Brian Evenson est un homme souriant, ex-mormon, ex-prêtre. Pourtant il écrit des horreurs. Auteur de l'inoubliable
Confrérie des mutilés, il est aussi le père de nombreuses nouvelles et romans + quelques traductions
(dont le Chair électrique de Claro). Son dernier recueil en date est intitulé "
Song for the Unravelling of the World", tout un programme de détricotage donc. Plongée dans un monde en cours de désagrégation.
Dans Song... tout est à la fois weird et self-contained. Les histoires réunies ici sont de petits univers encapsulés qui se donnent au lecteur dans leur totalité perçue. On y croise des personnages qui vont au bout de leur logique personnelle, quel que soit ce bout, et ne connaissent, de ce fait, que rarement la culpabilité. Le monstre sait pourquoi il fait ce qu'il fait, et il est sûr d'être dans le vrai.
On y entre plus ou moins facilement. On a parfois le sentiment de comprendre, et d'autres fois non. On aime plus ou moins
(dans un recueil, c'est un peu le jeu).
Mais qu'on aime plus ou moins, rien n'est anodin, tout est peu ou prou dérangeant.
Puis-je me fier à moi-même ? Puis-je me fier aux autres ? Puis-je me fier à la réalité du monde ? Les autres existent-ils même ? Suis-je l'assassin ou la victime ? Suis-je seulement vivant ? Ou encore humain ?
Les histoires d'Evenson parlent de solitude extrême, de paranoïa, de folie hallucinatoire. Déclinées dans plusieurs genres, elles racontent les masques, la dissimulation, les mondes derrière le monde, l'incertitude existentielle absolue.
Mettant souvent en scène le monstre
(que sa nature ou sa folie met à l'écart de la norme) et sa victime dans un huis-clos aussi étouffant que terrifiant, elles développent des enchaînements inévitables et pas toujours explicables.
Elles demandent donc au lecteur de compléter les trous, de deviner parfois, d'interpréter – sans jamais être tout à fait sûr d'avoir la bonne explication, y en a-t-il une d'ailleurs ?
Lieux étranges, situations étranges, protagonistes étranges, rien n'est évident dans les textes du recueil. Ils amènent ainsi avec eux questions, doute, et angoisse, déstabilisant le lecteur parfois dès les premières lignes et l'obligeant à s'interroger non seulement sur ce qui va se passer mais aussi sur la nature même de la situation initiale et de celui qui la présente. Presque un anti-Stephen King.
Revue rapide et nécessairement brève car les textes sont à découvrir en y pénétrant. Sache néanmoins lecteur que, comme à l'entrée de l'enfer de Dante, on pourrait écrire sur la première page
« Toi qui entres ici, abandonne toute espérance ».
Lecteur,
tu t'interrogeras sur le double, imaginaire ou pas, de
Born Stillborn,
(must-read)
tu trembleras avec le SDF de
Leak Out dans son étrange refuge,
(must-read)
tu vivras avec indignation le cauchemar domestique de
Song for the Unravelling of the World,
(must-read absolu)
tu seras encalminé entre deux dimensions dans
The Second Door,
tu vivras un Halloween de vraie horreur dans
Sisters,
(must-read)
tu connaîtras l’obsession cinématographique de
Room Tone,
tu subiras la relation toxique de
Shirts and Skins,
tu seras presque chez Jeff
'Borne' Vandermeer en arpentant le bioweird post-apo
The Tower,
(must-read)
tu chercheras ton capitaine perdu sur la planète hostile de
The Hole,
tu te demanderas ce qui est vraiment arrivé à la femme de Gérard dans
A Disappearance,
(must-read)
tu ne sauras pas à qui faire confiance dans le vaisseau de
Smear,
tu participeras à la virée fatale de
The Glistening World,
tu vivras la peur panique d'être observé dans
Wanderlust,
tu pourras Ïa Ïa in space dans
Lord of the Vats,
(must-read)
tu chausseras des lunettes qui regarde vers l’abîme dans
Glasses,
tu connaîtras la terreur paranoïaque de la violation de domicile dans
Menno,
(must-read)
tu pénétreras dans les univers parallèles qu'invoque le cinéma avec
Line of Sight (must-read) ou
Lather of Flies,
tu questionneras l'identité dans
Kindred Spirit,
et tu pousseras – j'espère – un grand éclat de rire jaune à la lecture de
Trigger Warnings.
(must-read)
Viens, lecteur, douter de tout avec Brian Evenson.
Song for the Unravelling of the World, Brian Evenson
Commentaires
C'est Dario Argento, avec Horror, qui me parait paper only.