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All the Fabulous Beasts - Priya Sharma


Priya Sharma est britannique, médecin généraliste, et auteur de nouvelles fantastiques.
"All the Fabulous Beasts", le recueil qui réunit 16 de ses textes vient de recevoir le Shirley Jackson Award 2018, après avoir été finaliste au Locus. Il vient d'être nominé British Fantasy Award 2019. Il mérite vraiment d'être lu – même les textes secondaires y sont de bonne qualité.

Le fantastique de Sharma est tout imprégné d'un double héritage britannique et indien. Faerie d'un côté, dieux et créatures magiques de l'autre, à côté ou au milieu des simples mortels. Rien d'étonnant donc si c'est un surnaturel incarné qui s'exprime dans ses textes.
Pas d'horreur cosmique ou de vide existentiel ici ; chez Sharma, les corbeaux font des enfants avec les humains, des sirènes ou des hippocampes vivent discrètement parmi nous, on croise des serpents, des fantômes, d'autres créatures magiques encore.

Les textes de "All the Fabulous Beasts" sont des textes qu'on pourrait dire familiaux. L'individu y est parti d'un groupe familial qui évolue, pas toujours pour le mieux, qui marque et blesse, mais parfois aussi soulage et protège. Si l'individualité y existe, l'individualisme n'est pas vraiment une option. Chacun est pris dans les rets de son histoire, de celle de sa famille, de sa classe, ou de sa nation. Il y a ici quelque chose de quasi-lovecraftien dans le caractère inéluctable d'un héritage familial dont il est presque toujours impossible de s'extraire.

Ainsi, les récits de Sharma sont marqués comme au fer rouge par le passage du temps. Les personnages rencontrés ont un passé, ils ont grandi ou vieilli, leurs proches sont morts ou partis. Ils ont tous perdu des choses en route ; le temps a laissé sur chacun des cicatrices qui sont autant de germes fondateurs des moments à venir.
Même les sociétés ont changé. Villes transformées par la désindustrialisation des 70's ou la crise financière de 2008 (des passages rappellent – toutes proportions gardées – la fin du Bone Clocks de Mitchell), pays radicalement changés par une grande croissance forcément non homothétique.

Ce qui est n'est que l'écho, souvent dégradé, de ce qui a été. L'instant présent n'est que le point d'étape temporaire d'une évolution entamée avant même la naissance parfois. Dans le présent est accroché le miroir des souvenirs, aigres-doux. Il y a de la nostalgie dans les histoires de Sharma, du regret aussi, car l'impermanence des choses comme la responsabilité des échecs meurtrissent l'âme.

L'ensemble donne le sentiment d'une littérature de la fermeture progressive des possibles. D'une progression karmique qui ne se révélerait que très progressivement, laissant l'individu se débattre dans le courant d'une destinée dont il distingue mal le sens ou les contours.

Et dans l’enchaînement logique des faits et des conséquences, à quoi se raccrocher ?
La famille oppresse souvent et navre parfois.
L'amour fait souffrir, parce qu'il s'est achevé, qu'il était impossible, ou encore trompeur.
Le corps est l'instrument matériel de l'héritage ou du tourment.
Le sexe est rarement salvateur, une petite mort absurde qui n'extrait pas des affres du quotidien.
Quant à la parentalité...que de sacrifices et de souffrances pour un état éphémère par nature.

Histoires de lignée comme chez Lovecraft, de regret et d'effondrement comme chez Lane, d'intimité comme chez Tuttle. Sharma écrit tout ça à la fois, mais elle le fait avec son imaginaire propre, en construisant des personnages riches de leurs mystères et denses de leur tristesse, le tout dans un style simple et imagé qui parvient à rendre profondément touchant ce qu'elle raconte. Un recueil à lire assurément, et une mine d'or pour des éditeurs qui se piqueraient de publier des textes courts.

On appréciera particulièrement :

The Crow Palace, entre deuil, secrets, sororité malheureuse, corbeaux et...coucous.

Rag and Bone, un récit situé dans une Angleterre industrielle reféodalisée pour lutter contre l'anarcho-syndicalisme, une Angleterre où la vie des prolétaires est encore plus terrible que dans la réalité. Où on illustre la phrase de Marx « Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s'anime qu'en suçant le travail vivant ».

L'horrifique The Anatomist's Mnemonic et son troublant fétichiste des mains.

Le grandiose Egg, où une would-be mother accepte un pacte dangereux, découvre que la maternité n'est que de sacrifices, puis que l'amour consiste à couper les liens – c'est à dire à ne jamais percevoir les dividendes du sacrifice. Un texte qui évoque la mère de famille de L'arrache-coeur.

The Ballad of Boomtown, triste balade irlandaise où, au milieu des désillusions de la croissance financière, on voit combien l'amour blesse, la culpabilité déchire, le mensonge tue.

Pearls et sa Méduse nostalgique.

The Absent Shade, entre secret de famille, préjudice, inégalités, meurtres et inhumanité.

Small Town Stories, un mariage du haut vers la bas, des différences de classe, une maladie meurtrière.

Fish Skins, ou la difficulté qu'il y a à entretenir l'amour qui inspira un sacrifice inimaginable.

The Englishman, qui voit un Anglais d'origine indienne retourner sur la terre transformée de ses ancêtres et accepter l'anéantissement.

The Nature of Bees, une amusante – quoique prévisible – histoire de transmission dynastique.

A Son of the Sea, retour aux origines, secret de famille, hérédité monstrueuse.

Fabulous Beasts, nominée Shirley Jackson et lauréat du British Fantasy Award, une impressionnante histoire, presque weird, de biologie ophidienne et d'amour/haine incestueux au sein d'une étouffante famille.

All the Fabulous Beasts, Priya Sharma

Ci-dessous les liens pour lire gratuitement la plupart de ces textes :
The Absent Shade
The Anatomist's Mnemonic
The Crow Palace
The Nature of Bees
Rag and Bone
Fabulous Beasts
Egg
The Ballad of Boomtown

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