Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

Cochrane vs Cthulhu - Gilberto Villarroel


Sortie de "Cochrane vs Cthulhu", de Gilberto Villarroel, aux Forges de Vulcain, le récit uchronique d'un affrontement à mort entre Le Cthulhu (que je choisis de citer en premier, à tout seigneur tout honneur) et Lord Thomas Cochrane, sur et au large de notre Fort Boyard (oui, celui-là même qui accueille le Père Fouras et ses invités peu futés de Messidor à Fructidor).

Pourquoi Villaroel, artiste chilien vivant et travaillant à Paris a-t-il imaginé une telle confrontation ?

Pour Fort Boyard, car il a découvert lors d'une promenade le véritable bâtiment historique, ce qui l'a amené à regarder l’émission – qu'il ne connaissait pas – qui l'a un peu consterné mais aussi intéressé.

Pour Cthulhu, car Who Else ? Tu oses poser la question, vermisseau humain ?

Pour Lord Cochrane, car c'est un personnage historique larger than life, une tête brûlée doublée d'un brillant tacticien, l'homme qui détruisit en 1809 la moitié de la flotte française lors de la très audacieuse attaque aux brûlots – au large de Fort Boyard justement – ce qui lui vaudra à la fois une élévation dans l'Ordre du Bain et un passage en cour martiale, l'homme qui participa à l’indépendance du Chili (entre autres guerres d'indépendance dans lesquelles il s'impliqua, à savoir, Pérou, Brésil, Grèce) et sur lequel l'auteur chilien prépara pendant un temps un documentaire.
Un héros, brillant, courageux, peu discipliné, un Papy Boyington de l'ère napoléonienne. Ou, j'y reviendrai, une sorte de Bob Morane avant l'heure.

Maintenant, aux faits.

Avril 1815. Les Cent Jours. Le fort Boyard a été partiellement réarmé après la catastrophe de 1809 (dans la réalité, la construction du fort fut mise en suspens jusqu'en 1841). Il est occupé par une petite garnison commandée par le capitaine des Dragons de la Garde Loïc Eonet. A l'insu de tous, Eonet attend des émissaires envoyés de Paris pour analyser d'étranges artefacts découverts sur le site du fort. Peu avant leur arrivée, un petit bateau est repéré par les vigies. S'y trouvent des « invités » inattendus : Lord Cochrane et quelques hommes, tous en tenue civile (donc passibles d'une accusation d'espionnage, punie de mort). Emprisonné mais traité avec les égards dus à son rang, Cochrane raconte à Eonet l'histoire de sa récente déchéance anglaise, et prétend être dans des eaux qu'il a jadis couvertes de sang et de flammes dans la cadre d'une expédition scientifique.

La méfiance est énorme, exacerbée par l'arrivée sur le fort du plus proche collaborateur du terrible Fouché, Durand, qui reproche à Eonet son traitement du prisonnier et le relève pour cela de son commandement. Ne manquaient plus que les frères Champollion pour que le cast soit complet ; les voilà, ils sont les scientifiques envoyés pour traduire et interpréter des artefacts dont il s'avère vite qu'ils sont bien plus anciens que l’Égypte pharaonique, peut-être plus anciens même que toute l'humanité. Et qu'ils mettent en garde contre une menace antédiluvienne.

Inspiré de L'appel de Cthulhu, "Cochrane vs Cthulhu" est le premier volume d'un cycle que Villaroel entend consacrer à Cochrane. Héros récurrent du cycle à venir, brillant et charismatique, Cochrane sera, comme un Bob Morane en costume, confronté à des ennemis d'une puissance inégalée que seuls son courage et son ingéniosité tactique sauront vaincre.

Pas d'enquête ici, pas de vieux universitaires miskatoniens, pas de lettre d'adieu d'un lettré promis à une mort prochaine. En leur lieu et place, deux jeunes universitaires napoléoniens dont l'un déchiffrera les hiéroglyphes, un capitaine français courageux et loyal, quelques dizaines de soldats qui essaient plus que tout de survivre à un danger inouï, et surtout un héros en délicatesse de nation. Il ne s'agit pas ici de comprendre mais de vaincre, pas de découvrir mais de survivre ; et si la mort devait advenir, il importe que les hommes qui la rencontreraient puissent le faire avec bravoure et panache.

"Cochrane vs Cthulhu" est un roman pour joueurs de L'appel de Cthulhu peut-être plus que pour puristes lovecraftiens (j'ai la joie d'avoir un pied dans les deux camps). C'est un texte de combat, dynamique, trépidant même, qui ne cesse jamais de balancer péril après péril sur ses protagonistes et met en scène des héros qui ne succombent jamais au désespoir, qui considèrent même que les actes les plus désespérés sont aussi les plus beaux car ils amènent la gloire s'ils réussissent et une mort héroïque s'ils échouent.
Les joueurs connaissent ces moments où, tout étant perdu fors l'honneur, ne reste qu'à mettre en branle le plan le plus audacieux possible en espérant qu'il offrira au moins une petite chance de survie. Et, on le sait, la fortune sourit aux audacieux.

"Cochrane vs Cthulhu" – finalement plus Cochrane que Cthulhu – est donc un plaisant divertissement, presque adolescent, et une revanche bien venue offerte à tous ces personnages qui succombèrent à la folie ou à la mort dans les écrits d'HPL.
Si on devait lui reprocher quelque chose (deux, en fait), ce serait d'une part l'amour immodéré que l'auteur porte à ses personnages et qui transparaît trop explicitement imho, et quelques paragraphes de « rappel de ce qui précède » qui donnent l’impression que le texte a été publié en feuilleton. Disons que c'est mineur.

Cochrane vs Cthulhu, Gilberto Villarroel

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