The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Vigilance - Robert Jackson Bennett


"Vigilance", une novella de Peter Jackson Bennett, un texte court et percutant qui se lit vite et impressionne par sa grande maîtrise de la mise en histoire de certaines questions politiques contemporaines.

USA, 2030. Dans un monde en changement climatique, le pays est devenu le backwater du monde industrialisé. Les autres (même l'Europe, c'est dire !) avancent alors que les USA, mal gouvernés, stagnent, ce qui signifie que relativement ils reculent. Les plus éduqués ou les plus dégourdis quittent en masse un pays dont le solde migratoire est devenu négatif pour la première fois de son histoire. Ceux qui restent – nombreux aussi – forment une pyramide sociale à base large et sommet étroit. Le gros de cette base est constituée des petits blancs de la classe populaire ou de la petite classe moyenne en descente sociale (les électeurs hillbillies de Trump, à la louche) et de non-blancs sur lesquels les premiers peuvent exercer la dernière once de domination symbolique qui leur reste. Les Blancs sont amers, les autres menacés – là aussi, pour aller vite.

Dans ce pays rieur le lien social est assuré par la chaine ONT qui offre chaque jour à la grande masse le show de Shawn O’Donley, une sorte de mix entre les glapissements d'Hanouna, les éructations des populistes télévisuels américains, et les inepties maniaques du Président d'Idiocracy. Chaque jour, O'Donley, bien plus taré en vrai qu'en live, formate l'opinion à une pensée binaire, violente, schizoïde, et à une parole qui tient plus du grognement que de l'expression d'une hypothétique pensée. Une bulle cognitive paranoïaque que renforce et valide les acmés constitués par les soirées de Vigilance, à la fois catharsis et démonstration par l'exemple de la vérité des croyances vigilantistes.
Car, à intervalles irréguliers, revient Vigilance, le programme star de la chaîne – un live show imaginé à la suite du succès imprévu du live stream d'une tuerie d'école.

Vigilance, c'est trois candidats sélectionnés parmi des milliers pour produire en direct un vrai mass shooting. S'ils survivent, ils gagnent une grosse somme, si leurs victimes potentielles réussissent à les abattre ce seront eux les gagnants – outre le fait non négligeable d'avoir survécu à une tuerie de masse non sollicitée.

Des dizaines de millions d'Américains se fixent devant leur écran lorsque débute une Vigilance, lorsque les tueurs choisis par la chaîne, et singulièrement son directeur marketing John McDean, pénètrent dans la gare ou le centre commercial d’une ville moyenne pour abattre en live stream tous ceux qui y vaquaient jusque là à leurs occupations. Le caution morale du jeu (ici, on donnerait ses gains à une association) est la préparation de la population face à la « menace ».

Quelle est-elle cette menace ? Va savoir. Mais tous les spectateurs sont convaincus qu'elle existe.
Les étrangers, les Chinois, d'autres ? Une chose est sûre, ils existent, ils nous veulent du mal, et ils viendront nous faire du mal dans nos foyers.
Il faut donc toujours et partout être vigilant, préparé, entraîné, et armé. Ceux qui meurent ne le doivent qu'à eux-mêmes et à leur impréparation (on se rappelle Trump affirmant que si les victimes du Bataclan avaient été armées, elles auraient pu se défendre ; on se rappelle aussi qu'il est question d'armer les enseignants aux USA pour contrer les tueries d'école).
Leur responsabilité, on vous dit : ce n'est pas faute d'être régulièrement prévenus par l'émission, pas faute non plus de se voir proposer quantité d'armes et d'objets de défense à acheter pendant les nombreuses coupures pub de l'émission.
Shawn O'Donley ne dit pas autre chose : “The true fight will not come from some branch of the military, or the government, or law enforcement. The true fight, the strongest defense, will come from us. From us. From patriots, from the foresighted and the true of heart, who can see the threat—and have the bravery to meet it.” Klar.

L'émission, parlons-en. Pour produire de la valeur au bénéfice des deux actionnaires milliardaires et presque inhumains d'ONT, il faut toucher et fidéliser des millions de spectateurs. Pour cela définir un cœur de cible puis le viser. Pour toucher ce cœur de cible soigneusement calculé par John, tout dans l'émission est millimétré avec l'aide d'IAs. Des scénarios qu'il offre au public, des lignes de dialogue de ses acteurs IA en studio, McKean dit qu'il est stupéfié de voir à quel point tout ça est de la merde ; mais ce sont les scénarios et les dialogues qui ont le plus fait réagir les publics tests, donc ce sont les bons, ceux qu'on utilisera. A contrario, les morts d'enfants ne font guère réagir (les massacres d'école aux USA non plus), on jouera donc peu sur cette corde.

Les bio des candidats, les lieux des shooting, les interventions dans le script, les discussions des experts, tout est fait dans le but de maximiser l’audience. On modifie aussi en live les traits et la voix d'une héroïne involontaire pour faire de l'asiatique en colère une irlando-américaine à qui on crée simultanément une réalité online avec comptes, messages, photos, et surtout liens vers les annonceurs de l'émission. On façonne encore amoureusement les pubs qui véhiculent les valeurs du cœur de cible car c'est ainsi qu'on crée la proximité qui rend l'achat possible. On travaille donc sans cesse à activer les mécanismes d'identification et d'empathie sélective du public et les neurones miroirs d'une population qui s'arme pour être à même de se défendre face à une menace hypothétique que l'émission contribue à actualiser dans le réel.
Un réel dont d'ailleurs tout le monde se fout, tant il est facile à modifier pour servir le discours – c'est ici de la post vérité et des fake news dont nous parle l'auteur, et de leurs effets, bien réels eux, sur la démocratie. Régis Debray disait justement : « Les effets sociaux d'une illusion ne sont pas illusoires. »

Le contrepoint formé par la réaction digne de la serveuse qui éteint la télé au péril de sa vie face aux clients du bar dans lequel elle travaille ne suffira pas à sauver l'Amérique de sa propre  déchéance. Formatés, les clients réagiront de la seule manière simple qu'ils connaissant. « They carry. »

Et le ciel étant la limite, on ira jusqu'à l'utilisation d'une nouvelle IA dont la fonction est de rendre le temps de cerveau humain disponible non négociable, et dont la première utilisation entraînera une catastrophe globale. On comprendra alors que même les paranoïaques peuvent avoir des ennemis, et que le détournement d’attention que constitue la mise en scène de la peur détourne des vrais enjeux géopolitiques.

Brillant.

Vigilance, Robert Jackson Bennett

L'avis d'Apophis et de Feyd Rautha

Commentaires

Vert a dit…
Intéressant, j'espère qu'on le verra arriver en VF celui-là...
Gromovar a dit…
Oui, ça serait bien.