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Tiamat's Wrath" est le huitième et avant-dernier volume de la série-fleuve
The Expanse.
L'empire laconien règne d'une main de fer sur l'espace humain. Canonnières spatiales et commissaires politiques assurent que la volonté de Winston Duarte aura force de loi dans tous les systèmes où vivent – parfois difficilement – des humains. Médias et experts aux ordres portent une bonne parole hégémonique. Chacun s'est plus ou moins accommodé de la nouvelle situation, d'autant que l'écrasement militaire infligé au système solaire par les vaisseaux Magnetar hybrides de Laconia a porté un coup de massue au moral des réfractaires.
Mais tous n'ont pas abdiqué. Si Holden est un prisonnier « libre » dans la capitale laconienne – de fait « l'ours dansant » de Duarte – et qu'on est sans nouvelles d'Amos, disparu au cours d'une mission d’infiltration au cœur de l'empire, il n'en est pas de même des autres personnages de la saga et de leurs alliés.
Après l'épisode Médina du tome précédent
(et avant le bien plus tragique à suivre), Naomi est devenue l'une des têtes pensantes de la Résistance. Coordinatrice et stratège, elle vit cachée et sans cesse mobile dans des cales de vaisseaux qui la déplacent de système en système avec la complicité de partisans, parfois à l'insu des capitaines même.
Alex et Bobby, à bord du vaisseau capturé
Gathering Storm, constituent la
special force de l'Underground, puissante certes mais bien trop faible pour espérer desserrer l'étau dans lequel le terrifiant Magnetar
Heart of the Tempest tient le système solaire.
La Résistance elle-même agit et coordonne à travers tous les systèmes accessibles, mais ses moyens militaires sont bien trop limités face aux technologies laconiennes pour espérer une victoire. C'est pour cela aussi que Naomi poursuit une stratégie d'infiltration à long terme dans le but de noyauter progressivement l'appareil de l'empire, stratégie que l'impétueuse Bobby n’apprécie que modérément.
Le moral est là mais les perspectives sont obscures, d'autant que ne se dessine pas encore la génération qui prendra la relève des vieux du Rocinante ou de l'ex-OPA – autrement dit de ces gens qui avaient la clandestinité comme mode de vie. Le roman s'ouvre sur la mort naturelle et les obsèques d'Avasarala, comme le signe d'un passage de témoin nécessaire mais encore incertain.
A la réalité d'une tyrannie qui, dans un premier temps, essaie de se faire aimable, s'ajoute la menace des entités inconnues qui ont anéanti les Bâtisseurs de Portes et commencé à intervenir dans les affaires humaines.
Les temps sont dangereux pour tous, même pour Duarte qui, s'il doit gérer une rébellion qu'il ne ressent pas comme une vraie menace, a, en revanche, une conscience parfaitement claire du risque mortel que font peser sur toute l'humanité les mystérieuses consciences qui, depuis un ailleurs inconnu, modifient les lois physiques d'une manière qui ne peut être interprétée autrement que comme une agression. Voilà pourquoi il envoie l'exobiologiste Elvi Okoye en mission scientifique à la recherche des artefacts perdus des Bâtisseurs – pourquoi aussi cette mission a un second volet bien plus militaire et infiniment plus risqué pour toute l'humanité.
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Tiamat's Wrath" est un roman très excitant après l'un peu décevant
Persepolis Rising.
Le problème « alien » de Duarte l'engage dans un dilemme du prisonnier aux enjeux colossaux contre des intelligences inconnues dont il ne comprend encore ni la logique ni les moyens. Un jeu qui risque fort de délivrer une solution sous-optimale.
A un blocage stratégique déprimant pour la Résistance, un heureux (!) événement fait succéder une possibilité réelle de retourner la table au prix d'énormes risques.
Une nouvelle génération émerge progressivement, qui prendra le relais de sa devancière dont beaucoup des représentants sont maintenant considérés comme des icônes par les plus jeunes.
Et, au bout du bout du bout, se reconstituera la famille du Rocinante, presque dans son état original.
Mais surtout, dans "
Tiamat's Wrath", c'est à la fascinante transformation de personnages importants qu'assiste le lecteur.
Noami Nagata, après avoir choisi une pénible réclusion dans les sous-sols spatiaux de la Résistance, finit par en sortir comme une chrysalide de son cocon pour devenir, après de tragiques péripéties, le leader naturel de l'Underground. Elle s'y confronte au pouvoir d'orienter la lutte dans le sens qui lui paraît efficace mais aussi à la responsabilité d'envoyer des hommes – voire des proches – à la mort. Un nouveau Fred Johnson ?
Bobby Draper, après être devenue un vrai capitaine et une vraie meneuse, connaît un de ces moments de gloire dont on fait des chansons et qui redonne l'espoir à un peuple soumis.
Elvi Okoye, brillante et droite, devient – avec un petit coup de pouce il est vrai – la chef de toute la recherche scientifique laconienne, dans laquelle elle imposera la dimension éthique qui faisait cruellement défaut à son prédécesseur.
Teresa Duarte, enfin, fille du dictateur et destinée à la succession et à l'immortalité, prend sa vie en main et fait basculer le jeu quand elle réalise que la politique n'est souvent faite que de mensonges, si nécessaires soient-ils. Une nouvelle Clarissa Mao ?
Avec James Holden en retrait – même si les lecteurs pourront nuancer cette affirmation – et un Amos Burton backstage, c'est à une prise de pouvoir par les femmes que nous assistons, au « remplacement » d'Avasarala par un petit groupe de femmes brillantes et décidées qui tiennent entre leurs mains les institutions qui compteront dans la lutte à mort que l'humanité doit maintenant engager contre ses ennemis invisibles. Car, la fin ne laisse aucun doute là-dessus, le pire est à venir.
De bout en bout, le roman est passionnant.
Le passage du désespoir à un nouvel espoir
'wink' est bien conduite.
L'équilibre entre planification et action est satisfaisant sans que la narration néglige ses personnages, que les événements soumettent à rude épreuve.
La situation politico-stratégique évolue vraiment au fil des pages.
Certaines scènes sont captivantes ou poignantes ou les deux à la fois.
Au retour des anciens s'ajoute la montée en puissance des nouveaux. Nouveaux personnages, nouveaux rôles.
Et reconstitution – pour le final ? – de l'équipe initiale.
Un seul regret pour moi ici, un personnage tué qui revient – 200 pages plus tard – soit bien plus vite que ne l'aurait osé une série Marvel.
Tiamat's Wrath, James S.A. Corey
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