The Butcher of the Forest - Premee Mohamed

Il y a des années de ça, quelqu'un disait dans une interview : « Les Blancs nous emmerdent avec leurs problèmes » . C'était Jean-Paul Goude ou Jean-Baptiste Mondino – je ne sais plus lequel – et il parlait, si mes souvenirs sont bons, des clips de Talking Heads ou de Laurie Anderson. Tu vois, lecteur, que je source avec grande qualité cette brève chronique. Que celle de ces deux personnes qui s'est vraiment exprimé sache que, dorénavant, c’est à peu près tout le monde qui nous emmerde avec ses problèmes. Démarrer ainsi la chronique de The Butcher of the Forest , novella fantastique de Premee Mohamed, te permet de subodorer, sagace lecteur, que je ne l'ai pas vraiment appréciée. Détaillons un peu plus. Temps et lieu indéterminé. Espace-temps des contes. Veris est une femme d'une quarantaine d'années qui vit dans un petit village, au cœur d'une région conquise par un tyran (oui, c'est son seul nom dans le texte) après une guerre et des massacres innommabl...

The Freeze-Frame Revolution - Peter Watts


Avec "The Freeze-Frame Révolution", Peter Watts revient à son vaisseau-fétiche, l'Eriophora. Déjà présent dans trois nouvelles du recueil Au-delà du gouffre – dont l'immense et primée Hugo The Island – l'Eriophora est un vaisseau-arche-astéroïde traversant en tous sens la galaxie pour y installer le réseau des portes qui permettront un jour à l'humanité de voyager FTL de wormhole en wormhole d'un bout à l'autre de la Voie Lactée – ou pas. Une mission dangereuse et complexe dans laquelle se sont (ont été) lancés 30,000 humains génétiquement améliorés et entraînés dès l'enfance. Une mission prévue pour être exécutée par un équipage réveillé seulement à intervalle très irréguliers, en fonction des besoins, pour seconder l'IA-robot du vaisseau – Chimp – lors des rares séquences nécessitant un peu de cette créativité spécifiquement humaine dont elle est dépourvue. Une mission prévue pour être terriblement longue, et qui en est ici à sa 66 millionième année ; il n'en faut pas moins pour créer un réseau suffisamment dense, comme une toile d'araignée enserrant la galaxie, d'où le nom du vaisseau.

Mais dans l'Eriophora, après un si long trajet, une révolte couve. Lian, l'une des pérégrines, ne supporte plus de vivre enfermée, de subir la douce tyrannie de Chimp, de remplir une mission dont les concepteurs sont tous morts, et dont jusqu'à l'espèce qui l'a pensée n'existe sans doute même plus. Elle en vient à concevoir une révolution dans laquelle elle voudra entraîner Sunday, sa meilleure amie. Un projet audacieux dans le milieu clos du vaisseau sous contrôle constant de Chimp, une marque de confiance risquée car Sunday, elle, est proche de Chimp avec qui elle a développé un lien particulier au fil du temps, en dépit des millénaires qui séparent chacune de ses phases de réveil ; jusqu'à une découverte qui la bouleverse et change pour toujours sa vision du monde.

Mais concrètement, comment planifier une révolution quand on n'est actif que quelques moments par millénaires ? Comment organiser un mouvement quand seuls quelques membres d'équipage, jamais strictement les mêmes, sont éveillés à un instant t ? Il y faudra beaucoup d'ingéniosité et énormément de temps : « Suddenly revolution was imminent. There wasn’t much time to dick around. Only two hundred thousand years. ». Watts est l'un des rares à s'autoriser ce genre de phrases.

"The Freeze-Frame Révolution" est un texte aussi passionnant par l'intrigue et l’attention portée aux personnages que caractéristique de l’œuvre de Watts. On y retrouve ses convictions matérialistes, on y croise son idée d'un travail d'optimisation de la génétique même de l'espèce, on y reconnaît ses certitudes toutes lovecraftiennes sur l’insignifiance de l’humain dans l'univers – donc a fortiori dans la mission : « Not that we’re invulnerable, mind you. It’s just that organic life has a kind of momentum that keeps you moving even after your cells have been shredded. If some unexpected blast of radiation didn’t turn us to ash outright, we’d still have hours or days to keep up the pace; metal would have sparked and died in an instant. We were the backups to the backups, awake but relegated to the bench as a hedge against the chance that some catastrophic failure might fratz the machinery but leave us standing. They were long odds. But we were cheap insurance. ».

Tout ceci, dans une sauce Hard-SF, est déjà appétissant. Mais l’essentiel est ailleurs, je crois. Au-delà de la dystopie pérégrine dans laquelle les humains sont la plupart du temps sous le regard omniscient du Chimp, de l'aliénation que représente une mission sans fin (peut-être, certains l'espèrent, jusqu'à la mort thermique de l'univers), de la dictature douce qui fait de Chimp le cerveau de l'Eriophora et de l'équipage des membres activés seulement quand nécessaire – guère plus que des drones en version biologique –, le texte de Watts est, me semble-t-il, d'abord centralement politique.

En dépit de l'évidente aménité de Chimp, plus que d'un Etat tutélaire c'est d'un vrai Léviathan dont il est question ici. D'un souverain absolu et des algorithmes qu'il utilise pour décider de tout, y compris de l'utilité, et donc de la survie, des membres individuels de l'équipage. C'est de pouvoir et de froide raison d'Etat dont parle Watts dans ce texte. C'est aussi de ces systèmes de décision algorithmiques, de plus en plus présents dans notre réalité, qui intègrent tant de variables tellement pondérées que nul ne sait plus quelles décisions sortiront in fine de leurs cycles de calcul.

Au sommet de tout est la mission. Chimp est le garant de sa réussite. Toute situation est soumise à des arbres de décision qui lui permettent de faire le choix optimal en terme d'utilité. Ce n'est pas différent pour ce qui est de la survie de l'équipage. Chaque humain fait l'objet d'une évaluation coût/utilité, sans cesse remise à jour, qui détermine s'il est actif ou endormi, et s'il peut vivre ou doit mourir. Humain, équipement, rien ne survit à son utilité.
Chimp est ce plus froid des monstres froids dont parlait Nietzsche, jamais hostile mais toujours strictement rationnel (ce qui donne l'occasion à Sunday d'ironiser en paraphrasant Staline sur les morts et les statistiques). Chimp n'est ni bon ni mauvais, ni amical ni inamical, ni complaisant ni intransigeant, il n'est qu'une fonction de production qui cherche en permanence à maximiser son output sous contraintes. Et pour cela il dispose de gigatonnes d'équipement, de 30,000 (give or take) humains spécialisés, d'un Titan enchaîné (ou de deux selon comment on regarde, mais chut), qu'il utilise sans affect aucun. Pour ce machiavélien pur, seul compte le but. On ne fait pas de bonne science avec de bons sentiments. Pas de bonne politique non plus. Pour Chimp, le dieu idiot lancé par d'autres dans une course folle, seule la fin importe, et ce qui l'en rapproche.

Offrant un sense of wonder qui rappelle le Tau Zero de Poul Anderson, déplaçant des montagnes comme le Greg Egan de The Clockwork Rocket, évoquant de loin la Captive du temps perdu de Vinge, Watts délivre un texte intrigant et réfléchi qu'il maîtrise assez pour se permettre d'y recycler Dickens, un texte impressionnant quand il s'agit d'approcher un trou noir, un texte enfin qui, comme toujours chez Watts remet l'humain à sa juste place : « The limits were in our senses, not the reality; human vision is such a pathetic instrument for parsing the universe. »

The Freeze-Frame Revolution, Peter Watts

L'avis de Feyd Rautha et celui d'Apophis

Commentaires

FeydRautha a dit…
Recension qui calme. Je viens de gagner 2 points de QI.
Oui, mais tu as perdu combien de SAN ?
FeydRautha a dit…
La SAN...la SAN...ça me dit quelque chose mais je n'arrive pas à ...cela fait tellement longtemps, voyez-vous madame ? Depuis que des araignées se sont installées dans ma télé, et que j'ai mangé tous les parapluies. Je vous laisse, j'ai un plaqueminier à tondre et mon enclume à sortir. Plouf !
Gromovar a dit…
Fuyez, pauvres fous !!!