L'Ombre sur Innsmouth - Lovecraft illustré par Baranger

Comme deux fois déjà , je signale la sortie d'une adaptation de Lovecraft par François Baranger. Il s'agit cette fois de The Shadow over Innsmouth , ici traduit littéralement L'Ombre sur Innsmouth au lieu du plus traditionnel Le Cauchemar d'Innsmouth . Comme pour les deux adaptations précédentes, je ne vais pas chroniquer un texte connu et maintes fois résumé, analysé, décortiqué. Je te renvoie donc pour l'histoire, lecteur, à la fiche Wikipedia de la nouvelle, fort bien faite si ce n'est qu'à l'instant où j'écris ces mots la version de Baranger ne s'y trouve pas encore. Tu prendras plaisir, j'en suis sûr, à lire la belle préface de Sandy Petersen, notre maitre à tous, à parcourir les rues de la très décatie Innsmouth dans les pas de Robert Olmstead, à pénétrer dans la délabrée Pension Gilman, à contempler la façade du bâtiment abritant L'Ordre ésotérique de Dagon , à côtoyer des Marsh, trop de Marsh. Le "masque d'Innsmouth...

A Spy in Time - Imraan Coovadia


Avec "A Spy in Time", du Sud-Africain Imraan Coovadia, se répète encore une fois la triste histoire de l'auteur de blanche qui écrit de la SF comme le Douanier Rousseau peignait, avec ignorance et naïveté.

Futur. Enver Eleven est un agent de terrain de l'Historical Agency. Il fait partie de la faible part d'humanité qui a survécu à l'anéantissement planétaire causé par une supernova en 2472. Maintenant (mais, de fait, on finit par comprendre qu'Enver vient de la Johannesburg du 23ème siècle), il revient à l'Agence « d’empêcher la fin du monde de se reproduire ». Installée dans tout le flux du temps (donc passé et futur), l'Agence surveille, intervient, et tente de contrer les action d'un hypothétique « ennemi » de la race humaine ; elle sait souvent ce qui va se passer car elle en a été le facile témoin ultérieur et est terrorisée par l'hypothèse du multivers (pourquoi, ce n'est jamais bien clair). Une première mission ratée à Marrakech en 1955 plonge Enver au cœur d'un possible complot qui l'obligera à s'interroger sur le droit à infléchir l'Histoire et à décider s'il est prêt le faire ou pas, sachant qu'on ignore toujours ce qui peut sortir d'une telle modification, si justifiée par les horreurs du passé soit-elle.
Cerise sur le gâteau, Enver est Noir, vient d'un monde où ne vivent presque plus que des Noirs (les survivants de la catastrophe sont des habitants de Johannesburg réfugiés dans les kilomètres de souterrains miniers de la ville), et il doit agir dans des temps où les Noirs ne sont ni majoritaires ni politiquement dominants.

Le pitch était tentant. Les questions soulevées aussi. Mais il n'y a pas grand chose d'appétissant dans la réalisation.

Qu'est donc cette menace de « nouvelle fin du monde » ? Mystère.
Que font concrètement les agents de « l'ennemi » sur le terrain ? Pas clair.
Comment expliquer les moments d'intervention de l'Agence ? Va savoir.
Que contient cette Constitution de la nouvelle humanité ? No sé. Et les statuts dérogatoires de l'Agence ? Pas plus. Ni le fonctionnement de la société d'Enver (est-ce d'ailleurs celle du 23ème siècle ou une autre ?).
Pourquoi des siècles obscurs ? Ben...
Comment expliquer le mumbo jumbo temporel ? Une proverbiale particule découverte bien à propos par un savant. Et le passage sur Jupiter ? Et le bombardement venu de la Kuiper Belt ?

Plus :
De la question raciale, mis à part quelques brefs lieux communs, Coovadia ne fait rien, et surtout pas un élément important de la narration.
L'Histoire humaine aussi est expédiée par quelques micro-flashes non détaillés.
Les IA sont indispensables aux voyages dans le temps et se font les plus cryptiques possibles. Elles intriguent, mais pas toutes. Certaines ont pris leur liberté, mais pas toutes (on ne sait pas vraiment pourquoi). Et pourquoi les IA de l'Agence ont-elles forme physique, genre robots de SF 50's ? Et quelle régulière impuissance stupide que celle de ces entités presque omniscientes.
Dans le récit d'espionnage même, des rebondissements faciles interviennent (facilités par l'absence de netteté de la narration). Quelle étrange histoire aussi que cette « prophétie » qui tombe à un moment comme un cheveu sur la soupe et dont on ne comprend pas vraiment l'intérêt.
Et puis, l'état constant de rêve éveillé d'Enver rend pénible l'accroche au personnage. Les personnages secondaires, plus cookie-cutter qu'autre chose, n'aident pas non plus. Et que le monde est vide. Peu de foule, peu de vie, peu de description hors ce qui tangente directement Enver dans la succession de saynètes auxquelles il participe dans le cadre d'une narration trop souvent trop elliptique.

J'arrête là. Je déconseille très vivement cette plongée dans un monde qu'il aurait fallu créer avant de prétendre le montrer.

A Spy in Time, Imraan Coovadia

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