The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Sérotonine - Michel Houellebecq


Il est rare que je ne sache pas vraiment quoi penser d'un livre. C'est pourtant ce qui m'est arrivé sitôt fini "Sérotonine", le dernier roman de Michel Houellebecq.

Je ne parlerai pas ici du buzz ou du pour/contre. Houellebecq, l'homme, je m'en fous. Houellebecq, l’icône, aussi. Un livre est juste bon ou mauvais ; comme l'écrivait Wilde :  « Il n'existe pas de livre moral ou immoral. Les livres sont bien ou mal écrits. ». Qu'en est-il alors de "Sérotonine" ?

D'abord, réglons la question du Houellebecq visionnaire annonçant les « gilets jaunes ». Nawak. Le point social central de Sérotonine est la chute inexorable du monde paysan, pas la révolte d'une petite classe moyenne taylorisée et de retraités vindicatifs.

Soumission était un roman récapitulatif, et, quelque part, conclusif. Toute l’œuvre de Houellebecq y trouvait sa fin nécessaire. Pourquoi alors remettre l'ouvrage sur le métier ? Lui le sait, moi non.

Ici, c'est encore d'un homme (de même pas 50 ans) détruit, au bout du rouleau, et n'attendant plus que la mort, dont il est question. Florent-Claude Labrouste, ingénieur diplômé de l'Agro et présentement haut fonctionnaire au Ministère de l'Agriculture, plaque tout, son travail, sa jeune copine japonaise nymphomane, son appartement parisien. Débute alors pour lui une errance entre hôtels Mercure et gîtes normands qui s'achève dans un studio sans charme qui sera le dernier de sa vie.
Revenant sur sa vie, cherchant (ou pas) à revoir les femmes qui ont compté pour lui, il s'achemine sous antidépresseur, et de façon de plus en plus somnambulique, vers une issue ultime qu'il appelle de ses vœux.
Chemin faisant, éteignant peu à peu les lumières, il livre ses considérations désabusées sur le sexe, aussi indispensable que foncièrement répétitif et crétin (Cioran disait : « Il est des performances qu’on ne pardonne qu’à soi : si on se représentait les autres au plus fort d’un certain grognement, il serait impossible de leur tendre encore la main. »), le monde, hostile, la vie, décevante.

Passé de Monsanto à la DRAF Normandie puis au Ministère, ayant donc cessé d'être néfaste pour devenir seulement inutile et impuissant (faisant de ses jobs de préservation de l’agriculture française les archétypes de ces bullshit jobs racontés par Graeber), le narrateur n'a jamais pu enrayer le déclin inexorable de l'agriculture dans un monde européen et mondialisé qui ne jure que par la concurrence et l'augmentation de la productivité.
Lui, l'agronome technocrate, l'a vécu de l'extérieur. Au fil de sa dernière pérégrination, il le touchera du doigt en renouant avec un vieux camarade de promotion, qui « aurait pu rester chez Danone après son stage » mais qui décida de céder à son destin d'aristocrate en revenant sur les terres familiales pour y développer un élevage bio et responsable. Travail, investissement, épuisement, appauvrissement. Rien ne marche. Il y a trop d'agriculteurs en France, au moins trois fois trop. Leur lot est la misère, le divorce, le célibat, une solitude agricole que Bourdieu décrivait déjà dans Le bal des célibataires. Avec, pour conclusion, la colère revendicative stérile et/ou le suicide. La sortie du monde de toute façon. Une sortie entamée en 1846 lorsque les Corn Laws anglaises furent abolies et que la concurrence internationale devint la règle dans l'agriculture au bénéfice de la classe montante des capitaines d'industrie.
Et, de même qu'il ne put rien faire, ni pour les fromages normands, ni pour les abricots du Roussillon, le narrateur ne put rien faire pour sauver Amaury, son seul ami, broyé par un ordre du monde dans lequel il n'avait plus de place.

De toute façon, fini, il ne peut plus rien faire et n'en a plus rien à faire, même le pédophile qu'il surprend à un moment ne lui inspire presque aucune réaction.

Le regret qui transperce Florent-Claude est la perte de l'amour. L'amour aurait pu lui donner un guide, s'il ne l'avait pas gâché en se comportant en queutard absurde. Il fait de son retour un espoir fugace. Il rêve un temps de le retrouver mais comprend bien vite que les trains partis ne reviennent jamais. Pas de pardon in extremis, pas de rédemption. Les actes engagent et le calice des mauvais choix se boit jusqu'à la lie.

Sans amour, plus la peine de vivre, plus de désir de vivre, plus de lendemain à attendre ; toutes les fellations du monde n'y changent rien. Et l'ataraxie chimique permet juste de ralentir l'urgence suicidaire, pas de la supprimer.

Le problème de "Sérotonine", c'est que Houellebecq fait du Houellebecq. Reprenant des thèmes déjà largement développés, les traitant sur un ton déjà utilisé, il semble radoter pendant au moins un tiers du livre. Puis ça s'améliore un peu sans que disparaisse jamais cette impression insistante de déjà-lu. D'autant qu'il est plutôt moins drôlement caustique qu'il ne le fut. "Sérotonine" c'est peut-être le Houellebecq de trop.

Alors oui, il y a quelques fulgurances, quelques aphorismes amusants, quelques hommages décalés au romantisme du XIXème (quand L'invitation au voyage se produit dans l'hypermarché du coin où tous les produits du monde viennent à la rencontre du local enraciné).
Il y a des allusions innombrables aux innombrables désordres du monde.
Il y a aussi la description d'un homme traversé par le bullshit verbal de la société de consommation et les slogans journalistiques qui lui servent d'univers mental, d'un homme qui admet que le monde lui est devenu trop complexe, qu'il a trop changé pour qu'il puisse encore le saisir (rappelant autant les thématiques de l'Accélération de Rosa que les claquages psychiques de Tous à Zanzibar). Il y a cette intuition, aussi réactionnaire que bien sentie, de la férocité d'un monde ouvert dans lequel chacun doit se construire, de gré ou de force, identité et statut, dans lequel la liberté inquiète et fragilise donc quand les institutions traditionnelles organisaient et rassuraient.
Il y a surtout – et si ce roman a une force c'est là qu'elle est – une infinie tristesse qui progresse au fil de la lecture, tant est triste à voir cet homme qui clôture sa vie à 46 ans et qui a définitivement tordu le cou au « sale espoir » que rejetait Antigone.

Il y aurait fallu l'amour, mais il est difficile, trop difficile en tout cas pour Florent-Claude. Le macho n'aura compris que trop tard qu'il fallait y mettre un peu de soi aussi, savoir donner autant que recevoir.

"Sérotonine", publié alors que son auteur s'est marié, paraît être la confession d'un Christian reborn, la première lettre aux Corinthiens de Saint Houellebecq :

« J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante.

J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.

J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien. »


Comme toute sincère contrition tardive, c'est quelque part aussi émouvant qu'un peu ridicule.

Sérotonine, Michel Houellebecq

Commentaires

Cess a dit…
Avec une intertextualité que je trouve toujours aussi jouissive, tant ses références ou citations permettent selon moi de créer l'atout majeur de son écriture, un réel comique poétique, appelé de ses vœux en son temps par Baudelaire dans Le Spleen de Paris, mais jamais atteint, rare étant la franche rigolade chez ce dernier, je ne m'explique pas la platitude des références musicales de ce roman et l'absence d'effets qu'elles produisent.
Alors que les deux descriptions des collections de vinyles d'Aymeric m'ouvraient des perspectives de vive délectation, quel sérieux, quel ennui à la lecture de la retranscription de la réécoute, censément poignante et hautement madeleinique, de Deep Purple, que je ne déteste pourtant pas, et même que Child in Time,c'est un morceau que j'aime !
En revanche, quelle acuité et quelle grâce, encore, sur les portraits du matériel audio et des armes.

Comme toujours, j'ai du mal aussi à savoir ce que je pense immédiatement de ce Houellebecq. J'ai souvent besoin d'un peu d'infusion pour me décider, parce que son écriture agit chez moi par relents.

Une piste tout de même: seuls les beaux morceaux me restent en bouche, n'oublions pas que nous en sommes au stade oral de la civilisation.

Ainsi, unanimité absolue (à deux pour le moment donc, puisque j'ai évité d'écouter ou de lire quoi que ce soit cette semaine au sujet de Sérotonine) sur L'invitation au voyage participant de l'éblouissement de cette bal(l)ade au Centre Leclerc de Coutances.
Gromovar a dit…
Tu es une incorrigible optimiste.

Moi, j'ai du mal. J'ai sans doute déjà trop lu et aimé.

Mais sur le Centre Leclerc de Coutances, quelle fulgurance !