The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Bagdad, la grande évasion ! Saad Z. Hossain


Bagdad, 2004. Un chronotope SFFF en soi.
Les Américains ont attaqué l'Irak à la recherche des imaginaires Armes de destruction massive (WMD) de Rumsfeld. Le régime sanguinaire de Saddam Hussein est tombé, le tyran est mort, ses caciques en fuite.
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, non ?

Non. Les WMD n'existaient pas (même si en 2004 on continue à les chercher frénétiquement en espérant bien tomber sur quelque chose), et le pays, privé d'Etat – si misérable soit-il –, devient un espace anarchique contrôlé par les chefs de guerre de toutes factions, mafieuses, nationalistes, religieuses, etc.
Aux exactions rarement égalées de ces bandes guerrières – ou de gangs criminels profitant du chaos de l'effondrement – il faut ajouter celles de l'armée américaine. Rendus ivres par l'ineptie de leur mission, l'énormité de leur puissance destructrice, leur sentiment de supériorité raciale et civilisationnelle, la croyance en leur mission historique, mais aussi terrifiés par l'impossibilité de contrôler vraiment le terrain et le risque bien réel d'être attaqués à tout instant par quiconque marche sur deux jambes, les goons US – aussi adaptés au terrain et à la culture irakienne que des poissons à la terre ferme – se réfugient dans les trafics, la drogue, la paranoïa, et une violence absolument indiscriminée qui engendre précisément le sentiment de haine qu’éprouvent la plupart des Irakiens pour leurs « libérateurs » ; étrange paradoxe 'wink' sur lequel les Américains ne s'interrogent pas. Les Irakiens sont ingrats décidément.

Dans ce chaos essaient de survivre Dagr, ex-prof d'économie et mathématicien, et Kinza, spécialiste du marché noir, deux amis improbables. Voilà qu'ils viennent « d'acquérir », un peu par hasard, le capitaine Hamid, l'un des chefs tortionnaires pour les spec ops de la Garde Républicaine de Saddam, une vraie star de monde de la torture avec une « patte » et des résultats qui le singularisent. Kinza pense qu'il faut l'abattre, Dagr n'aime pas l'idée, préférant celle d'un procès. Tout se précipite quand les deux hommes réalisent que l'armée US recherche Kinza, qu'Hoffman, leur magouilleux contact, est peut-être grillé, et que quitter Bagdad le plus vite possible serait sans doute une très bonne idée. C'est là qu'Hamid leur propose de les conduire jusqu’au bunker secret de Tarek Aziz à Mossoul, un bunker plein d'or dont il dit connaître les coordonnées. Commence alors une fuite dantesque qui, sans jamais quitter Bagdad, ajoutera un chaos très ancien au chaos contemporain.

Avec "Bagdad, la grande évasion !" (lu en VO : Escape from Baghdad ! et publié en VF par Agullo), le bangladais Saad Z. Hossain offre un premier roman aussi fou que captivant. C'est une ville devenue folle que décrit l'auteur. Plus d'Etat, plus de gouvernement si ce n'est une succession d'éphémères gouvernements ou autorités de transition ou intérimaire toujours sous l'égide de Bremer imperator, et sans légitimité aucune.

Dans Bagdad envahie, les combats ont fait quantité de morts civils, victimes de gâchettes trop vives et de tirs indiscriminés (Dieu choisira les siens). Chacun a perdu quelqu'un et en général plutôt quelques uns. Aux volontés de vengeance s'ajoutent des haines recuites depuis des siècles auxquelles l’effondrement étatique permet de s’exprimer dans toute leur sauvagerie. Baasistes et antibaasistes, anciens valets du régime et anciens opposants, tortionnaires et victimes, chiites et sunnites, druzes, kurdes, tout ce petit monde s'étripe gaiement, pour le pouvoir, pour la vengeance, pour l'honneur. Au milieu du bordel qu'ils ont créé, l'armée US et ses affidés de Blackwater concentrent toutes les haines et entrent aussi alors dans le cycle vengeance/répression aveugle qui entretient le moulin à chair humaine.

C'est dans ce merdier que tentent de survire Dagr et Kinza (+ Hamid). Difficile, vraiment, mais ça il pourrait gérer. Problème : dans leurs manœuvres de fuite, ils tombent sans le vouloir au milieu d'un conflit vieux de mille ans impliquant une légende urbaine « Le Lion d'Akkad ».
Aux forces précédentes s’ajoutent donc une société secrète millénaire, un très vieil alchimiste fondateur effectif du terrible Mukhabarat, une montre antique qui ne donne pas l'heure, des morceaux de la Bibliothèque d’Alexandrie, et même les Furies. Hossain ne se refuse rien, il a raison.

Le lecteur assiste donc, médusé, à une aventure à l'issue plus qu'incertaine dont l'enjeu est autant la survie des trois du début que l’orientation même de l'histoire du monde.

Dans une ambiance qui rappelle autant Catch 22 que la scène du pont de Do Long d'Apocalypse Now, Hossain développe une galerie de personnages attachants ou proprement incroyables. La cruauté de certains qui jouent le jeu long ou le court terme politique, la folie furieuse d'un Hoffman qui trouve l'amour auprès d'une femme qui veut l'assassiner – sans oublier son second complètement stupide ou l'autre, PTSD drogué –, le nihilisme absolu de Kinza, la loyauté touchante de Dagr, l'engagement tardif de Hamid, les rêves de grandeur de petits escrocs, la vengeance et la colère dont bien peu ne sont pas habités. Mis à part la figure mythologique du roman, tous ont perdu, beaucoup. Tous sont des facettes d'une ville et d'un pays qui n'a plus ni passé (les parents sont morts, l'Etat est mort), ni présent (les conjoints sont morts, les amis sont morts), ni avenir (les enfants sont morts). Chaque personne qui marche dans Bagdad est à la fois un survivant et un mort en sursis.

La situation est folle, l'action du roman l'est aussi. Combats de masse, torture ratée, démembrement de captifs à fin de message, secrets millénaires, Mengele local, trafic de détergents, enquête dans et hors de la Zone verte, vrais moments héroïques, et vraies saloperies, dégustation de kibbehs, « réquisition » d'hélicoptère Apache, j'en passe et des meilleures, jusqu'à un quartier entier de Bagdad pensé dès sa conception comme une invisible forteresse médiévale (le jeu long, on vous dit).

Passionnant de bout en bout, toujours clair en dépit des faux-semblants grâce à une ou deux remises au point, "Bagdad, la grande évasion !" intéresse son lecteur autant au destin de ses personnages qu'à l'avancée des révélations sur de très anciens secrets alchimiques. C'est à un grand spectacle qu'on assiste et dans un roller-coaster émotionnel qu'on embarque. C'est brutal, c'est humain, c'est triste, c'est délirant, c'est référencé, que demande la peuple ? La dernière page lue, on regrette presque que ce soit fini tant le trip était excitant.

Bagdad, la grande évasion ! Saad Z. Hossain

Bonus : un morceau du Bone Clocks de David Mitchell qui exprime bien le même sentiment sur le cycle mort/vengeance/répression et sa répétition sans fin et le Lost in Translation des Américains sur l'Irak

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