Mélanie Fazi : Mes Utopiales de B à V

Comme chaque année, vers Samain, se sont tenues les Utopiales à Nantes. 153000 visiteurs cette année, et moi et moi et moi. Ne faisons pas durer le suspense, c'était vraiment bien !!! Genre grave bien !!!! Aux Utopiales il y a surtout des auteurs qu'on va retrouver jour après jour ci-dessous (ou dessus, ça dépend dans quel sens vous lisez) , sur plusieurs posts successifs (survivance d'un temps où on économisait la bande passante – « dis ton âge sans dire ton âge ») . Tous les présents aux Utos n'y sont pas, c'est au fil des rencontres que les photos sont faites, la vie n'est pas juste. AND NOW, LADIES AND GENTLEMEN, FOR YOUR PLEASURE AND EDIFICATION, THE ONE AND ONLY MELANIE FAZI

Les Indes fourbes - Ayrolles - Guarnido



En 1626, Franciscode Quevedo publiait El Buscon, L’histoire de la vie de l’aventurier nommé don Pablos de Ségovie, vagabond exemplaire et miroir des filous.
A la fin de ce roman picaresque, don Pablos fuyait l’Espagne et partait chercher fortune aux Indes, c'est à dire en Amérique – du Sud pour être précis. L'auteur annonça un second tome à venir, qui ne vint jamais.

Ayrolles, l'énorme scénariste du non moins énorme De Cape et de Crocs, et Guarnido, l'énorme dessinateur de l'énorme Blacksad, s'associent aujourd'hui pour écrire cette suite et l'offrir à des lecteurs qui sont, au mieux, les lointains descendants de ceux de la première partie. Et c'est magistral.
Picaresque, "Les Indes fourbes" l'est (même s'il ne respecte pas tous les canons du genre, le déterminisme notamment).
Enorme aussi : un grand format de 160 pages.
Exotique et spectaculaire enfin comme ces Indes galantes dont elles empruntent une partie du titre.

"Les Indes fourbes" est l'autobiographie de don Pablos.
Gueux issu d'une famille aussi misérable que malhonnête, don Pablos reçut de ses parents des techniques de vol, de mendicité, d’escroquerie, ainsi que trois principes cardinaux : « Ne pas crever ! » ; « Ne jamais travailler ! » ; « Faire de ses mésaventures passées de plaisantes anecdotes ! ».
C'est muni de ce bagage que le jeune aventurier embarque pour l'Amérique. Bien sûr, rien ne tournera comme prévu ; même sa traversée est violemment interrompue quand ses compagnons décident de le jeter à l'eau et qu'il ne doit sa survie qu'à un groupe de Neg Marrons qui, le jugeant inoffensif, lui proposent de rester auprès d'eux pour vivre une vie libre et simple loin du fracas du monde.

Décroissantiste avant l'heure, tu aurais peut-être saisi l’occasion, lecteur, mais don Pablos, lui, ne mange pas de ce pain. Ce qu'il veut c'est s'élever, s'enrichir, s'extraire de la glaise qui la vu naître pour pénétrer le monde clinquant, confortable, et sûr, de la noblesse du temps. Inutile de dire que ce n'est pas gagné !
Seul dans un nouveau monde où tout parait possible mais où les hiérarchies sociales ont été importées avec le reste du Barnum, la tâche de don Pablos est colossale et il faudrait au moins l'Eldorado, le pays d'or mythique des Incas, pour espérer y réussir.
Quand l'album commence, don Pablos, à l'article de la mort, raconte sa vie au seigneur alguazil après lui avoir offert un étrange présent. Mais l'alguazil est-il bien le destinataire du récit ?
C'est très futé mais il faudra lire pour le voir.

Dans "Les Indes fourbes", Ayrolles raconte une histoire mouvementée, dynamique, toujours surprenante, pleine jusqu'à la gueule de dangers et de rebondissements. Il crée un personnage truculent, débrouillard, sûr de sa bonne étoile en dépit des obstacles et des tribulations. Totalement dépourvu de morale, don Pablos ment, triche, vole, arnaque, et j'en passe, dans sa quête éperdue d’ascension dont la première étape est inévitablement « Ne pas crever ! ».
Un personnage pourtant qui mal agit avec tant de naturel et de bonhomie qu'il est difficile de lui en vouloir vraiment.

Par-delà l'aventure, Ayrolles raconte aussi l'ignominie du temps.
Comment les nobles regardent et traitent les gueux, comment les conquistadores (toutes classes sociales confondues) regardent et traitent les autochtones et les Noirs, comment les religieux – confits dans leur certitude – gyrovaguent et oppriment, faisant sans vergogne table rase de la culture et de la religion indigènes.
Il montre aussi comment les énormes stocks d'or et d'argent ramenées des Indes étaient indispensables à l'Espagne dont elles financèrent la grande prospérité du Siècle d'Or (en plus de nourrir l'inflation européenne). Face à une telle manne, aucune considération morale ne tenait, à fortiori si l'Eglise validait.

Graphiquement, c'est superbe.
Guarnido excelle, quel que soit le cadre. Bateaux à voile, chevaux et costumes, villes, architecture coloniale, mines d'argent (impressionnantes), grands paysages sauvages, palais et bouges, cités incas (dont une double page époustouflante), tout est beau. Dans ce décor, ses personnages, par leurs expressions et leurs mouvements jouent sur un grand registre de sentiments où prédominent l'ironie et la satire.
Et à la fin, il s'offre le luxe de faire son Vélasquez.

Un grand album qui prit – dit-on – dix ans à réaliser. Un des grands de l'année, à lire absolument.

Les Indes fourbes, Ayrolles, Guarnido

Ci-dessous, la BA, ça peut donner envie.

Commentaires

Baroona a dit…
Ayroles et Guarnido quoi, ça envoie déjà rien que sur la couverture. Content de voir que c'est à la hauteur de ce qu'on pouvait en attendre, il sera lu sans faute !
Gromovar a dit…
Tu peux foncer.
Alias a dit…
Ayrolles n'avait pas dit il y a 1-2 ans qu'il arrêtait la BD? Ça expliquerait en partie le temps qu'il a fallu pour terminer ce tome.
Gromovar a dit…
Je ne me souviens pas de ça.
Alias a dit…
J'ai confondu avec Bruno Maïorana. https://www.actuabd.com/Bruno-Maiorana-La-BD-me-manquera