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La voie Verne", un roman d'anticipation de Jacques Martel, un livre que j'aurais vraiment voulu aimer. Car j'aime Verne et que j'adore
Paris au XXème siècle.
XXIème siècle, France. John Erns vient occuper un emploi de majordome dans l'immense château des Dumont-Lieber. Perché sur les hauteurs qui surplombent le village du Bas-Cervent, le manoir sert de havre à Agathe Dumont-Lieber, qui y vit avec son petit-fils Gabriel et deux domestiques. C'est depuis l'accident qui a coûté la vie à ses parents que la richissime héritière, largement retirée des affaires, s'occupe de l'orphelin, un garçon autiste, passionné de Jules Verne, qui passe le plus clair de son temps dans un univers virtuel où sont reconstitués les mondes du visionnaire nantais.
Entre une vieille dame et un enfant souvent connecté, les jours sont calmes et réguliers dans le château du Haut-Cervent. Mais le lecteur comprend vite qu'avec Erns le trouble arrive ; car il est évident que l'homme a une raison secrète d'avoir voulu occuper le poste vacant de majordome, et que, de plus, Agathe détient une grande bibliothèque secrète en contravention des directives européennes sur le papier.
Le monde de "
La voie Verne" est le notre en pire. Même si des opérations d'exploration spatiale sont en cours ici et là, même si de premières colonies spatiales proches sont apparues, le plancher des vaches originel n'est guère reluisant.
Pouvoir et richesse sont entre les mains d'énormes conglomérats alors que le monde, lui, connaît difficultés économiques et environnementales, surpopulation et/ou famine. Même les machines n'ont pu vraiment aider l'humanité car le Halo (le descendant de notre Cloud) a été largement détruit par un ver d'une puissance terrifiante. Beaucoup de documents numériques ont été perdus, certains pour toujours, d'autant que quantité des originaux papier ont été recyclés autoritairement dans le cadre d'une économie circulaire obligatoire imposée par l'UE. Nombre d'autres directives européennes de la même eau cadrent la vie des populations, la plaçant dans un carcan qui engendre méfiance et résistance passive.
Ici, en France, désindustrialisation oblige, des régions entières sont devenues des musées vivants dans lesquels on « joue » à la mine ou à l'usine. Et ne parlons pas de ces reconstitutions virtuelles de groupes célèbres qui animent la vie musicale.
Partout on fait semblant, on recycle, on tente de survivre.
C'est ce monde moribond que Erns va tenter de réveiller.
Pour ne pas spoiler, il y a un élément capital que je ne dois pas dévoiler ici et qui m'oblige donc à écrire une chronique moins documentée que je n'aurais aimé. Tant pis. Dommage, j'aurais voulu argumenter plus.
Donc, sans spoiler :
Opposant le merveilleux scientifique de Verne à une ambiance qui n'a rien à envier au cyberpunk
(la violence en moins), l'auteur montre à quel point les promesses de la science du XIXème se sont révélées – au minimum– empoisonnées. Il prend pour cela largement appui sur le très bon
(bien qu'incomplet) Paris au XXème siècle de l'auteur des
Voyages extraordinaires.
On y voyait un monde peu à peu grignoté par le capitalisme rationaliste, par cette rationalité instrumentale dont Max Weber faisait le trait caractéristique de son temps. Un monde duquel les humanités classiques disparaissaient, remplacées par la science triomphante mise au service de la production et de la rentabilité financière. Un monde dans lequel le jeune Michael était méprisé pour son premier prix de poésie latine et sommé d'admirer ceux qui exercent des métiers utiles tels qu'ingénieur.
Écrit en 1860 mais retrouvé et publié en 1994 seulement,
Paris au XXème siècle fut peut-être l’œuvre la plus visionnaire de Verne. Comme s'il avait compris que le mythe du progrès allait se fracasser sur la réalité humaine, des décennies avant que le naufrage du Titanic et la Grande Guerre rendent le wishful thinking impossible en ce domaine.
Ce wishful thinking, c'est hélas celui que pratique Martel dans son roman. Erns et Gabriel, par le biais du virtuel et des œuvres du visionnaire nantais réenchanteront leur monde ici-bas avant de lui permettre de reprendre sa marche « vers l'infini et au-delà », ressuscitant par là-même l'aventure, la découverte, le rêve, l'espoir. Agréable certes, un peu naïf aussi.
Et que c'est verbeux. De longs développements théoriques font parfois du texte un hybride entre roman et essai. Et le tout n'est pas rendu plus digeste par les explications, disons...mystico-métaphysiques, qui permettent de soutenir le fameux spoil et qu'on à le droit de trouver surtout très fumeuses en plus d'être pénibles à lire.
Avec "
La voie Verne", l'auteur veut écrire une SF optimiste. Optimiste car les nombreuses difficultés du temps peuvent y être affrontées grâce à un réenchantement du monde. Trop optimiste ou volontariste sûrement pour préserver ma suspension d'incrédulité. Il y a un projet de renaissance dans le roman de Martel, dont on peut apprécier l'objectif mais qu'il est difficile de trouver crédible.
La voie Verne, Jacques Martel
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