"The New Frontier" est une série complète de Darwyn Cooke, publiée en 2004 (que je lis mieux tard que jamais), et lauréate des Eisner, Harvey, et Shuster Awards.
De la fin de la guerre au début des années 60, Cooke imagine une réinvention de la transition du Golden Age au Silver Age, de Superman et Wonder Woman à Flash et Green Lantern pour le dire (trop) vite, du déclin du goût pour les super-héros à leur retour en grâce auprès du public. Et c'est brillant.
D'une île perdue truffée de dinosaures à une menace pour la survie même de l'humanité, Cooke balade le lecteur sur quinze ans à travers les destins de nombreux personnages qui racontent une version idéale et finalement optimiste d'une transition qui partait pour être douloureuse.
On croise dans les pages de "The New Frontier" les groupes de héros humains caractéristiques des récits de guerre de l'époque – c'est d'ailleurs avec l'un de ceux-ci, The Losers, qu'on ouvre le bal.
Ces groupes de héros strictement humains, motivés par leur patriotisme et leur courage inébranlable, deviennent vite les seuls à agir vraiment.
En effet, le début de la guerre froide, la course à l'armement, et la compétition spatiale avec l'URSS, développent aux USA une paranoïa militante qui culmine avec les activités de McCarthy et de son comité des activités anti-américaines. Les héros, devenus suspects, sont sommés de se démasquer. Beaucoup refusent et sont rapidement obligés de se dissimuler ou de cesser leurs activités. La Société de Justice d'Amérique se dissout. Superman (favorable à la loi) et Batman (opposé) se confrontent même dans un combat titanesque qui préfigure la confrontation Captain America/Iron man dans le Civil War de Marvel ; qui ne sortira que plus tard et dont on a du mal à penser qu'il ne s'en est pas inspiré. Après, la messe super-héroïque semble dite.
Même les héros à pouvoir magique ou divin (Shazam par exemple) se retirent et décident de laisser le temps de la science advenir. C'est un temps où le mythe super-héroïque devient résiduel – peut-être voué à s'éteindre complètement.
Alors que l'activité héroïque est devenue faible aux USA, Superman et Wonder Woman continuent d'aider l'armée US en Indochine, où ils commencent (Wonder Woman surtout, en double féminin et temporaire de Walter Kurtz) à douter de leur engagement et du bien-fondé de leur implication dans l'activité militaire américaine.
La nature ayant horreur du vide, au pays, comme on dit, débarque le dernier des Martiens J'onn J'onzz, qui se dissimule sous les traits d'un policier et tombe – avec Batman – sur un culte apocalyptique qui semble n'être qu'un avatar d'un mouvement plus vaste.
J'onzz découvre sur Terre la peur de l'autre et la racisme qui caractérisent la société de l'époque, et assiste, atterré, à l'assassinat de John Henry, un héros noir qui lutte contre le KKK.
Parallèlement et sans lien direct, Barry Allen est frappé par l'éclair qui le transforme en Flash, et le vétéran idéaliste et tête brûlée Hal Jordan devient le Green Lantern terrien.
Tout ce monde, plus une quantité d'autres dont de nombreux non super-héros, devront s'unir pour repousser une menace qui pourrait éradiquer toute vie humaine et dont des cultes secrets annonçaient l'avènement, entre cauchemars et crises de désespoir.
Avec "The New Frontier", Cooke livre une histoire de très grande qualité. Réunissant un casting impressionnant dont je n'ai cité qu'une petite partie, il assure le passage de témoin du Golden Age au Silver Age. Ne s'interdisant rien, il entremêle des destins variés, crée des personnages que le nombre de pages permet de rendre complexes, fait intervenir les héros humains – issus des histoires de guerre, et pour leur dernier tour de bal – au côté des super-héros, offre un final (le discours de Kennedy) qui résonne étrangement aujourd'hui tant les questions à adresser semblent presque toutes encore d'actualité.
Il met dans cet hommage un amour qui transparaît à chaque page.
Le style graphique rappelle l'époque – Kirby entre autres, ou les « belles américaines » aux chromes rutilants. Sonnent juste aussi le ton des dialogues, les systèmes de valeurs affichés, et les personnalités, qui disent une génération de l'après-guerre forte de vétérans porteurs d'une vision du monde forgée sur les champs de bataille – jusqu'à l’exacerbation de la virilité et le traitement particulier des relations hommes/femmes qui paraît exotique aujourd'hui.
Il réussit ainsi le pari de traiter de ce qui, dans les 50's, était l'éléphant dans la pièce (celui qu'on ne veut pas voir), à savoir les black ops, les crimes de guerre, le sexisme, le racisme, etc., et de le faire avec des personnages qu'il dote d'assez d'intelligence pour repérer l'éléphant sans tomber dans l'anachronisme psychologique qui consisterait à les doter de systèmes culturels qui seraient ceux de notre temps.
C'est beau, c'est bon, c'est bien. Croyez-moi !
Etant un Marvel-guy, je suis quelqu'un qui connaît l'univers DC sans en être un expert ni un amoureux, et pourtant j'ai pris un immense plaisir à retrouver des personnages connus et à lire une histoire inédite qui les met tous en valeur sans oublier de montrer l'accouchement difficile d'une nouvelle époque.
Note: comme toujours, l'édition Urban Comics, truffée d'annexes, est de très grande qualité.
The New Frontier, Darwyn Cooke
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