The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

The Rig - Roger Levy


Imaginez un roman de SF qui commence par un massacre. Imaginez un roman dur, vif, violent, aussi cruel avec ses personnages qu'avec le lecteur. Imaginez un roman très malin, finement construit, qui offre autant de réflexions passionnantes que d’action trépidante, sans oublier un mystère qui intrigue jusqu'aux toutes dernières pages. Ce roman c'est "The Rig", le dernier opus de Roger Levy, un auteur dont je n'avais jamais rien lu.

Quelque part dans l'espace, cinq générations après l'exode. L'humanité, victime de sa propre incurie, a dû fuir une Terre condamnée. Elle a trouvé refuge dans un système constitué de « sept planètes majeures + quelques mineures ». Terraformées par des robots, dans les limites du possible, pendant le voyage des vaisseaux-arches, les planètes furent revendiquées par des entités juridiques inédites situées quelque part entre bloc idéologique et bloc financier : Asie, Grande Europe, et Amérique s'installèrent chacune sur une ou deux planètes, deux planètes (Géhenna, et Unsaid Planet) devinrent propriétés de deux conglomérats religieux, quelques planètes enfin, dont la très hostile Bleak, se virent attribuées à de plus petits groupes privés. A l'exception de la Unsaid Planet qui se drapa immédiatement dans une autarcie totale, aucune des autres planètes n'était viable seule. Toutes avaient nécessité, pour leur terraformation, des investissements colossaux impliquant des montages financiers complexes et innovants. Contrats et dettes forment donc le lien qui unit ces lieux ; loin de la Terre et réunis par des liens strictement économiques, les planètes du Système forment un réseau complexe tissé de relations commerciales et financières. Sur le plan politique, on est dans de l'intergouvernemental pur avec une administration à pouvoir limitée qui rappelle plus l'OMC que l'ONU, un vague système de police (la Pax), une justice résiduelle, le tout financé par une système fiscal unifié. Hormis cela, le Système est une entité infrapolitique, aussi libertarienne que corrompue, un genre de far-west spatial tant par l'absence de pouvoir centralisé que par la dureté des mondes dans lequel vit ce qui a survécu de l'humanité.

Les mondes humains (hormis les deux religieux) partagent deux autres choses qui, à contrario de ce que j'écrivais au-dessus, contribuent à en faire un ensemble unifié. D'abord une sorte de méga réseau social (le Song), auquel chacun est connecté et qui transmet en permanence toute l'information et tous les bruissements du monde, des plus importants aux plus anecdotiques. Ensuite et surtout un projet global démentiel nommé Afterlife dont l'objet est de placer tout humain en danger de mort en animation suspendue (rigor vitae) dans l'attente d'un hypothétique traitement médical à venir. Régulièrement, de nouveaux traitement apparaissent (dans cet univers si pollué et irradié qu'on ne croit pas qu'il ait pu jadis être possible de vivre plus de cinquante ans), et il revient alors à la communauté humaine de voter, sur la base des biographies en ligne des mourants, pour décider qui sortir de stase pour recevoir le traitement salvateur et qui laisser croupir en rigor vitae. Pour que le vote soit juste, les biographies sont anonymisées, et elles sont recueillies automatiquement par des implants cérébraux installés à la naissance afin que nul ne puisse enjoliver sa vie ou en cacher les aspects les plus sombres.
Bémol ici : pour des raisons techniques, seul un petit pourcentage, aléatoire, des implants est véritablement actif, les autres sont des placebos. Cette information est publique, il s'agit d'un mécanisme de prédestination qui rappelle la vision wébérienne du protestantisme, générateur d'autant d'espoir que d’angoisse existentielle.

C'est dans ce Système, plus proche de l'enfer que du paradis, que Levy installe son intrigue. C'est d'un récit double dont est question ici. Le lecteur suivra donc deux fils.

Le premier met en scène Alef, un autiste de (très) haut niveau, natif de Gehenna (le nom à lui seul dit tout de la planète, de la vie qu'on peut y mener et de l'éducation qu'on y reçoit). De son monde reclus au planétoïde Peco, de l’enfance à l'âge d'homme, on suit les aventures extraordinaires d'Alef et de son ami d'enfance, le mystérieux Pellonhorc. Fils de parents à secrets, victime d'une tragédie, créateur de secrets lui-même, Alef est un personnage que le lecteur verra grandir, évoluer, parvenir presque à relier sa partie rationnelle à son embryonnaire partie émotionnelle. Alef est passionnant, impressionnant par ses capacités, captivant par son histoire larger than life, émouvant dans sa tentative jamais abandonnée de ressentir comme les autres et de s'adapter à une société hostile.

Le second fil se passe sur l’inhospitalière planète Bleak. On y croise Beale, un Paxer insubordonné et tête brûlée, Razer, une journaliste qui rassemble des biographies pour  le site Trulife (la téléréalité locale), et Tallen, un nobody, seul survivant d'une tuerie de masse. Sur ce monde frontière, balayé par des vents apocalyptiques, où sont entreposés les sarcophages des mourants d'Afterlife, il apparaît vite aux yeux de Beale et de Razer que l'aide médicale reçue par Tallen est plus que suspecte et que la tuerie elle-même ressemble à tout sauf à l'acte d'un fou en goguette. D'autant qu'il  semble que la bonne politique sur la question soit de laisser-tomber et de passer à la suite. Chose que ni Beale ni Razer ne feront, évidemment.

"The Rig" est un roman dur et efficace comme l'est le meilleur cyberpunk, hardboiled comme du Chandler. De plus en plus tendu au fil des pages, il est rempli de phrases pleines d'esprit et de pertinence (et quelle inventivité lexicale !) pour décrire un drame de trahisons et de passions, « une histoire pleine de bruit et de fureur » comme on frissonne d'en lire.
C'est déjà plus que n'offrent quantité d'autres textes. Mais "The Rig" est bien plus que cela.
Il propose aux lecteurs de beaux personnages, complexes et superbement décrits. Il délivre une réflexion sur le besoin irrépressible d'espoir contre la finitude (fut-il physique et non plus métaphysique). Il met en lumière les excès et les limites de la transparence numérique, comme la passion – souvent morbide – de savoir, de compatir, de juger qui est le miel des réseaux sociaux. Il est une superbe mise en lumière des statuts concurrents de la vérité et de la narration, et éclaire la façon dont s'écrivent les Evangiles. Pour ce faire et tout du long, il surprend, induit son lecteur en erreur, le retourne, et lui tourneboule le cerveau, de fausses pistes en faux semblants, jusqu'à des dévoilements inattendus.

Un bien beau travail d'auteur et un bien beau livre.

The Rig, Roger Levy

Commentaires

Anonyme a dit…
Tentant. Je le note.