Les habitués de ce blog
(il doit bien y en avoir deux ou trois) savent que je n'aime guère la littérature YA et que je ne lis jamais de Jeunesse, préférant la laisser à ceux à qui elle est destinée et dont je ne fais plus partie depuis longtemps.
Si je commence en précisant ce point, c'est que "
Harrison Harrison", de Daryl Gregory, se situe clairement entre les deux, et que pourtant j'ai pris un grand plaisir à sa lecture – je dirai après comment je l'explique. Venant d'un lecteur aussi allergique que moi à certaine forme de littérature, c'est dire que toi, lecteur, tu peux sans doute y aller en confiance.
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Harrison Harrison" est un prequel au très estimable
Nous allons tous très bien merci du même auteur. Les lecteurs du précédent roman se souviendront de Harrison, héros involontaire d'une série de livres fantastiques pour enfants dont on prétendait qu'une partie était inspirée de faits réels. C'est l'une de ces aventures, sans doute fondatrice, qu'offre ici Gregory aux lecteurs – ou pas – du précédent roman.
Harrison Harrison est un adolescent victime. Son père est mort en mer lorsqu'il était petit, lors d'un « accident » qui a aussi coûté sa jambe au jeune garçon. Des années plus tard, sa mère, océanographe, l’emmène avec elle dans le Massachussets où elle doit poser des bouées d'observation.
L'adolescent est peu enthousiaste et ses pires craintes se réalisent lorsqu'il arrive à Dunnsmouth
(sic), une petite ville côtière grise et morne, lorsqu'il découvre son lycée, sorte de blockhaus dans lequel on enseigne des matières aussi absconses que la géométrie non-euclidienne et dans lequel les étudiants locaux
(devrait-on dire autochtones ?) participent chaque matin à une cérémonie religieuse étrange dont il est exclu, lorsqu'il comprend qu'il n'y a aucun réseau de téléphonie mobile dans la ville, entre autres joyeusetés.
Ce qui aurait pu n'être qu'un mauvais moment à passer vire au cauchemar quand la mère d'Harrison disparaît en mer, précisément comme son père des années plus tôt.
Commence alors pour le jeune homme la recherche d'une mère perdue dont il ne peut se résoudre à la mort, une quête dans laquelle il sera épaulé par des alliés inattendus.
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Harrison Harrison" est un roman d'aventure inspiré de l'univers de Lovecraft. On y suit les efforts désespérés d'Harrison pour retrouver sa mère en dépit de l'obstruction manifeste d'une partie de la population locale.
L'ensemble est rythmé, dynamique, engageant, porté par une histoire logique faute d'être très complexe, des seconds rôles croqués avec assez de finesse pour les rendre intéressants, un « méchant » principal inquiétant, et une ambiance qui donne l'impression
(pas fausse) que le jeune homme
(en Mulder des mers) est environné de forces hostiles qui feront tout pour protéger leurs secrets.
Avec juste assez de thrill et de menaces sur une mère à sauver d'un sort pire que la mort, et en dépit d'un fin un peu trop simple
(disproportion entre horreur cosmique et groupe de jeunes oblige) mais pas univoque, "
Harrison Harrison" entraîne son lecteur dans une palpitante course contre la montre largement à l'aveugle. Il récupère des tropes lovecraftiens évidents sans en faire trop dans la citation ou la révérence, il crée une ambiance qui peut rappeler par moments Harry Potter tout en évitant les deux défauts rédhibitoires du célèbre cycle : tomber dans toutes les ficelles du roman d'internat, et proposer cette
« Magic for dummies » qui consiste à utiliser le magie pour remplacer l'aspirateur parce que c'est rigolo.
Et il le fait avec une forme d'élégance et d'attention aux personnages qui caractérise les écrits de Daryl Gregory
(interview 2015 ici). De fait, Harrison est un jeune homme plus mature et responsable – son background sans doute – que bien des héros jeunes adultes de romans YA ; ceci – plus les deux points cités au-dessus et le fait que Gregory ne balance pas de petites blagues à la con – expliquant pourquoi je n'ai pas ressenti ici la répulsion habituelle qui me saisit quand le hasard me met en contact avec de la littérature « Jeune ».
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Le professeur de géométrie non-euclidienne |
A l'élégance de Gregory, s'ajoute celle du
Bélial, et singulièrement de Nicolas Fructus qui illustre le roman de forts jolis dessins. Ce procédé rappelle les romans qu'on lisait enfant et dans lesquels on se délectait de voir les sales trognes des protagonistes et la mine patibulaire des méchants. C'est donc un très charmant objet
(fond et forme), à lire et à offrir pour amener en douceur un jeune à l'Imaginaire en attendant de lui faire lire les Gregory adultes, qui contiennent tout autant le plaisir évident et communicatif que Gregory prend à raconter des histoires dans lesquelles ce sont les humains et les liens d'amour entre eux qui tirent le récit.
Last but not least, aucun roman qui cite longuement
La complainte du vieux marin de Coleridge ne peut être foncièrement mauvais.
Harrison Harrison, Daryl Gregory
L'avis d'Anudar
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