Ressortie chez Helios de "Ceux des profondeurs", un pastiche lovecraftien de Fritz Leiber écrit en 1976.
Georg Reuter Fischer, un poète mineur, vivote au milieu des collines de Californie dans la maison construite par son père. Il y est seul : son père a disparu lors de la formation d'une doline, plus tard sa mère a succombé à une morsure de serpent.
Fischer est un énorme dormeur dont l'énergie semble être siphonnée par quelque agent mystérieux, ce qui fait de lui un homme à la si faible constitution qu'il dut même abandonner ses études à Miskatonic dès la fin de la première année.
Dans la maison familiale, Fischer ne fait rien de bien utile, écrivant un peu et se promenant beaucoup. Il finit par publier à compte d'auteur un recueil intitulé « Le Tunnelier d'en bas », dont il envoie des exemplaires notamment à la bibliothèque de Miskatonic. Il reçoit en réponse une lettre d'Albert Wilmarth, un chercheur de Miskatonic qui lui propose de participer à une étude en cours sur le folklore et l'inconscient collectif. La demande est flatteuse, et d'autant plus attirante que les graphies alternatives que Wilmarth propose à Fischer pour certains des noms trouvés dans le recueil de poèmes correspondent à des idées que le poète eut lui-même avant de les écarter lors de la rédaction.
A quel inconscient collectif a-t-il accédé ? Pour le déterminer, les deux hommes se lancent dans une conversation épistolaire que conclut (tragiquement) une visite de l'universitaire au poète.
"Ceux des profondeurs" est un pastiche réussi de l’œuvre de Lovecraft.
Leiber y trouve le ton de son mentor, dès les tous premiers mots.
Son introduction – et la forme de récit qu'elle induit – est de celles que Lovecraft aurait pu écrire, ses mots, ses adjectifs en avalanche, sont de ceux qu'il aurait pu utiliser.
N’hésitant pas à mettre en scène Lovecraft lui-même – comme un auteur dont Fischer lit les œuvres « inspirées », et à une date dramatique (1937) qui participe à l'avancée du récit – il crée aussi un Wilmarth qui fait penser au maître de Providence alors que Fischer peut évoquer Leiber lui-même.
L'histoire que raconte Fischer à son hypothétique lecteur – faut-il brûler le manuscrit ? – fait du mythe une réalité objective que le poète californien découvre pan par pan.
Les personnages (et les monstres) du mythe sont si nombreux dans la novella que je ne les citerai pas ici, qu'on se souvienne seulement que Wilmarth est le héros distant de Celui qui chuchotait dans les ténèbres, et qu'on sache que Leiber va jusqu'à lier la biographie de Fischer à celle des personnages d'HPL (par exemple, le père du poète connaissait le Harley Warren du Témoignage de Randolph Carter et les deux partagent le même type de fin).
Le thème spenglerien du déclin cyclique des civilisation – cher à HPL – est aussi au cœur des réflexions de Fischer.
La menace et le mystère sont ici – comme chez HPL – à la fois externes (les Tunneliers) et internes (les secrets liés à l’ascendance du poète) ; le sous-sol de la maison, par son existence, évoque d'ailleurs la forte nouvelle Les rats dans les murs.
Le tout est lié par une approche qu'on dirait jungienne de l'accès par les rêveurs et les poètes à un inconscient collectif où serait présente une image plus claire et plus complète de la réalité que celle que nos seuls sens nous offrent.
J'arrête là. Le projet de Leiber est clairement réussi et l'objectif atteint.
Avec "Ceux des profondeurs", Leiber – qui entretint une vraie relation épistolaire avec HPL – s'est fait plaisir. Le bel hommage qu'il rend à l'homme et à son œuvre ne pourra que ravir les lecteurs aficionados – même s'il risque de laisser les autres un peu sur le bord du chemin.
Ceux des profondeurs, Fritz Leiber
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