Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

Macbeth roi d'Ecosse - Day - Sorel


« Une histoire, Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, Et qui ne signifie rien. »
C'est la vie, telle que Lord Macbeth la comprend à la fin de la pièce alors qu'il vient de voir le cadavre de Lady Macbeth, sa muse, sa flamme, sa perte.

Adapter Shakespeare (en français de surcroît) est une opération audacieuse. Tant de thèmes, une telle poésie en VO (si difficile – impossible ? – à rendre dans une autre langue ; on utilise judicieusement ici, pour les extraits, une traduction classique, celle de François-Victor Hugo, qui évite le risque d'une trop grande contemporanéité), et surtout tant d'adaptations déjà sur tant de supports différents. Qu'y ajouter ?

Voilà que Thomas Day et Guillaume Sorel se lancent à l'assaut de la montagne, et le challenge est réussi, au point qu'on termine ce tome 1 en regrettant amèrement qu'il ne contienne pas déjà l'intégralité de la chose.

L'histoire est, crois-je, connue. Lord Macbeth et son ami Banquo reviennent de la guerre. Ils ont vaincu un traître. Ils croisent trois sorcières sur la lande. Les sorcières annoncent à Macbeth qu'il deviendra thane (mormaer dans la BD, celte contre saxon) puis roi. Bouleversé par cette annonce, Macbeth s'engage sur un chemin, tout de bruit et de fureur, qui le conduira au meurtre, à la trahison, à la guerre, à la mort.

Macbeth est une tragédie médiévale qui développe jusqu'à l'hypertrophie les thèmes de l'ambition, de la peur, du remords, du mal – matérialisé par les sorcières et leurs actes –, un mal qui s'insinue dans l'esprit de Macbeth par le biais de la prophétie. C'est aussi l'histoire d'un homme tenté, hésitant, poussé toujours plus loin par le « courage de passer au meurtre » que lui instille sa femme, Lady Macbeth.
Lady Macbeth c'est la femme tentatrice, une Eve non pas curieuse ou pusillanime mais aussi dure et déterminée qu'une Thatcher médiévale. Qu'on en juge :

« LADY MACBETH. Tu es thane de Glamis et de Cawdor, et tu seras aussi ce qu’on t’a prédit.—Cependant je crains ta nature, elle est trop pleine du lait des tendresses humaines pour te conduire par le chemin le plus court. Tu voudrais être grand, tu n’es pas sans ambition ; mais tu ne la voudrais pas accompagnée du crime : ce que tu veux de grand, tu le voudrais saintement ; tu ne voudrais pas jouer malhonnêtement, et cependant tu voudrais gagner déloyalement. Noble Glamis, tu voudrais obtenir ce qui te crie : « Voilà ce qu’il te faut faire si tu prétends obtenir ; ce que tu crains de faire plutôt que tu ne désires que cela ne soit pas fait. » Hâte-toi d’arriver, que je verse dans tes oreilles l’esprit qui m’anime, et dompte par l’énergie de ma langue tout ce qui pourrait arrêter ta route vers ce cercle d’or dont les destins et cette assistance surnaturelle semblent vouloir te couronner. »

Puis, alors que Macbeth, tiraillé par la gratitude et la loyauté, hésite encore :

« LADY MACBETH.  Était-elle dans l’ivresse cette espérance dont vous vous étiez fait honneur ? a-t-elle dormi depuis ? et se réveille-t-elle maintenant pour paraître si pâle et si livide à l’aspect de ce qu’elle faisait de si bon cœur ? Dès ce moment je commence à juger par là de ton amour pour moi. Crains-tu de te montrer par tes actions et ton courage ce que tu es par tes désirs ? aspireras-tu à ce que tu regardes comme l’ornement de la vie, pour vivre en lâche à tes propres yeux, laissant, comme le pauvre chat du proverbe, le je n’ose pas se placer sans cesse auprès du je voudrais bien[16] ?

MACBETH.  Tais-toi, je t’en prie ; j’ose tout ce qui convient à un homme : celui qui ose davantage n’en est pas un.

LADY MACBETH.  A quelle bête apparteniez-vous donc lorsque vous vous êtes ouvert à moi de cette entreprise ? Quand vous avez osé la former, c’est alors que vous étiez un homme ; et en osant devenir plus grand que vous n’étiez, vous n’en seriez que plus homme. Ni l’occasion ni le lieu ne vous secondaient alors, et cependant vous vouliez les faire naître l’une et l’autre : elles se sont faites d’elles-mêmes ; et vous, par l’à-propos qu’elles vous offrent, vous voilà défait ! J’ai allaité, et je sais combien il est doux d’aimer le petit enfant qui me tette ; eh bien ! au moment où il me souriait, j’aurais arraché ma mamelle de ses molles gencives, et je lui aurais fait sauter la cervelle, si je l’avais juré comme vous avez juré ceci. »

Dans la pièce, Lady Macbeth intervient peu mais à forte intensité. Elle est le catalyseur qui entretient et accélère le destin de son mari. En coulisses presque.

Day, dans la BD, la rend plus visible, plus impérieuse encore par sa simple présence physique. Il change le début du récit en faisant de Lady Macbeth un « trophée de guerre », veuve d'un seigneur injustement assassiné par Macbeth lui-même et qui, redevenue une femme seule dans un monde qui ne fait pas de place à son sexe s'il n'est apparié, accepte d'épouser Macbeth – le responsable même de son veuvage – à la condition qu'il la fasse reine. Un « trophée de guerre » qui s'avèrera plus forte que le guerrier qui croit l'avoir conquise. Ses mains sont rouges de sang dans l'album, un sang, dans la pièce, dont elle ne peut enlever les tâches.

Par-delà la mise en meilleure lumière d'un personnage dont tout était dans la pièce (Day explicitant ici ce qu'il fallait savoir lire : « Venez, venez, esprits — qui assistez les pensées meurtrières ! Désexez-moi ici, — et, du crâne au talon, remplissez-moi toute — de la plus atroce cruauté. Épaississez mon sang, — fermez en moi tout accès, tout passage au remords ; — qu’aucun retour compatissant de la nature — n’ébranle ma volonté farouche et ne s’interpose — entre elle et l’exécution ! Venez à mes mamelles de femme, — et changez mon lait en fiel, vous, ministres du meurtre, — quel que soit le lieu où, invisibles substances, — vous aidiez à la violation de la nature. »), l'adaptation bénéficie efficacement du changement de médium.
Day livre un scénario en ascension qui montre la progression inexorable vers le trahison, le meurtre, la folie, la pure destruction qui résulte d'une succession de mouvements dont chacun résulte logiquement du précédent. Un scénario plus intense que la pièce car plus ramassé en nombre d'éléments et de mots.
A la fin de ce premier tome, les personnages et le lecteur sont arrivés au sommet du roller-coaster, la vertigineuse descente peut commencer.

A ce scénario, aussi glaçant que captivant, qui saisit le lecteur et le traîne de page en page au rythme de l’accélération de son rythme cardiaque, Sorel apporte une mise en image spectaculaire qui montre la furie et l'horreur sans oublier de faire affleurer de manière visible les innombrables scories de la civilisation celtique pré-romaine et pré-chrétienne qui imprègnent encore toute la culture britannique, ni de donner des corps sexués et désirants aux protagonistes du récit.

A lire pour s'imposer le supplice d'attendre la suite.

Macbeth, roi d'Ecosse, Day, Sorel 

L'avis de Lhisbei

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