Eric LaRocca - As-tu mérité tes yeux ?

Agnes Petrella est une jeune américaine un peu dans la dèche. Elle est lesbienne aussi, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire au début alors que « dans la dèche » en est le point de départ. En ce 26 mai 2000, Agnes, qui a besoin de 250$ pour payer son loyer du mois, poste sur un forum queer une annonce pour mettre en vente un épluche-pomme vieux de plus d'un siècle. Contrairement à ce qui se pratique habituellement, elle a composé pour ce faire un message de presque quatre pages dans lequel elle explique avec force détails à quel point cet épluche-pomme est un élément important de son histoire familiale et donc à quel point aussi il lui est pénible de s'en séparer. Nécessité faisant loi elle s'y est finalement décidée mais, dit-elle, elle ne consentira à vendre l'objet qu'à un collectionneur sérieux (!). Deux jours plus tard, après quelques réponses insultantes, Agnes en reçoit une intéressante d'une certaine Zoe Cross qui dit être intéressée et prêt...

The Comet - W.E.B. Du Bois


1920. la queue d'une comète (!!!) traverse New-York, libérant des gaz toxiques qui en tuent toute la population à l'exception notable de Jim et Julia.

Précisons qui sont les deux protagonistes presque uniques du récit. Jim est un employé de banque et il est noir (ce qui en 1920 aux USA n'est pas anodin). Envoyé récupéré des documents dans le sous-sol de la banque, il s'y trouve enfermé quelque temps par accident. Une claustration qui lui sauve la vie car lorsqu'il revient à la surface tout le monde est mort. Errant dans la ville comme le héros du légendaire Question du temps, Jim ne croise que mort et désolation jusqu'à ce qu'il rencontre Julia. Elle partage avec lui le fait d'avoir survécu. Mais rien d'autre. Julia est riche et blanche alors que Jim est pauvre et noir.

Après des recherches infructueuses d'aide ou de survivants, Jim et Julia se disent qu'ils sont peut-être les deux derniers humains vivants et, dans une exaltation toute chrétienne, qu'il leur revient de repeupler la Terre en passant pour la première fois par dessus leurs différences. Julia commence une phrase que Jim termine : « The rich and the poor meet together; the LORD is the Maker of them all. ». Cette citation tirée des Proverbes signifie que les humains sont tous frères, qu'ils ont tous la même origine, qu'ils sont tous autant aimés par leur créateur, et que si celui-ci les voit tous comme ses enfants ils sont donc nécessairement égaux.

Après qu'ils se soient vus vraiment comme humains par delà leurs différences et alors qu'ils s'apprêtent à remplir leur mission divine, voilà qu'arrivent le père et le fiancé de Julia, en compagnie d'autres hommes.
New-York avait péri mais la Terre avait survécu : il n'y avait donc rien à repeupler et l'édifice social existait toujours.
Dans la chaleur de l'instant, on parle de lyncher ce noir trop proche d'une femme blanche et c'est au témoignage de Julia que Jim doit sa sécurité. Mais le monde existe à nouveau, NY n'est pas un second jardin d'Eden, et Julia repart donc avec les siens – non sans que son père rémunère Jim, humiliation suprême. Quant à Jim, il retrouve tout à la fin sa girlfriend, noire comme lui.
Chacun rentre chez soi, et les vaches sont bien gardées.

Deux choses sont fascinantes dans cette courte nouvelle qui ne brille pas par sa narration ou ses rebondissements.

D'une part, l'auteur W.E.B. Du Bois est une star afro-américaine de la sociologie – entre autres nombreuses activités. Il a énormément travaillé sur les afro-américains, et a produit au début du XXe siècle la littérature savante sur le sujet avec ses Souls of the Black Folk et le très impressionnant méthodologiquement The Philadelphia Negro, qui vient d'être traduit à la Découverte 'Les Noirs de Philadelphie' et dont je ne peux que recommander la lecture. Il livre ici un texte de SF, loin de l'excellente non-fiction qu'on lit de lui habituellement.

D'autre part, il est fascinant d'entrer sans fard dans le double espoir de Du Bois, celui d'un monde où la couleur de la peau ne fonderait plus les inégalités et celui d'une « renaissance » (en comicland on dirait un reboot) de l'histoire mondiale qui prendrait en compte, cette fois, l'apport, et déjà simplement l'existence, de l'homme noir.
Et il est aussi fascinant que déprimant de constater que, pour Du Bois, seul un événement cataclysmique serait à même de remettre les pendules à l'heure, ce que la milieu de la nouvelle exprime comme potentialité et que la fin démontre par l’absurde.

The Comet, W.E.B. Du Bois

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