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L'ours et le rossignol - Katherine Arden


"L'ours et le rossignol" est le premier roman de fantasy historique de Katherine Arden. Il plonge son lecteur dans la Russie du XIVème siècle, au temps d'Ivan II Ivanovitch, un lieu politique bien différent de celui que nous nous représentons quand nous pensons Russie. A l'époque, le pays des Rus' n'était pas encore un empire, il n'avait pas encore de tsar (il faudra attendre la chute de Constantinople), il était constitué de principautés plus ou moins riches et indépendantes gouvernées par des hauts-princes, il était largement sous la coupe des envahisseurs tatars de la Horde d'Or à qui on doit payer tribut. Un point commun néanmoins avec notre Russie, l’influence déjà grande du christianisme orthodoxe, d'autant plus puissant que Constantinople était encore debout.

"L'ours et le rossignol" se passe dans le Nord, là où l'hiver est long et rude, la forêt profonde, la vie encore pleine d'une magie ancestrale à laquelle on croit sans trop savoir mais sans doute non plus. C'est l'histoire d'une famille, et surtout celle d'une jeune fille, Vasilisa Petrovna.

Vasilisa est la dernière fille d'un riche boyard, Piotr Vladimirovitch, et de sa femme Marina, dont la mère qu'on disait sorcière avait épousé Ivan Ier.
Autour d'elle vivent son père, ses frères et sœurs aînés, ainsi qu'une vieille nourrisse qui lui tient lieu de grand-mère aimante. De mère, point. Marina mourut en couches, une mort qu'elle savait venir mais qu'elle accepta tant elle voulait que le « don » de sa mère ne s'éteigne pas. Car, de toute la famille, Vasilisa est la seule à posséder le pouvoir de sa grand-mère, et Marina le savait dès le début de sa grossesse. Comme son aïeule, Vasilisa est donc capable de voir les innombrables esprits du panthéon russe traditionnel. Le domovoï, dans la maison, la roussalka des rivières, le vazila des écuries, l'esprit des bains, et tant d'autres qu'on ne saurait les nommer tous. Les voir mais aussi leur parler, les convaincre, s'en faire aimer parfois. Ce en quoi tous croient, Vasilisa le connaît.

Famille aimante, caractère aimable, terre prospère, tout irait pour le mieux si le physique disgracieux, les errances sylvestres, et le caractère sauvage de Vasi ne posaient pas problème dans une communauté rurale marquée par un contrôle social fort et une énorme pression à la conformité. Des années après la mort de Marina, son père se résout alors à reprendre femme, car il faut donner une mère à cette fille pour tenter de la domestiquer.

Il part donc pour Moscou en quête d'une épouse ; l'accompagnent ses enfants les plus vieux, à qui il doit aussi trouver des conjoints. Manipulé par Ivan Ivanovitch, Piotr se retrouve affublé d'une épouse que tous disent folle car elle affirme vivre entourée de démons, et d'un prêtre aussi beau qu'égocentrique qu'on éloigne de Moscou car il gène le patriarche.

Vasi hérite donc d'une marâtre qui ne l'aime guère, et le village de Piotr d'un religieux expatrié et fort dépité. La première consolide sa position en donnant une nouvelle fille à Piotr, le second se fixe pour mission de délivrer les bouseux de leurs croyances païennes en leur inculquant la peur de Dieu. Plus d’offrandes pour les petits dieux domestiques, plus d’attention, plus d'affection. Encouragé et soutenu par la nouvelle épouse de Piotr qui a confusément compris que les « démons » qu'elle voit sont ces lares russes de la maison et de la nature, troublé par la vitalité de Vasi qui lui inspire des sentiments coupables, il se lance dans une guerre de tranchée victorieuse contre les divinités traditionnelles. Hélas, trois fois hélas, ce sont ces mêmes divinités qui protégeaient lieu et gens des assauts meurtriers du terrifiant Medved (Ours), le frère maléfique de Morozko. Morozko, le démon de l'hiver qui sait être aussi doux que cruel et offre aux filles bonnes une rançon de roi.

"L'ours et le rossignol" est un roman de fantasy historique mais son ton est clairement celui d'un conte. Il s'ouvre d'ailleurs par le récit d'un conte que Dounia, la nourrisse, fait aux enfants de Piotr, une histoire du démon de l'hiver dont Vasi ignore encore qu'elle aura à le côtoyer. De là, tout sonne dans le même ton. Narrée à la troisième personne, l'histoire se déploie sous les yeux du lecteur. On y trouve de bien belles descriptions (de la forêt, des intérieurs, des chevaux ou de ces poêles traditionnels autour desquels vit toute la famille), des sentiments puissants, des antagonismes forts entre personnalités qui ne peuvent cohabiter, des trahisons et des manigances dont les victimes ne réalisent que toujours trop tard l’existence, des drames qu'on voit venir sans pouvoir les éviter, des monstres et des héros. Et puis, le froid, la disette, le gel, l'hiver qui se fait de plus en plus rude au fur de l'affaiblissement des esprits bienveillants. Et encore, la folie d'une marâtre, le courage et la noblesse d'un père, l'abnégation d'une mère, l'amour inconditionnel d'une nourrisse dont le destin sera d'autant plus cruel par contraste, l'aveuglement égocentrique d'un orgueilleux, la rouerie des forces du mal, la bienveillance simple des esprits domestiques, etc...

Le conte est tiré par le personnage de Vasi, au centre du récit comme des préoccupations du lecteur. Bonne, juste, rebelle, sauvage, Vasi, que son don met à l'écart du monde, ne le méprise pourtant jamais. Au contraire, elle l'aide autant que faire se peut. L'injustice est donc grande qui fait d'elle le bouc émissaire de malheurs auxquels elle n'a aucune part. La différence entraîne la suspicion qui entraîne la méfiance qui entraîne la haine. Les X-Men en savent quelque chose.

Le discours féministe aussi, parce qu'il n'a pas le caractère outré de certain texte « historique » lu récemment, passe sans difficulté et fait donc son office.
On voit les femmes n'être que des monnaies d’échange politique, on voit la division du monde entre le dedans qui est aux femmes et le dehors qui est aux hommes, on voit l'obligation faite aux femmes de ne maîtriser aucune compétence masculine sous peine de sanction.
On voit Vasi refuser obstinément « d'amender ses manières », dédaigner des rançons de roi, et rejeter sans ambiguïté la seule alternative offerte aux femmes : « servir d'esclave et de jument à un homme ou s'enfermer derrière les murs d'un couvent ».
On voit néanmoins aussi que, à la fin, quand tout sera écrit et accompli, l'exil sera la seule solution pour elle car, dans un monde où le bon Piotr bat parfois ses enfants car c'est ce que font les hommes honnêtes, le relativisme culturel et l'individualisme sont des idées encore trop étrangères pour être admises.

Reprenant et réécrivant des contes russes traditionnels, Katherine Arden fait ici le travail d'un Perrault ou d'un Grimm. Elle le fait de bien belle manière, avec un amour pour son matériau qu'on sent à chaque page.
Ce livre peut (doit?) être lu par les lecteurs d'Imaginaire, par les autres, par les jeunes, par toute personne qui se souvient du plaisir qu'il éprouvait à entendre les contes de fées racontés par sa grand-mère ou qui veut simplement assister au déroulement d'une belle histoire qui met en scène de belles personnes confrontées à des forces terrifiantes qui ne veulent que leur destruction.

L'ours et le rossignol, Katherine Arden

L'avis très précoce de Cédric

Commentaires

Vert a dit…
Conte de fées ? Je signe direct ^^
Gromovar a dit…
Excellente idée :)
shaya a dit…
Vendu pour moi, les contes et la Russie, ça me tente !