Daryl Gregory : I’m Not Disappointed Just Mad AKA The Heaviest Couch in the Known Universe

Conseil aux nouveaux auteurs : Faites attention quand vous plaisantez en ligne. Imaginez, vous faites une blague sur l’écriture d’une histoire ridicule, quelque chose que vous n'écririez jamais ; ce n'est qu'une bonne blague jusqu’à ce qu’un éditeur en entende parler et vous demande d’écrire cette histoire. Il y a quelques années, sur un site, je disais à quel point Iain Banks était mon écrivain préféré mais que si je devais écrire un space opera, ce serait sur deux fumeurs défoncés qui manquent la guerre interstellaire parce qu’ils essaient de déplacer un canapé d’un bout à l’autre de la ville. Jonathan Strahan est alors intervenu et a dit : Je publierais ça. Ha ha ! Très drôle. Il a alors ajouté : Non, vraiment. Plus tard, on s’est croisés à une convention, et il m’a dit : Alors, cette histoire façon Iain Banks ? Et voilà, c'est fait ! Je sais, c’est une histoire absurde, mais en ces temps sombres... Sachez juste qu’elle a été écrite avec beaucoup d’amour et d’admir

L'enfance attribuée - David Marusek


2092. Sam Harger est un artiste/designer à la mode. Il rencontre un peu par hasard Eleanor Starke, une politicienne en ascension rapide. Les deux tombent amoureux, cohabitent (kind of), et finissent par se marier. Eleanor obtient aussi une énorme promotion. Puis le couple se voit attribuer, sans l'avoir demandé, un permis de conception, le sésame rarissime délivré seulement à quelques milliers de personnes par an qui permet de concevoir (on devrait dire designer) un enfant. Une grande joie mêlée d'inquiétude les assaille devant cette bonne fortune inattendue qui pourrait cacher la manœuvre tordue d'un adversaire politique d'Eleanor.
Bingo : à l'élation succède pour Sam une chute inarrêtable vers le monde des parias sociaux, les Altérés.

Dans "L'enfance attribuée", Marusek raconte l'histoire tragique de Sam, victime sans doute d'un complot politique visant sa femme, dans un monde technocontrôlé qui terrifierait tout auteur écrivant plus que de la SF. L'auteur décrit longuement son monde. Le world building est impressionnant, et plutôt visionnaire si on considère que la novella a été écrite en 1995.

Sam et Eleanor font partie d'une hyperclasse dont la vie est facile et agréable. Dotés d'assistants numériques intégrés qui gèrent leur vie et génèrent une réalité virtuelle partagée permettant par exemple de se réunir, déjeuner, partager des moments intimes ou festifs sans être physiquement dans le même lieu, servis par des clones aux noms génériques, assurés d'une longévité presque illimitée (d'où la régulation des naissances) par des nanotraitements de réjuvénation aux limites encore à déterminer, ils se déplacent d'un bout à l'autre du monde et pourraient, s'ils le souhaitaient, s'installer dans l'une des implantations spatiales dont s'est dotée l'humanité.

Pour protéger ce paradis (d'enfer) contre toutes les menaces (car à grande technologie, grande menace potentielle), les villes sont sous Canopées et l'impitoyable Milice veille. Contrôlant sans cesse et de façon très intrusive les citoyens, elle est, comme Judge Dredd, la Loi. Tomber dans ses griffes signifie la mort ou l'Altération – les condamnés subissent un traitement qui les transforme en loques puantes et souffreteuses sur lesquels plus aucun traitement rejuv. ne pourra être effectué puis toute trace génétique et juridique de leur existence est effacée de l'environnement (la méthode Ministère de la Vérité en mieux).
C'est ce qui arrive à Sam qui perd donc dans le même mouvement son droit à la paternité et toute existence sociale. Seul l'amour qu'Eleanor continue à éprouver lui permet de conserver un simulacre de son ancienne vie. Piètre ersatz.

Débarqué sans ménagement ni appel possible du « paquebot géant en route pour les rivages de l’immortalité », Sam n'aura plus qu'une durée de vie normale donc comparativement brève. Ce n'est pas de mourir qui est ennuyeux, c'est d'être le seul idiot à la faire alors que les autres perdurent. Et aucune Death ici pour relativiser le désespoir de Sam en lui disant : « You get what anyone gets ... you get a lifetime », on est plutôt dans le « Life is hard and then you die » de It's Immaterial.

Well. "L'enfance attribuée" sert de début au Un Paradis d'enfer de l'auteur. En relisant ma chronique de l'époque, je me dis que je vois dans ces juvenilia les mêmes qualités et défauts. Le world-building impressionnant de Marusek y est mis au service d'une intrigue en chantier.
Néanmoins, le texte étant ici plus court, il ne donne pas le temps de s'exaspérer. On le parcourt comme une balade, un peu émerveillé par tout ce qu'on y voit. Et on profite avec plaisir d'un humour, d'un ton, d'une légèreté, et de scènes (le mariage par exemple) qui rappellent L'écume des jours de Boris Vian ; même le malheur qui s'abat sur le beau petit couple fait écho au roman du drolatique français.

"L'enfance attribuée" propose donc un petit moment sympa, pétillant mais court en bouche.

L'enfance attribuée, David Marusek

Commentaires

Vert a dit…
Pareil, je commande en septembre :D
Gromovar a dit…
Ton précieux ;)
Elhyandra a dit…
Je l'ai commencé, y a des passages drôles ?? ^^ bon je n'y suis pas alors lol