On a lu
(ou on aurait dû) Mausolées, roman dystopique étouffant de Christian Chavassieux
(par ailleurs Prix Planète-SF des Blogueurs 2016 pour Les Nefs de Pangée). On y voyait ce qu'était la vie dans l'entourage délétère du dictateur Pavel Khan.
Amoureux du roman, le dessinateur de BD Thibaut Mazoyer eut l'envie de réaliser une histoire se déroulant dans une ambiance similaire, et demanda, pour ce faire, à Christian Chavassieux d'écrire un scénario original ad hoc.
Un financement participatif réussi plus tard, voici enfin l'album, 48 pages de huis-clos crépusculaire derrière les murailles du palais présidentiel d'un pays imaginaire qui en rappelle fortement de véritables de notre souvenir.
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A la droite du diable", c'est la place qu'occupe le jeune Renzo, placé comme laquais auprès du dictateur Spathül. Envoyé pour espionner le vieux tyran, il devient son confident et entrevoit la part sombre de la vie de l'autocrate.
Colérique, brutal, sûr de sa force et de son intelligence, Spathül règne en maître absolu sur son pays comme sur sa cour. Les forces d'opposition sont anéanties ou aux ordres. Les employés palatiaux sont soumis à son bon vouloir – jusqu'à la mort parfois . Les courtisans ne vivent que jusqu'à la prochaine purge. Quant aux femmes, du haut en bas de l'échelle sociale, elles sont à la disposition de Spathül qui en use et abuse.
La vieillesse venant, le pouvoir lassant
(car tout finit par lasser), Spathül dicte des mémoires fantômes au jeune Renzo. De la version officielle aussi délirante que celle de Kim Il Sung à la réalité d'une biographie quelque part entre celles d'Hitler et de Staline
(les deux monstres totalitaires d'Hannah Arendt), les vies alternatives de Spathül défilent sous la plume d'un Renzo atterré, alors qu'en coulisses la transition se prépare.
« Porté » au pouvoir suprême par le mensonge et la manipulation populiste d'un peuple qui ne demande rarement mieux que de se laisser manipuler pour confier son destin à une brute providentielle
(aujourd'hui aussi des enquêtes montrent que des peuples s’accommoderaient de régimes illibéraux), théoricien de la « démocratie relative », Spathül sera chassé par une révolution de palais qu'on vendra au peuple – une fois encore en liesse – comme une table rase et l'avènement d'une ère nouvelle de liberté. En gros comme en détail, on pense ici à Ceausescu et à la « révolution » roumaine. Comme l'affirmait justement Tancredi Falconeri : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Glaçant.
« Je crois que les peuples se fatiguent, qu'à un moment de leur histoire, ils en ont assez qu'on les sollicite pour concevoir leur propre futur...alors ils délèguent cette peine à ceux qui en feront quelque chose de compréhensible, d'évident...et puis la tyrannie donne la sensation d'une certaine égalité pour les plus humbles. Ils se disent que, à partir de là, tout le monde est dans la merde, comme eux. Voilà : les dictatures naissent de prurits insupportables quand on préfère se gratter au sang plutôt que de subir une démangeaison dont on ne sait plus définir l'origine. Qu'importe les dégâts, ça soulage. », Spathül
A la droite du diable, Chavassieux, Mazoyer
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