Thomas Day et Guillaume Sorel sortent dans sept jours seulement, chez Glénat, le premier tome de leur Macbeth. Intitulé Macbeth, roi d'Ecosse, c'est un album puissant, à la beauté sombre, à la dureté âpre, à la violence assumée.
Alors que le moment de la révélation approche, Thomas Day explique ici longuement ce qu'il a voulu mettre dans cet album magistral - qui veut être un Macbeth pour notre temps - et nous parle un peu du second tome à venir.
QDNSMP : Thomas
Day, vous venez d’adapter le Macbeth de Shakespeare en BD avec
Guillaume Sorel aux pinceaux. Le très bon premier tome sort sous
peu, le second devrait arriver début 2020. Lequel de vous deux est à
l’initiative du projet ? Et comment a-t-il trouvé l’autre ?
Avant tout, je dois
préciser qu'à mes yeux Macbeth, roi d'Ecosse n'est pas une
adaptation de la pièce Macbeth de Shakespeare, mais une
fantasy historique avec du Shakespeare dedans. Ça peut
sembler complètement idiot comme nuance, ou une pose artistique
prétentieuse, mais je ne le crois pas. C'est, à mes yeux, la
nature-même du projet qui certes se sert de Shakespeare, mais pour
faire autre chose. J'avais envie de raconter cette histoire pour les
lecteurs d'aujourd'hui, ceux qui bouffent Games of thrones à
la télé, jouent à The Witcher 3 et lisent des comics
indépendants.
Sinon, je connais
Guillaume Sorel depuis le milieu des années 90. Il a beaucoup fait
de couvertures pour moi, sous ma casquette d'auteur, notamment celle
qui a valu à La Voie du sabre son succès commercial. Il a
réalisé beaucoup de couvertures pour moi, sous ma casquette
d'éditeur, quand je travaillais chez Denoël. Et il m'a suivi chez
Albin Michel, puisqu'il a réalisé la couverture du Chant mortel
du soleil de Franck Ferric.
Tout ceci précisé,
Guillaume n'est pas du tout à l'origine du projet. J'ai écrit
Macbeth, roi d'Ecosse pour moi, tout seul dans mon coin, à
une période de ma vie, difficile, où j'étais en plein divorce (et
je crois sincèrement que le divorce n'a pas été le pire épisode
de cette période-là). J'ai écrit ce scénario pour m'amuser (j'y
reviendrai) et progresser en BD. J'avais un projet de BD historique
en trois tomes (je l'ai toujours, d'ailleurs) et à l'époque (2014)
j'étais vraiment inexpérimenté comme scénariste BD. Et plutôt
que de me lancer dans trois fois cinquante planches, je me suis dit,
tiens essayons quelque chose d'un peu moins ambitieux. C'est là
qu'on s'aperçoit que la difficulté d'un projet ne réside pas dans
le nombre de ses planches...
J'ai fini le scénario du
tome 1, j'avais une ébauche de tome 2 et j'ai tout envoyé à mon
éditeur Benoit Cousin qui a beaucoup aimé. Nous avons cherché un
dessinateur. Benoit voulait Andreas, (soyons fou!) ce qui m'allait
très bien. Andreas a très vite répondu qu'il voulait faire « son »
Macbeth, mais pas celui d'un autre. Je n'avais pas pensé à
Guillaume, car je l'avais vu quelques mois auparavant, lors d'un
vernissage à Paris, et il m'avait dit être « complet »
jusqu'en 2020, quelque chose comme ça. Je ne lui avais pas parlé de
Macbeth. Un jour je discute avec Benoit et on se dit qu'on est
passé à côté du meilleur candidat, le plus évident : Sorel.
Benoit le contacte. Je n'interviens surtout pas ; ça me mettait
dans une position personnelle ambiguë. Guillaume lit et dit « OK,
mais dans deux ans », pas avant. Fou de joie, je dis à Benoit
que je ne vois aucun problème pour attendre deux ans. Tout le monde
est content.
QDNSMP : Comment
cette BD s’inscrit-elle dans votre travail de scénariste et de
romancier/novelliste ?
Naturellement.
Ça fait trente ans que
je travaille sur des icônes : Musashi pour les Japonais, Chaka
Zulu pour les Sud-africains et on pourrait en citer d'autres. Macbeth
rentre dans cette catégorie-là. Macbeth est une icône, à la
différence qu'il ne fonctionne qu'avec son épouse, plus ou moins
dans l'ombre (nous y reviendrons).
Tout mon travail d'auteur
tourne autour de la violence. C'est comme ça, certains sont obsédés
par la Seconde guerre mondiale, les secrets de famille ou la vie
parisienne rive gauche, moi c'est la violence. Et depuis quelques
années,
les violences faites aux femmes. Ou aux enfants, dans
Dragon.
Faire Macbeth en
BD, ça n'a d'intérêt que si on n'adapte pas la pièce. C'est ce
que je me suis efforcé de faire : ne pas adapter la pièce,
juste m'en nourrir.
QDNSMP : Quand
avez-vous rencontré Macbeth pour la première fois ? Quelle
impression cette tragédie vous avait-elle faite alors ?
J'ai découvert Macbeth
avec Le Château de l'araignée d'Akira Kurosawa. Plus tard,
j'ai découvert une interview de Toshiro Mifune où il parle de la
« scène des flèches ». Il ne joue pas la peur, il est
authentiquement terrifié, car les archers tirent de vraies flèches.
Puis j'ai vu l'adaptation
d'Orson Welles. Celle de Polanski, quelques années après. Enfin
j'ai lu L'histoire d’Écosse de Michel Duchein.
Je n'avais jamais lu la
pièce avant d'attaquer le scénario. Je l'ai lue en français et en
anglais. Souvent en parallèle pour voir comment le traducteur s'en
était sorti pour faire sonner Shakespeare en français.
Pour moi l'étincelle vient de la
tirade de Dame Macbeth :
« Venez, venez, esprits — qui
assistez les pensées meurtrières ! Désexez-moi ici, — et, du
crâne au talon, remplissez-moi toute — de la plus atroce cruauté.
Épaississez mon sang, — fermez en moi tout accès, tout passage au
remords ; — qu’aucun retour compatissant de la nature —
n’ébranle ma volonté farouche et ne s’interpose — entre elle
et l’exécution ! Venez à mes mamelles de femme, — et changez
mon lait en fiel, vous, ministres du meurtre, — quel que soit le
lieu où, invisibles substances, — vous aidiez à la violation de
la nature. »
qui chez moi devient [B
correspondant au n° de la bulle dans la planche]:
B3
- Cousez-moi le sexe, ici, et du crâne au talon remplissez-moi de la
plus atroce cruauté
B4
- épaississez mon sang ; fermez en moi tout accès, tout
passage au remords.
B5
- Venez à mes mamelles de femme et changez mon lait en fiel, vous,
ministres du meurtre, quel que soit le lieu où, invisibles, vous
aidez à la violation de la nature.
B6
- Viens, nuit épaisse, enveloppe-moi de la plus sombre fumée de
l'enfer ; que mon couteau ne voit pas la blessure qu'il va
faire.
Tout
est là.
Et
quand Polanski tourne Macbeth
en 1971 (l'année de ma naissance), il comprend bien la problématique
de la pièce. Qui est celle de la femme puissante, autrement dit de
la sorcière. Pour moi, Welles passe à côté. Il est trop masculin
dans son approche. Polanski qui a un rapport très compliqué avec
l'occulte est davantage l'homme de la situation.
QDNSMP : Et, plus
généralement, quel est votre rapport à l’œuvre de Shakespeare ?
Je l'ai toujours
découvert par un autre média que le théâtre. Le cinéma de SF,
Planète interdite pour La Tempête.
La comédie musicale West Side Story pour Roméo et
Juliette, Ran d'Akira Kurosawa pour Le Roi Lear, Le
Château de l'araignée pour Macbeth... Ennemis jurés
pour Coriolanus. J'ai adoré ce film de Ralph Fiennes, mais je
comprends qu'on puisse y être complètement imperméable.
Et ce n'est que dans un
second temps que je plonge dans le texte... et parfois jamais, il y a
plein de pièces de Shakespeare que je n'ai jamais lues. J'ai
beaucoup aimé Henry V au cinéma, mais je n'ai jamais lu la
pièce. Très sincèrement, je n'en ai jamais eu envie.
Al Pacino un jour
expliquait en interview que ce qu'il y avait de génial chez
Shakespeare c'est que personne ne disait : « j'ai soif »,
mais plutôt un truc du genre « quelle est cette douleur qui ne
dit pas encore son nom, cette lente lave qui m'étrangle la gorge ?
Comment pourrais-je m'en libérer ? Par le poison, par le
vin ? »
C'est ça, Shakespeare,
c'est la poésie permanente, qu'il parle des affres du pouvoir ou
d'un inconfort des plus triviaux.
Il y a quelque chose de
punk chez Shakespeare, comme chez Mozart, quelque chose de
révolutionnaire.
QDNSMP : Chaque
adaptateur est confronté aux comparaisons que font les
spectateurs/lecteurs avec l’œuvre adaptée. Dans le cas de
Shakespeare s’y ajoute la comparaison avec quatre siècles
d’adaptations précédentes. Comment aborde-t-on cette situation ?
On n'y pense pas. C'est
le meilleur moyen. Ou plutôt on pense à autre chose.
Moi je voulais faire de
la fantasy, mon Excalibur, et c'était ça mon mantra.
Je vais faire Macbeth
à la Rospo Pallenberg.
Je vais montrer la
confusion, quand les puissances de la terre laissent la place à
celles du ciel.
QDNSMP : Comment,
concrètement, se nourrit-on d'une pièce de théâtre pour un
scénario de BD, comment les éléments de la pièce
interviennent-ils dans la narration ?
Il faut trouver un angle
d'attaque ; c'était Dame Macbeth. Il faut trouver une tonalité.
Je voulais faire 1/ de la fantasy 2/ quelque chose de syncrétique.
Je crois pouvoir dire sans me tromper que mon film préféré est Il
était une fois l'Amérique de Sergio Leone. Ce chef d’œuvre
contient tout : l'amour, la folie, l'argent, la politique,
l'ambition, le viol, la violence, la sexualité, la mort, le deuil,
le racisme, l'addiction, etc. Manque peut-être la religion, mais ce
manque est en fait une présence, je me comprends.
J'ai vraiment cherché à
faire quelque chose de syncrétique : Macbeth + Kurosawa
+ Excalibur + La Chair et le sang + Braveheart + deux ou trois autres petits trucs planqués ça et là. Quand je
parle de Kurosawa, c'était plutôt faire de l'anti-Kurosawa, sortir
Dame Macbeth de l'ombre, lui donner un rôle « moteur ».
Les femmes ont rarement le beau rôle chez Kurosawa, il suffit de
revoir Ran pour s'en convaincre.
QDNSMP : Comment
s’effectue le travail avec le dessinateur, quelle part de la
narration et de sa forme est-elle « négociée » ou
« synchronisée » avec lui ?
Guillaume a pris des tas
de notes sur le scénario et m'a demandé des changements et des
éclaircissements. Notamment sur la nature réelle de Dame Macbeth,
sur les liens entre Macbeth et sa femme. Bien sûr qu'ils s'aiment !
Mais de nos jours, on parlerait sans doute de relation
sado-masochiste.
Et puis on a travaillé
ensemble de façon plus fine, page par page, case par case. Lui
maître, moi élève. J'ai beaucoup appris, en termes de mise en
scène. Il a un œil, une compréhension des rapports humains que je
n'ai pas. J'ai défendu certains trucs et j'ai bien fait de céder
sur d'autres qui ne fonctionnaient pas.
Il a tenu a apporter
quelque chose dont je me moquais un peu, une véracité graphique
« moyen-âge ». Pallenberg et Boorman s'en sont
totalement moqué quand ils ont fait leur Excalibur, comme Ken
Russell quand il a tourné de The Devils, qui est peu la
collision improbable du film hippie/pop et du drame historique
sanglant.
Le souci permanent de
Guillaume c'était comment mettre en scène mes « putains de
dialogues interminables ». Il ne l'a jamais dit comme ça, mais
c'est vrai que y'a du texte. En même temps, faire une
fantasy
historique sans textes, c'est un peu compliqué... rajoutez
Shakespeare à la tambouille et c'est tout simplement impossible.
QDNSMP : Pourquoi
avoir choisi cette pièce plutôt qu’une autre, Richard III par
exemple ou Jules César ?
Il
manque quelque chose dans cette discussion, c'est L’Écosse.
Macbeth est venu à moi aussi (surtout?) à cause de l’Écosse. Je
vais en Écosse régulièrement depuis mes vingt ans. J'y suis allé
pour faire les repérages de la BD, j'y suis retourné cet été avec
mes deux fils. J'aime l’Écosse, c'est un de mes endroits préférés
au monde. J'aime marcher et l’Écosse c'est le paradis des
marcheurs, surtout l'île de Skye.
Donc
avant Shakespeare (que je n'avais pas lu), y'a l'Écosse que j'ai
sillonnée en long, en large et en travers.
Quant aux deux pièces
que vous citez, Polanski n'a jamais fait le film ! Je ne suis
baigné d'aucune de ces deux pièces. Richard III, ça peut
sembler prometteur. Il faudrait que je mate le film de Laurence
Olivier. Voilà l'aveu...
Ma culture est
cinématographique, parce que quand je sors d'une journée où j'ai
passé dix heures à lire de mauvais manuscrits, le dernier truc dont
j'ai envie c'est d'ouvrir un livre. C'est ou série TV ou film ou BD,
à la rigueur.
QDNSMP : Y a-t-il une ou des
représentations de Macbeth dont vous reconnaîtriez l’influence
dans votre travail ? Ou des images/situations issues d’autres
sources ?
J'ai mis des petits trucs
dans le scénar (Kurosawa, Excalibur, le Polanski, déjà
cités). Un petit hommage à Eisenstein dans le tome 2, une scène
très précise de son Alexandre Nevski. Je ne sais pas si
Guillaume conservera la référence (je n'ai encore vu aucune planche
du tome 2). Guillaume est un cinéphile et un littéraire. Je peux
jouer avec lui sur les deux répertoires, dans tous les cas, il me
comprendra. Après, il faut accepter qu'il fasse sien tout ça et
qu'il ne garde que ce qui a du sens à ses yeux.
Pendant que j'écrivais
le scénar, je me suis interdit de revoir les Macbeth d'Orson
Welles et Polanski. Je ne l'ai fait qu'une fois que j'avais fini.
Récemment, j'ai regardé le nouveau, avec Fassbender, qui est un
extraordinaire gâchis. Mais qui contient quelques beaux morceaux de
pure mise en scène.
QDNSMP : Pour vos
extraits de texte, vous avez choisi la traduction de François-Victor
Hugo. Pourquoi ? Etait-ce une question de rythme, de langage, autre
chose ?
J'imagine mal travail
plus complexe que de traduire Shakespeare en français. L'anglais est
une langue rock, le français serait plutôt une langue classique à
mes yeux, assez ample, qui n'a pas le côté ramassé de l'anglais.
L'anglais gifle et frappe, le français caresse. Traduire c'est
sauver le sens et trouver une musicalité. Comme j'avais décidé que
j'allais m'amuser, par exemple remplacer le « désexez-moi »
de la traduction classique par « cousez-moi le sexe »
(qui porte une imagerie plus forte), la fidélité m'importait moins
que la musicalité. Et donc j'ai choisi la traduction qui m'a semblé
la plus musicale. Une amie qui fait du théâtre et s'y connaît
beaucoup mieux que moi en Shakespeare m'a expliqué par A + B que
j'avais choisi la pire. Mais non, pour faire Macbeth à la
Rospo Pallenberg, la traduction de François-Victor Hugo est
parfaite.
QDNSMP : Comment avez-vous
choisi concrètement les extraits à utiliser et l’ordre dans
lequel le faire ?
J'ai acheté la
traduction de François-Victor Hugo en poche et j'ai stabyloté
dedans tout ce qui me semblait correspondre à mon projet :
« une fantasy historique avec du Shakespeare dedans ». Et
puis j'ai dispatché les morceaux dans le scénario. Il y a très peu
de Shakespeare dans le tome 2, beaucoup plus d'Histoire, de religion
et de fantômes.
QDNSMP : Pourquoi avoir changé le début, ne
pas avoir gardé celui de la pièce.
Personne
n'en a fait la remarque jusqu'ici, mais un certain Cuilèn remplace
le Banquo de la pièce. Même Glénat utilise le nom de Banquo pour
leur PLV. Glénat s'appuie sur Shakespeare, c'est de bonne guerre, et
il ne va pas leur faire de procès.
J'ai
trouvé mon point de départ dans les recherches que j'ai faites sur
Gruoch d’Écosse. Macbeth et son bras droit Cuilèn se vengent d'un
vieil affront familial, et provoquent ainsi la suite de l'histoire.
C'est dans le sang répandu que leur apparaît leur destin, mais pas
le sang d'un quelconque ennemi norvégien. C'est plus proche d'eux,
plus intime. Je ne pouvais pas commencer autrement : il me
fallait une faute originelle, et, si possible, l'enraciner dans le
passé familial de Macbeth.
La notion de famille est
au cœur du projet. Lulach, le fils de Dame Macbeth, aura une
importance capitale dans le T2.
Donc, je suis parti de
l’Écosse puis de l'Histoire pour finir chez Shakespeare, et non
l'inverse.
QDNSMP : Dans
l’album, vous mettez en avant Lady Macbeth. Comment la
décririez-vous ? Et qui est Lord Macbeth alors ?
Si je réponds à cette question, je
spoile complètement mon projet.
(Par conséquent : sentez-vous
totalement libre ne pas lire cette réponse.)
ON PEUT NE PAS LIRE CETTE SOUS-PARTIE
Pour moi Dame Mabeth est
une sorcière qui ignore sa condition de sorcière et donc va se
tourner vers l'église pour trouver des réponses qui se trouveraient
plutôt dans la lande, la pierre, la bruyère et les animaux morts.
Ou pour le dire autrement dans son sang, son cycle menstruel et son
sexe.
Sa nature étant
contrariée (on pourrait l'imaginer sorcière heureuse, dans un autre
contexte) son esprit se brise et n'a de cesse de se briser.
Son mari l'aime et veut
la sauver, donc il accepte et renonce. Il se trompe de diagnostic. On
est avant Freud et l'acte de verbaliser. On parle beaucoup, mais on
ne verbalise pas grand chose dans cette histoire. On observe, mais on
ne voit pas. Ou de travers.
Ce qu'on pourrait
considérer comme un manque de courage de la part de Macbeth est en
fait l'expression d'un amour sidéré.
Dans le tome 2, un fantôme est témoin
de tout ça.
ON PEUT RECOMMENCER A LIRE ;)
Maintenant, il faut sans
doute revenir sur le mot sorcière. Il a une connotation très
négative : verrue, poisons, bûcher, etc. Si j'utilise le mot
chamane, tout de suite l'imagerie est différente. Si je dis « femme
puissante » plus personne ne comprend de quoi je parle.
Pourtant tout ça, à mon sens c'est un peu la même chose. Au Moyen
Âge, on brûlait des femmes parce qu'elles ne voulaient pas coucher
ou au contraire avait un pouvoir sexuel trop fort sur certains
hommes. Le chamanisme, les intoxications volontaires pour avoir des
visions, les rythmes, les percussions qui induisent des états
seconds, tout ces sujet me passionnent, et depuis longtemps.
Je crois aux lieux de
pouvoir et aux femmes puissantes.
QDNSMP : Votre
éditeur écrit dans sa présentation : « mettent
également en avant la très machiavélique Lady Macbeth, dont le
rôle réel chez Shakespeare est finalement plus secondaire que ce
que la postérité en a retenu ». Or il me semble
que tout est déjà dans le texte - vous en citiez d’ailleurs un
extrait capital sur un forum BD bien connu. Qu’en pensez-vous ?
Mon éditeur connaît
tout le projet et donc présente à la fois le tome 1, très
shakespearien, et le T2 qui explore les tourments, triviaux et
historiques, de la vie d'un couple hors du commun. Après je me suis
fort nourri de la pièce, donc oui on peut dire que tout était déjà
dans la pièce. Mais j'ai changé la trajectoire personnelle de Dame
Macbeth. C'est quelque chose qui vient plutôt de Duchein, de mes
recherches historiques, et non de Shakespeare. Il faut aussi préciser
que ça reste de la fantasy, je ne respecte pas l'Histoire à
la lettre. D'ailleurs elle est très mal connue. Les faits avérés
sont relativement peu nombreux.
C'est ludique. On peut
lire ce Macbeth comme une histoire de meurtres, de pouvoir, de sexe
(ô oui !). On peut aussi s'amuser à voir ce que j'ai déplacé,
trahi, inverti.
Je me suis beaucoup
amusé, je ne vais pas dire le contraire.
QDNSMP : On
entend souvent dire que Shakespeare est intemporel. Qu’est ce que
Macbeth peut nous dire aujourd’hui ?
C'est une pièce sur
l'ambition, tout le monde la comprend comme ça. Pour moi LE sujet de
la littérature c'est la « nature du mal ». Ce qui
m'intéressait dans cette histoire écossaise, pleine de bruit et de
fureur, c'était de montrer des gens qui, à force de se tromper (ou
ne pas comprendre leur nature profonde), créent le mal, en voulant
paradoxalement plutôt faire le bien. Dame Macbeth ne se pose jamais
la bonne question : « qui suis-je ? » Et
Macbeth se laisse porter par son amour, car c'est la chose la plus
puissante dans sa vie, plus puissante que son amitié pour Cuilèn,
plus puissante que ses victoire militaires. C'est un orage qui balaie
un barrage, celui de la raison.
Si je dois être roi
pour avoir le droit de l'aimer, soyons roi !
QDNSMP : Une
question naïve mais passionnée. Pourquoi ne pas avoir intégré,
sous une forme ou l’autre, du texte en VO ?
Quelle horreur !
Plus sérieusement, je
n'y ai jamais pensé. Jamais. Je voulais faire « mon »
Macbeth. Et c'est ce que j'ai fait. C'était déjà assez
compliqué comme ça. Alors jouer sur deux langues... Non, je ne vois
pas comment ça aurait été possible.
QDNSMP : Et pour finir, à quoi
s’attendre, en deux mots, dans le tome 2 ?
Des batailles et des fantômes.
La fantasy c'est la littérature
de l'enchantement du monde.
Le fantastique c'est la littérature de
la vie après la mort. C'est une littérature occidentale aux racines
judéo-chrétiennes.
La tragédie de Macbeth va passer de la
fantasy au fantastique. Les puissances de la terre vont
laisser place à celles du ciel.
Un grand merci à Thomas Day et une bonne chance à ce nouveau Macbeth.
Commentaires
A questions intelligentes... ;)
Je ne suis ni très bd ni très fantasy mais pour le coup ça me donne bien envie de me pencher sur ce livre.