The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

Kaboul - Moorcock et Hyman - Elégie


"Kaboul". Pas la ville d'Afghanistan. Le recueil de nouvelles de Michael Moorcock, illustré par Miles Hyman et publié dans la collection Denoël Graphic – une collection dirigée par Jean-Luc Fromental, pour un texte traduit par Jean-Luc Fromental, illustré par le dessinateur de l'album Le coup de Prague dont Jean-Luc Fromental fut le scénariste. « Avoir un bon copain, Voilà c'qui y a d'meilleur au monde, Oui, car, un bon copain, C'est plus fidèle qu'une blonde ».

"Kaboul" donc. Six nouvelles de longueurs variées qui racontent la Troisième Guerre Mondiale à travers les yeux d'un espion russe du FSB, Tom Dubrowski. Espion dissimulé sous une couverture d'antiquaire, juif discret dans un monde non dépourvu d'antisémitisme, Dubrowski vit les années noires à venir en spectateur désabusé et plutôt impuissant d'un chaos que plus personne ne contrôle.

"Kaboul", c'est trois parties narratives.

Le début, c'est l'avant conflagration générale. Quand les incidents de frontière commencent à se transformer en frappes tactiques limitées. Quand Tom peut encore vivre une vie d'esthète de haut vol en quête d'infos qui se dérobent à lui, au sein de l'upper/upper class de Londres ou de Rome. Un monde léger et arty, tout en champagne et élégance, comme on en voit dans La mort aux trousses. Un monde aussi, revers de la médaille, qui se paie au prix d'une paranoïa et d'une solitude constantes, qui rappelle fortement l'ambiance étouffante de Raisons d'Etat.

Le gros morceau central, c'est la guerre déclarée. Une guerre mondiale dans laquelle tout se délite. Les alliances, improbables, se font et se défont (jusqu'à une surprenante Russie/USA contre Chine), les blocs – changeant – s'affrontent à coups de drones, de frappes tactiques (encore – qui amènent à se demander si quelque chose survivra, cf. On the Beach), d'armes bactériologiques ou chimiques (plus de traités qui tiennent), de bombardements d'oblitération, de massacres au sol sur les prisonniers comme sur les civils. Sans oublier les viols, pratiqués comme des rites nécessaires. C'est l'horreur de la guerre telle que dite par le colonel Kurtz, portée par des hommes si déshumanisés par le conflit qu'ils ne s'y adonnent presque plus que par habitude (ce qui est peut-être pire que s'ils y mettaient un peu de haine), a fortiori quand les ordres et les communications manquent et que les unités militaires deviennent aussi férales et dépourvues de cap que la bande de mercenaire de Rutger Hauer dans La chair et le sang. On y voit l'horreur, et des scènes de folie incroyables, comme cette dernière charge de cavalerie cosaque droit sur un champignon nucléaire.

La fin, c'est le retour (quoique...) chez lui d'un Tom que les radiations ont rendu gravement malade. Fin de son odyssée. Mais là où Ulysse rentrait victorieux dans une Ithaque préservée, Tom est un anti-héros en bout de course qui vient mettre ses affaires en ordre dans un monde aussi agonisant que lui-même. Cette partie crépusculaire est profondément émouvante, voire déprimante.

Kaboul, c'est aussi trois parties logiques.

D'abord, Moorcock y joue avec les codes des romans d'espionnage de gare. Les hommes y sont durs, machos, insensibles. Ils savent ce que sont et ce que veulent les « femmes ».
Le sexe structure l'ensemble du récit. Sexe donné ou pris. Sexe moyen de pression ou sexe rapport de force. Mais si Tom est un espion, un dur de dur, s'il parle la langue de son stéréotype, il est néanmoins humain, donc affecté par ses relations. Femmes aimées ou « possédées », femmes aimées ou amantes, femmes manipulées ou manipulatrices gravitent sans cesse dans l'orbite de Tom l'espion (qui aimait trop pour son bien) et l'impactent plus qu'il ne veut l'admettre.
PS : Si on ne sait pas dépasser le premier degré, s'abstenir de lire Kaboul.

Ensuite, Moorcock semble livrer avec Tom Dubrowski une nouvelle itération du Champion éternel. Tom, errant de ville en ville et de pays en pays, toujours là où la mort rode, donnant la mort et la voyant donner, rappelle ses illustres prédécesseurs dans l’œuvre de Moorcock. Mais c'est peut-être le plus impuissant de tous ses Champions que présente Moorcok ici. Espion qui ne trouve pas, tueur qui ne tue guère, violeur qui refuse de violer pour tuer ensuite comme par accident, Tom est un fétu de paille au cœur du maelstrom incontrôlable de la guerre de tous contre tous à venir. Comme si le Chaos que servait Elric avait enfin réussi à prendre l'avantage sur le domaine de la Loi. Kaboul, convoitée par tous, au centre des routes de conflits depuis tant de siècles, est alors une Tanelorn tragique dans laquelle, comme Elric, Tom trouve quelques moment de paix auprès d'un femme amie.

Enfin, et sans faire trop de psychocritique à deux balles, on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a une forme de testament dans ces textes. Moorcock (né ne 1939) y revient sur des genres un peu passés, y récapitule d'une certaine manière son œuvre, y exprime des craintes que la situation géopolitique actuelle rendent hélas crédibles. Il met dans la bouche de Tom, à la fin, des phrases qui résonnent étrangement : « Le monde regorgeait de mythes destructeurs, de légendes biaisées. Nos mécanismes de survie les plus anciens se désagrégeaient en même temps que nos histoires. Nous n'avions plus de liens fiables avec notre passé. Notre présent se bâtissait à partir d’expériences extrêmes, de fictions et de propagande. J'étais heureux de ne pas avoir à affronter un futur auquel rien ne m'avait préparé. Mes petits-fils apprendraient à négocier avec ce monde nouveau, à condition qu'ils survivent. »
J'étais triste pour Tom, triste pour Moorcok, triste pour moi.

Un bon livre pour tous, un grand livre pour les fans.

Kaboul, Michael Moorcok illutré par Miles Hyman

Commentaires

Lorhkan a dit…
Et pas un mot sur la quinzaine d'illustrations... ;)
Gromovar a dit…
Deux mots : sympas / inutiles
Lune a dit…
J'aime beaucoup Hyman moi. Je le lirai à l'occasion !
Baroona a dit…
J'ai cru un moment que c'était une BD, trompeuse couverture.
(Je suis triste rien qu'à la lecture de ta conclusion.)
Gromovar a dit…
Non, texte illustré. Très plaisant.
Tororo a dit…
Hyman, c'est toujours bien, on peut, à la limite, craindre que ses images n'esthétisent trop un texte très noir (je n'ai pas encore vu le livre, je vais le chercher: je me souviens juste d'avoir lu le texte - mémorable - avec des cosaques qui chargent un champignon dans une anthologie il y a très longtemps)
Gromovar a dit…
Oh j'ai rien contre Hyman. Je suis tellement braqué sur les textes que j'ai tendance à passer par dessus les illustrations.
Tigger Lilly a dit…
Ça pourrait carrément me plaire.
Gromovar a dit…
Lance toi. Connexe : Faut aussi que je trouve le temps de chroniquer l'excellent Sheriff of Babylon.