les connaît déjà). Il le fait avec humour souvent mais sans céder sur les faits et sans occulter la monstruosité de ce qui se joue.

Ensuite, il montre ce que le pouvoir de Staline en externe (l'interne était réglé depuis longtemps) et surtout l'influence soviétique durent à la Seconde Guerre Mondiale.

Enfin, il remet en lumière les dizaines de millions de victimes du totalitarisme stalinien, souvent passées par pertes et profits au nom de l’alliance contre Hitler ou de la « merveilleuse utopie communiste » enfin réalisée.
Dans un cas comme l'autre, ceux qui furent les œufs qu'on casse pour faire l’omelette aurait sûrement préféré un autre destin.

A lire et à faire lire (pour tordre définitivement le cou à l'idée que Staline, c'est moins grave).

PS : A noter deux erreurs de dates, sur l'entrée au séminaire et la fin de Stalingrad.

Staline, Swysen, Ptiluc

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