Les Yeux Doux - Corbeyran - Colline

Futur indéterminé et résolument glauque. Arsène travaille à la chaîne dans une usine du conglomérat Atelier Universel. « Travaillait » devrais-je dire car, pour avoir pris une initiative afin de corriger une erreur de production, Arsène est renvoyé dès le début de l'album. On ne plaisante pas avec la hiérarchie dans le système tayloro-fordiste de l'Atelier Universel ; FW Taylor lui-même disait  : « On ne vous demande pas de penser ; il y a des gens payés pour cela. » Privé de son emploi, Arsène, qui vit avec sa sœur cadette Annabelle dans un tout petit appartement, devient vite invisible. Physiquement invisible car invisibilisé socialement par la perte de son statut dans un monde qui définit les êtres par leur place dans le système de production. Et la situation va encore s'aggraver pour le frère et la sœur. Anatole Souclavier, lui, travaille pour Les Yeux Doux, le système de surveillance global par caméra qui épie en permanence les citoyens (sujets?) af...

L'enfer des masques - Jacques Barbéri


Nora est une jeune fille qui vit à Nice avec sa mère Susan, psychanalyste. Elle ne connaît pas son père sur lequel sa mère ne lui a jamais rien dit, même pas son nom. Le connaît-elle d’ailleurs ?
Passionnée de cinéma, Nora rencontre Régis, cinéphile aussi, fils du richissime Paul qui a fait fortune dans les écrans souples – faut-il être barjo ! – entre autres.
Lors d'une soirée à laquelle Régis l'emmène, Nora – qui n'est pas encore sa petite amie – voit par hasard une photo bouleversante : sa mère, de vingt ans plus jeune, visiblement en terme amoureux avec un homme. Les deux, et un troisième aussi sur le cliché, ne sont autres que les trois inventeurs géniaux de Nirvana, une intelligence artificielle de très haut niveau.

Pourquoi Susan n'a-t-elle jamais parlé à sa fille de sa première carrière prestigieuse ? L'homme qui l'enlace est-il son père ? Et si c'est le cas, pourquoi avoir caché cette vérité simple à la jeune fille ?

Nora, suivi par un Régis qui l'aime et qu'elle apprend à aimer aussi, va traquer ce « père » potentiel jusqu'en Californie où il est devenu un magnat de l'informatique, aussi riche et puissant que profondément misanthrope et solitaire. Elle y découvrira une vérité bien plus complexe que celle qu'elle s'attendait à trouver.

A l'autre bout du monde, en Californie justement, une femme nommée Priscilla se réveille dans une luxueuse clinique privée. Amnésique, elle est prise en charge par une équipe médicale qui refuse – pour raisons thérapeutiques – de lui révéler ce qu'elle ne retrouve pas elle-même. La seule certitude, elle est mariée à Nick, qu'elle aime et qui l'aime et qui lui rend visite chaque soir en hélicoptère.

Bâti sur deux fils principaux dont on ne sait pendant longtemps s'ils partagent une même temporalité, "L'enfer des masques" est un thriller haletant, un vrai page-turner qui intrigue son lecteur et le transporte progressivement dans un monde qui relève autant de l'anticipation que du roman policier.

Dans un texte truffé de références, Barbéri clame son amour du cinéma, de l'opéra, de la littérature. Par les voix de Nora et Régis, il fait pénétrer le lecteur dans son univers artistique avec humour et, régulièrement, poésie. De Baudelaire à Sturgeon en passant par Lynch ou K. Dick sans négliger Paul Dukas, il organise un voyage dans un monde de correspondances dont les principales sont sans doute Barbe-Bleue (Faut-il utiliser la clef dorée, réelle ou métaphorique ? Faut-il ouvrir la porte cachée ? Faut-il savoir ? La tranquillité de l'ignorance n'est-elle pas préférable à la douleur de la connaissance ?), le Corbeau de Poe (avec son obsession névrotique) ou encore le Monsieur Valdemar du même.

"L'enfer des masques" se lit vite, bien, et avec plaisir. Au fil d'une enquête qui progresse à un rythme soutenue, on y croise des personnages étranges ou bouleversés ou les deux à la fois. On y rencontre un équivalent local du Doc Jacoby de Twin Peaks. On y assiste même à une assez répugnante cérémonie (ne pas cliquer si on ne veut pas savoir). C'est une belle balade en univers décalé.
Si on veut chouiner, on regrettera juste que l'histoire d'amour de Nora et Régis soit un peu too much.

L'enfer des masques, Jacques Barbéri

Commentaires

Erwannn a dit…
Ça donne envie !
Évidemment, je voulais savoir pour la cérémonie : évidemment, j'ai cliqué. Beurk.
Gromovar a dit…
Malheureux !!!

Sinon, c'est vraiment très sympa. Un peu leg' côté hard science-fictif mais ce n'était pas le point ici.
FeydRautha a dit…
POUAH!!! (j'ai cliqué)
Gromovar a dit…
J'avais prévenu pourtant.
Erwannn a dit…
Nan mais c'est à la limite du clickbait : "ne clique pas si tu ne veux pas savoir". C'est sûr que le curieux veut savoir, quand bien même devra-t-il perdre 1D6 de SAN au passage. (Bon, j'ai faim, moi, là, du coup.)
Gromovar a dit…
Syndrome de Barbe-Bleue.
FeydRautha a dit…
Le pire est que, comme Erwann, je me suis dit "Quelle horreur ! Tiens, je mangerais bien des sushis..." Le mal est en l'homme et réciproquement.
Gromovar a dit…
Je m'essaie à la suggestion ;)