Futur indéterminé. La Terre est devenue Termight, une planète que les humains habitent, comme des termites, dans des tunnels et des tuyaux. Après maints conflits et catastrophes nucléaires, la surface est largement inhabitable ce qui les oblige à une vie souterraine. Souterraine, certes, mais pas claustrée. En effet, un trou noir artificiel – enterré aussi – met les mondes de l'univers à la disposition des vaisseaux humains.
Et « mettre à disposition » est l'expression juste.
Car l'humanité vit sous le joug d'une dictature religieuse xénophobe conduite par le Grand Inquisiteur Torquemada
(comme l'autre) qui a juré d'anéantir tous les aliens de l'univers – qu'il qualifie de déviants. Il dispose pour cela de troupes fanatiques, les Terminators, d'Assassins spécialisés, de Robots de combat aussi cons que destructeurs, d'Archivistes aveugles, et même de Vestales. Sans répit ni raison, le Grand Inquisiteur envoie ses troupes aux quatre coins de l'univers et extermine sans pitié tout ce qui ne ressemble pas à un humain, si amical ou pacifique que ce puisse être. Son slogan, répété jusqu'à l’écœurement :
« Restez purs, Restez vigilants, Restez droits ! ».
Heureusement, se dresse face à lui le héros rebelle Nemesis, un warlock, un alien, un démon peut-être, d'une puissance et d'une virtuosité guerrière sans pareilles. Aidé de quelques alliés humains et aliens, il tente sans relâche de sauver des populations menacées, de libérer les humains de leur joug, et d'apporter ainsi la paix dans l'univers.
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Nemesis le Sorcier, Les Hérésies complètes vol I"
(ouch !) raconte sur 400 pages le combat à mort qui oppose Nemesis à Torquemada, et plus globalement le régime dictatorial terrien au reste des peuples de l'univers. Une lutte sans merci dans laquelle tous les coups sont permis, de l’extermination de masse à l’assassinat ciblé en passant par la torture et la manipulation propagandiste.
Premier volume de l'Intégrale à paraître chez Délirium, il contient les livres I à IV, publiés dans
2000AD, scénarisés par Mills et dessinés par O'Neill
(à l'exception notable du livre IV presque entièrement illustré par Bryan 'Arkwright' Talbot et du livre II qui est l’œuvre de Jesus Redondo) + quatre récits courts fournissant du background ou introduisant l'histoire.
Et c'est un énorme feu d'artifice comme l'amateur de comics n'en croise que bien trop rarement.
Retournant les codes intellectuels du genre, Mills et O'Neill met en scène des humains génocidaires combattus par des aliens pour qui on prend rapidement fait et cause. Il fait de son héros invincible une créature inférieure en puissance à son épouse, l'immense guerrière China. Il leur donne un fils, Toth, au physique monstrueux, dont on pressent que seul le jeune âge l'empêche de nuire et que sa vengeance causera de grands malheurs à venir. Il le nantit d'un oncle demi-fou qui dissèque puis réanime des humains en Docteur Mengele de l'espace déviant mâtiné d'Herbert Wast.
Retournant les codes visuels du genre comme Eisentein le faisait dans
Alexandre Nevsky ou George Lucas dans
Star Wars, il habille ses salopards de blanc dans le même temps qu'il offre au regard du lecteur un héros de couleur sombre et à l'apparence de bouc démoniaque antrhropomorphisé, porteur d'une Epée Funeste que n'aurait pas reniée Moorcock
(ni Eisentein ni Lucas n'auraient osé). Quand aux aliens à sauver, même si la propagande de Torquemada les enlaidit à plaisir, ils ne sont déjà guère ragoutants au naturel – y compris ceux qui, dans le livre IV, jouent à être des victoriens steampunk en dissimulant leur vraie nature de métamorphes à la morphologie escargotienne. On compatit à leur malheur parce qu'ils ont le droit de vivre et pas parce qu'ils sont mignons comme des Ewoks – mignons, ils ne le sont vraiment pas – ce qui renforce le point moral.
Plongeant à fond dans les délires scénaristiques et visuels de la période 70's/80's qui donnèrent ou donneront
Métal Hurlant, Judge Dredd, Luther Arkwright et la Ligue des Gentlemen Extraordinaires – ou encore
Marshall Law du même duo – les auteurs de
Nemesis ne s'interdisent rien en terme de créativité. Dessins très fouillés fourmillant littéralement de détails, créatures aliens aux physiques improbables, batailles spatiales titanesques, rebondissements spectaculaires, cliffhangers inquiétants, moyens de transport inimaginables, robots géants et stupides, tout est imaginé, tout est montré, tout est énorme, débordant littéralement des cases. Ici
what you see is what you get, tout est sur la page, pas de voix off graphique, pas de surmoi narratif non plus ; tout ce qui fait avancer l'histoire et participe à la rendre outrée est bon à prendre.
Mills s'autorise même à rappeler on stage les
ABC Warriors, « transférés » d'une de ses séries 2000AD précédentes.
On peut y voir une ode à la lutte contre la tyrannie doublée d'une charge contre la xénophobie, mais
Nemesis est d'abord et surtout un grand moment de folie et de liberté créative comme il n'en existe plus guère aujourd'hui, qui se permet même, dans un récit SF spatial, de citer à mots couverts Verne, Poe, Shelley, ou de mettre en scène une reine Victoria surprenante.
C'est donc du pur délire ; et c'est bien plus que cela. C'est une vraie histoire SF – peu hard – qui est aussi une histoire de guerre, une histoire de résistance, une histoire de complot, une histoire de drame, une histoire de vengeance. Ca explose dans tous les sens et on lit très vite cet énorme volume jusqu'au mot « fin » qui signifie, hélas, qu'on va devoir attendre la suite.
Nemesis le Sorcier, Les Hérésies complètes vol I, Mills, O'Neill, Talbot, Redondo
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